Politique 3 septembre 2014

L’argent est dans le bois… pas dans la cabane

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Tel que publié dans La Terre de chez nous

SAINT-JEAN-DE-BRÉBEUF — Francis Lessard n’avait pas le profil d’un producteur acéricole.

Ce natif de Robertsonville, près de Thetford-Mines, a pourtant appris rapidement. Propriétaire depuis cinq ans d’une érablière d’environ 16 000 entailles, il continue d’apprendre en observant l’effet de son travail sur la nature.

« L’argent est dans le bois, pas dans la cabane », dit-il pour illustrer sa manière de gérer son entreprise. Convaincu que l’aménagement forestier est très profitable, il consacre ainsi de grands efforts à nettoyer son boisé. Il a martelé lui-même tous les arbres creux ou endommagés qu’il entend sacrifier afin de favoriser la régénération naturelle. S’il estime perdre ainsi de 200 à 300 entailles chaque année, il conserve pourtant le même niveau de production.

« L’aménagement de mon boisé, c’est ça qui me passionne, confie-t-il. Voir les résultats de mes interventions en forêt, c’est fascinant. Dans la première partie que j’ai aménagée, il y a déjà plein de repousses de toutes sortes : frêne, érable à sucre, tilleul. Tu vois ça lever. L’été dernier, c’était vraiment évident. De plus, la croissance annuelle des tiges est meilleure; les cernes de croissance sont plus grands depuis cinq ans, pas besoin d’une loupe pour le constater. Tu vois qu’il y a un réveil de l’arbre. »

Citadin d’origine, Francis Lessard se familiarise d’abord avec l’acériculture auprès d’un oncle agriculteur, Florent Laflamme, de Saint-Pierre-de-Broughton. C’est pourtant auprès d’un voisin, Jean-Claude Lessard, qu’il attrape la piqûre du sirop. Après divers emplois, il acquiert en 2008 un boisé de 450 acres de l’un de ses cousins. L’érablière existante couvre 170 acres et offre un bon potentiel de développement sur 50 autres. Située à flanc de montagne orientée nord-ouest, elle fait le bonheur du jeune homme de 23 ans. Le prix était bon, convient-il, et il se retrouvait de plus à proximité de son meilleur copain, Dany Mercier, producteur laitier et acéricole.

La récolte du printemps 2008 sera malheureusement très décevante pour le nouveau producteur de sirop d’érable. Avisé, il mettra le peu d’argent qu’il lui reste « là où ça rapporte le plus », c’est-à-dire dans une formation en acériculture au Centre agricole de Saint-Anselme. Il dit avoir appris beaucoup en ce qui concerne l’aménagement d’une érablière, la gestion de la cabane et de la forêt, ainsi que l’entretien des bâtiments et de la machinerie.

Saison 2013

Entrepris le 21 janvier dernier, l’entaillage a duré une vingtaine de jours pour se terminer le 22 février. Francis a conservé une moyenne de 1 000 à 1 100 entailles par jour, à deux hommes. En raison de la faible quantité de neige au sol, il n’a pas eu besoin de chausser les raquettes. Malgré cette mince couche de neige, il pense être en mesure de conserver sa moyenne annuelle de 3,25 lb par entaille, se disant peu inquiet des changements climatiques.

« En bas de trois livres par entaille, je ne suis pas content, affirme-t-il. Les changements climatiques ne m’énervent pas. C’est la température du temps des sucres qui est importante. L’an dernier, malgré des 24 25 degrés, je n’ai fait que 5 barils de bougons (NC). On bat des records de température de 50 à 60 ans et, en théorie, on s’en va vers une période glaciaire. Ça ne veut pas dire pour autant de ne pas faire attention à l’environnement. Je ne me laisse pas traîner et je ramasse les vieux tubes, les vieux réservoirs d’huile. »

Muni d’une bouilloire au mazout de 5 pi x 14 pi, Francis obtient une production moyenne de 38 à 39 gallons à l’heure (gal/h). Chaque année, il dit travailler à améliorer sa performance, étant parvenu à réduire sa consommation de mazout de 21 à 14 gal/h, tout en conservant la même production. Sauf les premières années, il investit de 20 000 $ à 25 000 $ par an dans son érablière, persuadé que « la journée où tu arrêtes d’investir, tu recules ». Il profite donc de ses travaux d’aménagement forestier, répartis suivant un calendrier de 12 à 15 ans, pour remplacer la tubulure.

Confiance

À 28 ans, Francis Lessard dit avoir pleinement confiance en son secteur. Le rachat des parts de la coopérative Citadelle lui permet de profiter des barils, du transport et de l’assurance de sa production, « soit 25 000 $ dont je n’ai pas à m’occuper ». Il s’estime d’ailleurs chanceux d’avoir pu acquérir pareille entreprise avec un investissement personnel relativement minime. Fort d’un contingent et d’un prix fixe, « c’est plus facile à budgéter », croit-il, certain également que les institutions financières sont plus sensibles à ces éléments.

« La Financière, se réjouit-il, a prêté à un gars de 23 ans comme moi. Le projet est allé de l’avant, et je dois admettre que je m’attendais vraiment à pire. »

Politique agricole

Devenu administrateur de son syndicat local à Thetford-Mines, Francis porte maintenant attention sur l’adoption prochaine d’une politique agricole. D’entrée de jeu, il espère « qu’elle ne sera pas tablettée », confiant qu’elle permettra d’améliorer la perception de l’agriculture chez la population.

L’acériculteur fait valoir que, durant les années 1970, les produits d’ici occupaient près de 80 % de l’assiette des Québécois, contre un maigre 30 % aujourd’hui. « Nos produits ne sont pas moins bons pour autant », proteste-t-il, soulignant que leur prix accru correspond au souhait de la société quant à la protection de l’environnement.
S’il était ministre de l’Agriculture, Francis Lessard serait conscient qu’un « couteau à deux tranchants » pèse constamment sur sa tête, obligé « de ne pas donner plus à l’un qu’à l’autre ».

« Le défi d’un ministre, juge-t-il, c’est d’établir un prix pour chaque produit qui soit décent pour les producteurs agricoles. Quand on va avoir un juste prix, le but d’un ministre, c’est d’éliminer les subventions. Mais je ne suis pas à la veille d’entendre ça. La meilleure agriculture, c’est d’en vivre sans aide extérieure.

« J’ai bénéficié de l’aide au démarrage, reconnaît Francis Lessard, et c’est ce qui m’a permis de décoller. Pour moi, la mise en marché collective, c’est plus que bénéfique. Mais à la base, ça doit venir des producteurs eux-mêmes. »

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