Politique 5 septembre 2014

L’agriculture? « Oui, à 100 milles à l’heure »

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Tel que publié dans La Terre de chez nous

LES CÈDRES — « Si c’était à refaire, est-ce que je choisirais le métier d’agriculteur? Oui, à 100 milles à l’heure! »

Ces paroles de Loïc Dewavrin font sourire. D’abord parce que les Français d’origine parlent habituellement en utilisant le système métrique! Mais surtout, rien n’a été facile pour les frères Dewavrin qui ont décidé, il y a une quinzaine d’années, de convertir complètement au biologique la régie de leurs 600 hectares de grandes cultures.

« Le domaine du bio comportait très peu d’activités de recherche à l’époque, et c’était très stimulant d’être parmi les pionniers. Il a fallu comprendre ce type d’agriculture. Nous avons également dû adapter la machinerie; l’inventer parfois. Au final, nous avons grandi de nos échecs, même s’ils furent coûteux », se souvient Tomas, songeant à certains essais à trop grande échelle…

Des ressources, M. le ministre

Les propriétaires des Fermes Longprés affirment, convaincus, que la régie biologique représente l’avenir d’une agriculture durable au Québec. À ce sujet, s’ils avaient quelques minutes avec le ministre François Gendron, ils lui demanderaient de prendre les moyens pour augmenter le nombre d’entreprises qui effectuent la transition.

« La certification est essentielle à la crédibilité de nos produits, mais elle apeure plusieurs producteurs qui anticipent un processus laborieux. Le gouvernement devrait fournir des ressources afin de faciliter les démarches de certification des nouveaux agriculteurs », énonce Loïc.

Son frère Tomas assure que l’accompagnement terrain est également problématique. « D’un point de vue agronomique, nous sommes très bien entourés dans le bio. Mais plusieurs producteurs échouent dans leur transition à cause d’un manque d’accompagnement mécanique. Ce genre d’expertise, nous l’avons acquis après 15 ans de développement. Or, le taux de réussite des nouveaux producteurs serait supérieur s’ils pouvaient miser sur des techniciens terrain. »

L’utilisateur-payeur

Pointant les 50 hectares de soya qu’il s’est fait « décertifier » pour cause de dérive et, surtout, les pertes de revenus associées aux bandes tampons qu’il doit aménager afin de protéger ses cultures des applications voisines, Tomas Dewavrin demande au ministre de légiférer la dérive des pesticides. « Pourquoi est-ce à nous de payer pour les pratiques d’un voisin? L’Allemagne protège sa production biologique en imposant une amende aux producteurs fautifs de dérives. Je verrais bien un système semblable », précise-t-il.

Les frères Dewavrin soutiennent que si les produits biologiques se veulent plus dispendieux, c’est en partie parce qu’ils comprennent la facture environnementale. « Plusieurs cours d’eau présentent un taux élevé de polluants agricoles. Au bout du compte, les gens paient pour cette pollution. Le concept du pollueur-payeur prend force dans la société. Pourquoi ne pas l’appliquer aux utilisateurs de pesticides? » clame Loïc.

L’étiquetage : la clé

Dans leur bureau qui donne sur le Saint-Laurent, il règne un parfum de fierté. Les Dewarin ont relevé avec succès les défis du bio, mais ils retirent aussi une très grande satisfaction en vendant un produit apprécié de la population.

« Les gens se renseignent de plus en plus sur les propriétés des aliments qu’ils consomment, notamment les jeunes familles qui viennent ici à la ferme, soucieuses d’acheter des produits sans pesticides et sans OGM. Leurs commentaires positifs s’avèrent une source de motivation pour nous », témoigne Loïc.

Conscients du rôle majeur que joue le consommateur dans le développement de la filière biologique, les Dewavrin demanderaient au gouvernement d’instaurer un système d’étiquetage qui identifierait clairement la provenance de chaque aliment, le coût environnemental associé à sa production, la présence d’OGM, etc. « Il faut rendre l’information disponible afin que le consommateur puisse effectuer le bon choix. Actuellement, les gens ne savent pas ce qu’ils mangent », analyse Loïc.

Cinq hectares pour cinq personnes

Les Dewavrin participent à un projet atypique : ils cèdent une petite partie de leurs terres à cinq jeunes diplômés d’agronomie de l’Université M Gill. « Ils ont fondé une entreprise en production maraîchère afin de vendre des paniers bios. Nous leur louons du terrain et leur prêtons de l’équipement. En échange, ils nous fournissent en légumes! Cinq hectares, ce n’est pas énorme pour nous, mais cela a créé cinq emplois tout en tissant des liens avec ces jeunes et la communauté. Ce serait bien si d’autres grosses fermes du Québec partageaient un peu de terrain avec des jeunes! »

Appelons un chat un chat

Les Fermes Longprés ont plongé dans l’agriculture biologique sur billon au départ pour des raisons purement économiques. Par exemple, en n’employant ni pesticides ni engrais de synthèse et en appliquant une dose de fumier qui correspond à 40 % de leur possibilité de fertilisation, les Dewavrin ont réalisé des économies d’environ 100 $ par hectare. Les rendements s’avèrent légèrement moindres qu’en régie conventionnelle, mais les économies enregistrées, conjuguées aux prix généralement supérieurs des récoltes biologiques, ont pratiquement doublé leurs profits.

« Nous avons commencé la culture biologique sur nos pires terres, qui devenaient étonnamment les plus payantes! À ce moment, nous avons compris l’importance de la santé du sol et de la compaction… » se rappelle Tomas.

Face aux performances qu’il observe sur leurs 600 hectares, Loïc atteste que l’agriculture biologique pourrait être pratiquée à grande échelle au Québec. « Si nous sommes capables d’obtenir de bons rendements sans intrants, je ne vois pas pourquoi les autres producteurs n’y arriveraient pas. Le gouvernement doit se positionner sur des sujets sensibles, comme la pression de l’industrie, les OGM, etc. Cessons de se mettre la tête dans le sable. Je sais qu’il y a beaucoup d’emplois reliés à la commercialisation des pesticides et des engrais de synthèse, mais appelons un chat un chat : le lobby de l’industrie ne va pas nécessairement avec les intérêts des producteurs. Et sans pressions de l’industrie, le bio pourrait se développer beaucoup plus rapidement », conclut-il.

Ce qu’ils ont dit :

« Notre père nous a légué ses terres alors qu’il avait seulement 60 ans; un geste pour encourager la relève. J’ai alors dû choisir entre conserver mon emploi d’ingénieur ou rejoindre mes frères sur la ferme. J’ai choisi la ferme, et avec la qualité de vie que j’y retrouve, je ne le regrette vraiment pas! » – Loïc Dewavrin

« Le bio, c’est un investissement et un apprentissage à long terme. On dit que la transition c’est trois ans pour la terre, mais entre les deux oreilles, c’est plus que ça! » – Tomas Dewavrin

« Nous voulons accroître la transformation de nos grains à la ferme. En plus de l’huile de tournesol biologique, nous transformerons éventuellement nos céréales. C’est une façon de garder contact avec la clientèle; un lien avec la terre et la table. Aussi, en diversifiant l’entreprise, nous ajoutons des aspects qui pourront intéresser notre relève. » – Loïc Dewavrin

« La mise en marché s’effectue facilement dans le grain bio. Le problème consiste plutôt à combler la demande! » – Loïc Dewavrin

« Dans l’agriculture biologique, il y a beaucoup d’entraide et de partage d’information. Chez nous, lorsque notre père nous a offert l’entreprise, nous ne l’avons pas scindée en trois. C’est ce qui a fait notre force. Comme pour la Coop Agro-bio dont nous sommes membres; il y a des choses que nous ne pourrions faire seuls. Ensemble, nous y arrivons. » – Loïc Dewavrin

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