Politique 3 septembre 2014

« Il faut être capable de vivre de sa production »

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Tel que publié dans La Terre de chez nous

SAINT-ALEXIS-DE-MONTCALM — Chez la famille Wolfe, la production porcine ne représente pas seulement un gagne-pain.

C’est aussi une tradition qui se transmet de père en fils et… en filles! Toutefois, le patriarche, Gaston Wolfe, s’inquiète de ce que l’avenir réserve à sa relève.

Assis à la table de cuisine, Gaston Wolfe se tient fier, entouré de sa progéniture : l’aînée Caroline (30 ans), Sébastien (28 ans), Andréanne (25 ans) et le petit dernier, Alexandre, (24 ans). Pendant ce temps, les petits-enfants bourdonnent autour de la table. Carole Therrien, l’épouse de Gaston et « grande patronne », complète le portrait. Parents et enfants vaquent à la destinée des cinq compagnies qui composent Les Entreprises Wolfe, spécialisées en production porcine.

La ferme n’a cependant pas toujours eu cette envergure. En effet, en 1978, lorsqu’il quitte la ferme laitière paternelle pour voler de ses propres ailes, Gaston Wolfe ne possède qu’une quarantaine de truies et quelques arpents de terre. Au fil du temps, son élevage prend du galon. Aujourd’hui, il détient 1 000 truies et met en marché 25 000 porcs par an. Il cultive également plus de 800 hectares, principalement en maïs et en soya.

Au sein de l’entreprise, chaque enfant se charge d’un volet particulier, que ce soit l’engraissement, la pouponnière, la maternité ou les cultures. Pour sa part, Caroline exploite son propre élevage porcin avec son conjoint, mais donne un coup de pouce sur la ferme de sa famille. En digne chef d’orchestre, Carole, la maman, s’occupe de la comptabilité et de la gestion. « Moi, je suis le réparateur de troubles », ajoute, tout sourire, son époux.

Malgré la bonne humeur qui règne chez les Wolfe, les propos échangés ne sont guère réjouissants. « Ici, dans la région de Lanaudière, la production porcine de type familial a diminué d’au moins 30 % depuis cinq ans, constate Gaston Wolfe. Les éleveurs n’arrivent pas. Pas plus ici que dans d’autres régions. » La flambée des prix des intrants, principalement le maïs, n’est pas étrangère à l’accélération des disparitions d’entreprises porcines. « Nous avons beau dire qu’il faut être efficace, les porcs mangent du grain, pas de la broche », illustre le coloré personnage.

Ce dernier en a par ailleurs assez de se faire rebattre les oreilles avec la notion d’efficacité. « Il y a cinq ans, quand un producteur fermait ses portes, on se disait qu’il était peut-être moins efficace. Mais aujourd’hui, les entreprises qui cessent leurs activités sont efficaces. Ce sont des gens qui sont tannés de travailler pour rien », affirme-t-il.

Avec 28 porcelets sevrés/truie/année, les fermes Wolfe constituent un exemple de cette efficacité tant recherchée. « Nous sommes toujours en évolution », assure d’ailleurs Andréanne. « Nous n’avons pas le choix si nous voulons être efficaces », continue sa sœur Caroline.

Le recrutement et la rétention de la main-d’œuvre représentent aussi un défi quotidien.

« Au prix que nous recevons pour nos cochons, nous ne sommes pas capables de garder nos employés bien, bien longtemps. Quand tu réussis à produire 28 porcelets/truie/année, c’est parce qu’ils font bien leur travail. Ils ont beaucoup de responsabilités et ils méritent de gagner autant que dans la construction, mais nous ne sommes pas capables de leur offrir ce salaire », plaide l’éleveur, qui embauche cinq personnes, « mais ça en prendrait deux de plus pour que l’on ait un peu plus de liberté ».

La solution : la rentabilité

En tant que producteur de porcs indépendant, Gaston Wolfe se considère comme une espèce en voie d’extinction. Dans sa région, « les petits producteurs ont tous fermé leurs portes », constate-t-il, défilant les noms de plusieurs anciens confrères. Quelques-uns ont plutôt choisi de produire des animaux à forfait pour une compagnie d’intégration. « L’intégration, il y en a toujours eu, mais depuis cinq ans, toutes les faillites des fermes indépendantes sont rachetées par des intégrateurs », dépeint l’entrepreneur.

Pour sa part, Gaston Wolfe tient farouchement à demeurer maître chez lui. « Nous ne serons jamais des employés. Nous allons fermer nos portes avant », soutient-il. Jusqu’à présent, sa famille a réussi à éviter le pire. « C’est parce que nous cultivons. Sinon, nous serions en faillite, confie-t-il spontanément. Notre ferme qui cultive fait des dons à nos autres compagnies qui élèvent les porcs. »

Le producteur remarque un profond malaise dans l’industrie porcine concernant la répartition de la richesse dans la filière. « L’intégrateur possède tout : la truie, le porc, la meunerie, l’abattage et la transformation. Tu ne peux pas compétitionner avec lui », note celui qui réclame « que l’abattoir nous paie notre coût de production ».

M. Wolfe interpelle du même souffle le ministre de l’Agriculture, pour qui il n’a qu’un message : que les éleveurs obtiennent un juste prix pour leurs animaux afin d’être capables de vivre décemment de leur production. « La rentabilité, c’est l’avenir de notre secteur. Le gouvernement, dans sa future politique agricole, doit faire partager les profits dans la filière. Il faut que la tarte soit mieux partagée. »

Pour lui, les producteurs de porcs doivent aussi pouvoir choisir leur modèle d’affaires. « Est-ce qu’on veut que ce soient de grosses compagnies qui fassent de l’agriculture? Que ceux qui veulent se développer le fassent, mais que le gouvernement protège les fermes familiales. Pourquoi ça prendrait 3 000 truies pour vivre décemment de la production porcine? » demande-t-il.

L’éleveur croit également qu’il est temps de renouveler le contrat social entre les agriculteurs et le reste de la population québécoise. « Il faudrait rapprocher les gens de l’agriculture parce qu’ils en sont rendus bien loin. Ils aiment ça, manger un bon rôti, du bacon et de la saucisse, mais ils se préoccupent peu de ceux qui le produisent à l’autre bout. Je prétends que nous valons plus que ça, plaide-t-il. Autrefois, c’était le moins instruit de la famille qui prenait la relève de la ferme. Aujourd’hui, c’est le contraire. Les producteurs sont des hommes d’affaires. »

Un peu moins fier

Gaston Wolfe l’avoue d’emblée : les dernières années de crise ont étiolé son amour du métier. « Après 35 ans, Carole et moi aimerions bien ça, être capables de relaxer un peu plus, au lieu de faire des trains soir et matin et de travailler de 60 à 70 heures par semaine, confie l’homme de 56 ans. Nous pensions bien vivre de l’agriculture. Tous nos enfants ont pris le même chemin que nous, et nous en sommes fiers. Est-ce qu’ils ont fait un bon choix? Nous ne le savons plus, mais si l’entreprise existe encore dans quelques années, nous avons plusieurs petits-enfants », sourit le grand-père de six bambins « et 1/8 » parce que Andréanne attend le passage de la cigogne d’ici à quelques mois.

Ce qu’ils ont dit

« Il faut que le gouvernement intervienne pour qu’il y ait un meilleur partage de la richesse dans la filière. »

« Tu es chef d’entreprise. Tu brasses des millions et à la fin de l’année, tu as de la misère à arriver. »

« Il faut aimer ce métier, sinon nous ne serions plus là. »

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