D’une largeur de six pieds, les bandes intercalaires sont espacées à 120 pieds pour laisser passer la machinerie. La taille des arbres assure une croissance uniforme, ce qui permettra aux propriétaires de valoriser les billots d’ici quelques années. Photos : David Riendeau
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BAIE-DU-FEBVRE — Depuis des générations, les arbres sur le territoire ont été considérés comme des obstacles à l’agriculture qu’il a fallu couper, scier et dessoucher. Or, la science fournit de plus en plus d’indices que leur présence dans le paysage agricole procurerait plusieurs bénéfices aux cultures.
Certains producteurs, comme Jacques Côté, ont même décidé de leur accorder une plus grande place sur leur ferme. Depuis le chemin où elle se trouve à Baie-du-Febvre dans le Centre-du-Québec, la ferme Bertco ressemble à n’importe quelle exploitation laitière. Mais loin des regards indiscrets, une des parcelles de la ferme détonne des autres. Trois rangées espacées à 120 pieds accueillent une série de peupliers hybrides, de chênes rouges, d’érables à sucre, de noyers et de caryers au milieu du champ où l’on s’apprête à semer des engrais verts. « On a longtemps vu les arbres comme des obstacles, alors que bien gérés, ils peuvent nous être utiles », lance Jacques Côté.
Cette parcelle de huit hectares est devenue en quelque sorte un laboratoire à ciel ouvert pour l’agroforesterie au Québec. Après avoir commencé à implanter une haie brise-vent longue de 6 km sur sa ferme en 2005, Jacques Côté et son frère Marc ont accepté au printemps 2012 de développer une culture intercalaire en partenariat avec Agriculture et Agroalimentaire Canada. Le gouvernement fédéral assurait l’implantation des arbres et leur entretien, tandis que la ferme fournissait l’espace nécessaire et ouvrait ses portes à la recherche. Le choix des essences a été déterminé en fonction de leur potentiel de croissance.
« Nous étions déjà dans une démarche où nous voulions protéger nos sols tout en sauvant du temps sur nos opérations, notamment avec le semis direct, explique Jacques Côté. En faisant nos recherches, on a compris que l’agroforesterie pourrait nous aider à avoir des sols plus résilients et à assurer une meilleure protection pour nos céréales d’automne et nos luzernières. »
Des effets surprenants
Bien que l’implantation de ces arbres ait représenté une perte de surface de 3 % de la parcelle, le producteur laitier se dit très satisfait de ce qu’il constate sur le terrain. « Avec leurs racines, les arbres viennent puiser l’eau plus profondément et transforment la matière organique qui nourrit les cultures. Je remarque qu’il y a beaucoup plus de vie dans le sol et ça a un effet stabilisateur sur les rendements. En 2017, cette parcelle a été ma meilleure pour le maïs même si on avait eu un printemps pluvieux et l’année suivante, elle a fourni d’excellents résultats malgré un automne sec. »
Les résultats préliminaires d’une étude menée par une chercheuse de l’Université du Québec en Outaouais tendent à confirmer que la parcelle en culture intercalaire possédait une concentration d’organismes aidant à résister aux stress 25 % plus élevée qu’une autre parcelle sans arbre.
Un choix de société
Le producteur laitier reconnaît toutefois qu’il n’aurait pas le temps d’entretenir seul ces arbres s’il souhaite un jour les valoriser et éviter que les branches nuisent au passage de la machinerie. « Dans un monde idéal, est-ce qu’on ne pourrait pas compenser les producteurs qui plantent des arbres sur leurs fermes sous forme de crédit carbone? Peut-être qu’une coopérative de solidarité pourrait voir le jour et offrir un service clé en main avec la plantation et la taille des arbres. C’est une responsabilité qui ne devrait pas seulement revenir à l’agriculteur, mais à toute la société. »
Les arbres : un outil face aux changements climatiques
Le botaniste et chercheur au Jardin botanique de Montréal, Alain Cogliastro, croit que les agriculteurs gagneraient à associer plus souvent les arbres aux cultures et aux pâturages par le moyen de bandes riveraines, de haies brise-vent ou de cultures intercalaires. « Bien que l’agroforesterie implique une perte de 3 à 5 % de surface cultivable, des études démontrent que dans les années où il y a des épisodes de sécheresse plus importants, le gain sur les parcelles où il y a des arbres est supérieur à celles qui n’en possèdent pas. » Il rappelle que leur présence fournit également une litière racinaire et végétale ainsi qu’une protection contre la radiation du soleil et l’érosion.
« Les arbres sont un peu les mal-aimés de nos campagnes, résume Alain Cogliastro. Il n’y a pas si longtemps, on les a arrachés à la sueur de notre front, mais il faut penser que les arbres vont devenir une nécessité étant donné les événements extrêmes qui s’en viennent. Avoir un paysage plus complexe signifie avoir une terre plus résiliente. »