Forêts 5 décembre 2020

L’ultrafiltration entre dans les érablières

Commercialisation de l’eau d’érable pour différents usages. Obtention d’un sirop de meilleure qualité. L’ultrafiltration, une technologie déjà existante, a fait son entrée dans les érablières, pavant la voie à de nouvelles possibilités.

Qu’est-ce que l’ultrafiltration?

En alimentation, les techniques membranaires sont aujourd’hui largement utilisées – jus et concentrés de fruits et légumes, boissons, lait, bière, ovoproduits, etc. En ce qui concerne l’eau d’érable, l’ultrafiltration permet d’obtenir un produit exempt de microorganismes à 99,8 %. En traversant les pores d’une membrane, la sève ou le concentré sont débarrassés des levures, des moisissures et de la majorité des bactéries qui les composent, mais gardent leurs propriétés et deviennent plus purs. Ce traitement, combiné à la pasteurisation et au refroidissement, prolonge le temps de conservation de l’eau d’érable, donc la période d’entreposage et de transport. 

Source : PPAQ et H2O Innovation

Au cours des dernières années, la recherche en acériculture s’est accélérée. Cet essor émane de projets menés sur plusieurs fronts. Fruit d’une collaboration entre les Producteurs et productrices acéricoles du Québec (PPAQ), le Centre ACER, les équipementiers et les producteurs, l’ultrafiltration de l’eau d’érable figure parmi ceux-ci. Chargé de projet aux PPAQ, Dan Plamadeala parle d’innovation ouverte.

« L’idée consiste à créer de la connaissance publique dans un contexte où chacun met la main à la pâte, précise-t-il. La première ébauche d’un document que nous avons préparé a été transmise aux équipementiers en 2017 afin de les inviter à participer à un processus de démocratisation de l’eau d’érable. Il fallait faire en sorte que la technologie puisse devenir accessible même aux petits producteurs. »

Pour rappel, depuis sept ans, l’eau d’érable est commercialisée à l’initiative des PPAQ. Des projets de recherche avaient alors été financés par l’organisation pour élaborer des procédés permettant de l’embouteiller. Dans une volonté d’aller plus loin, une opération de stimulation de l’innovation visant la conservation du produit a ensuite été lancée. De là est née la technologie d’ultrafiltration de l’eau d’érable.   

Rendre la technologie accessible à tous

Actuellement, le liquide est surtout destiné à l’industrie du breuvage. « Pour ce marché, comme il est transporté dans des camions-citernes de 25 000 litres, il faut du volume et ça prend au moins 70 000 entailles pour pouvoir concentrer l’eau d’érable à 20 degrés Brix et en avoir assez », note Philippe Breton, adjoint à la recherche et développement chez Équipements Lapierre et lui-même acériculteur.

En 2019-2020, trois millions de litres d’eau ultrafiltrée – incluant le concentré – ont été vendus. Dans leur mission de faire prospérer l’industrie acéricole québécoise, les PPAQ souhaitent que la technologie soit disponible pour le plus grand nombre et que chaque membre, peu importe la taille de son érablière, ait la possibilité de l’obtenir. L’ultrafiltration, pour l’instant, est surtout une affaire de gros producteurs.

Vice-président des opérations chez H2O Innovation, Rock Gaulin estime qu’une dizaine de producteurs environ au Québec possèdent un système d’ultrafiltration. « Pour les 5 000 entailles et moins, ce ne sera probablement pas avant cinq ans. Quant à ceux qui ont déjà plongé dans l’aventure, ils ont fait le pari que comme ils sont les premiers, ils seront en avance lorsque le marché sera véritablement là. »

M. Gaulin insiste sur l’enjeu de conservation de la sève pour expliquer une percée plutôt timide du produit. « La saison des sucres ne dure que quelques semaines et certains gros clients comme les fabricants de boissons gazeuses n’embarquent pas parce qu’ils ne peuvent s’approvisionner à l’année. Il faut trouver une façon de conserver l’eau d’érable sur 12 mois, ce qui va ouvrir la porte à la distribution. »     

Dans ses démarches, l’équipementier CDL mise de son côté sur son laboratoire, une vitrine technologique de 6 000 entailles dotée d’une station de pompage où des tests sont effectués avec de nouveaux appareils. Un système d’ultrafiltration y a entre autres été installé pour mener des essais. Le travail est réalisé de concert avec le Centre ACER et quelques producteurs qui ont accepté de se prêter au jeu.

Pour Vallier Chabot, directeur général chez CDL, la technologie expérimentée depuis deux ans pour éliminer les microorganismes présents dans l’eau d’érable avec l’aide du Centre ACER est concluante. « Pour le moment, on doit prévoir entre 20 000 $ et 100 000 $ pour un système qui ressemble à l’osmose inverse, mais nous sommes en protocole d’essai plus qu’en phase de commercialisation. »

Luc Pépin a été l’un des premiers acériculteurs au Québec à utiliser la technologie d’ultrafiltration dans son érablière. Photo : Gracieuseté d’Érablière L.R.P.
Luc Pépin a été l’un des premiers acériculteurs au Québec à utiliser la technologie d’ultrafiltration dans son érablière. Photo : Gracieuseté d’Érablière L.R.P.

Augmenter la qualité de l’eau d’érable

Si la vente d’eau – ou de concentré – d’érable demeure la principale motivation des acériculteurs qui se tournent vers l’ultrafiltration, plusieurs y voient un outil de plus dans leur quête d’amélioration de la qualité du sirop. Les petits producteurs pourraient y recourir pour conserver l’eau et la faire bouillir uniquement lorsqu’un volume suffisant aura été recueilli ou pour faciliter le transport d’un lieu à un autre.

« Les machines devront être rapetissées, de même que les coûts de conception et de fabrication, pose comme condition Philippe Breton, d’Équipements Lapierre. Un producteur qui aurait la possibilité d’évaporer une seule fois par semaine ou de réduire son besoin de main-d’œuvre et le nombre d’heures travaillées y percevrait des avantages, mais est-ce que ça justifierait l’achat? Tout cela doit être mesuré. »

Copropriétaire de l’Érablière L.R.P. située à Saint-Robert-Bellarmin en Estrie, Luc Pépin est l’un des premiers producteurs à s’être procuré un système d’ultrafiltration au Québec. Il y a deux ans, celui qui exploite 125 000 entailles a décidé de faire le saut en raison d’un contrat signé avec une compagnie qui emploie l’eau d’érable pour sucrer ses boissons. Il se montre confiant en cet investissement pour l’avenir.

« C’est dispendieux, mais on était partants. On a consacré 200 000 $ au projet jusqu’ici, rapporte M. Pépin. Avant, des gens des PPAQ venaient sur place et déployaient leur équipement de filtration. À cause de la COVID-19 et des exportations au ralenti, ça n’a pas été bon cette année pour les breuvages, mais je me sers aussi du système pour le goût du sirop en début et fin de la saison et j’y regagne. »     

Après avoir compté au nombre de ceux qui ont fait entrer la technologie dans leur érablière, Jacques Dumont, lui, a choisi de se retirer, jugeant l’ultrafiltration non profitable. « Avec mes 30 000 entailles, je n’avais pas assez de volume pour le concentré et le petit impact sur la saveur du sirop n’en valait pas la peine. Vu l’investissement, il faudrait avoir de l’aide », soumet l’acériculteur de Roxton Pond. 


« Nul n’est prophète en son pays »  

Un peu partout dans le monde, la demande pour les sucres naturels connaît une forte croissance. Comme l’eau de coco, la sève et le concentré d’érable sont dans la course et représentent un potentiel économique très important.

Présentement, la technologie d’ultrafiltration est utilisée par des acériculteurs qui vendent de la sève – autour de 2 degrés Brix – pour l’embouteillage, de même que par certains clients qui désirent acheter un concentré entre 20 et 45 degrés Brix comme agent sucrant. L’intérêt du produit réside notamment dans son faible indice glycémique, son pouvoir sucrant supérieur à celui du sucre raffiné et sa production locale.

« La démocratisation de l’eau d’érable doit permettre de passer de 5 % à 95 % des producteurs qui pourront avoir accès à la technologie, lance Dan Plamadeala des PPAQ. Il faut garder à l’esprit que le marché du breuvage constitue une toute nouvelle branche de l’industrie. Dans une opération de diversification des produits, on va chercher des clients qui ne sont pas des consommateurs de sirop d’érable. »

Selon M. Plamadeala, à l’ère de la diabolisation du sucre, l’« hydratation santé » profite sans contredit de l’aura qu’a l’érable et de son origine végétale. « Précisons cependant que jusqu’à maintenant, 90 % de l’eau d’érable produite a été exportée et qu’elle est surtout prisée à l’étranger. Les Québécois vont sans doute l’adopter lorsqu’elle deviendra très populaire ailleurs, car nul n’est prophète en son pays! » 


Ce texte est paru dans l’édition de novembre 2020 du magazine Forêts de chez nous.