Élevage 14 février 2020

Des éleveurs de cerfs rouges au bord du gouffre

L’industrie du cerf rouge au Québec peine à se relever de l’arrêt des activités de la ferme Cerfs de Boileau, située à Grenville-sur-la-Rouge, dans les Laurentides, dont le troupeau a été abattu en entier en 2018 en raison de la maladie débilitante chronique (MDC) des cervidés. Les impacts de cette crise se font toujours sentir et poussent bon nombre d’éleveurs à renoncer à leur production.

Même le président de l’Association cerfs rouges du Québec, Gaétan Lehoux, se questionne sur ce qu’il fera de ses 200 femelles reproductrices dans un avenir rapproché. Celui qui vendait auparavant ses bêtes à Cerfs de Boileau se retrouve aujourd’hui sans clients et sans réelles possibilités, dit-il, de trouver de nouveaux acheteurs.

« Le mal est fait; on ne peut plus revenir en arrière », laisse tomber le producteur de Saint-Elzéar, dans Chaudière-Appalaches, assurant que la « mauvaise presse » et la « désinformation » entourant la contamination de la viande décourageraient encore aujourd’hui les restaurateurs qui n’osent pas s’en procurer localement, et ce, même si aucune étude ne prouve que la maladie est transmissible à l’humain.

« Notre association compte 25 membres actifs, et là-dessus, une dizaine songent à abandonner ou ont pris la décision d’abandonner », explique M. Lehoux. Bien que la majorité de ces producteurs ne vivent pas que de l’élevage de cerfs rouges, la situation est préoccupante, voire catastrophique pour l’industrie au Québec, souligne-t-il, affirmant qu’elle pourrait « ne jamais s’en remettre ».

Des fermes toujours en quarantaine

À ce jour, l’entreprise Cerfs de Boileau attend encore les indications de l’Agence canadienne d’inspection des aliments à savoir si des mesures de décontamination devront être nécessaires sur sa terre. Les activités de l’eexploitation reliées aux cerfs rouges sont sur la glace et ne seront sûrement pas relancées, prédit le directeur Denis Ferrer.

En 2018, neuf fermes d’élevage qui s’étaient procuré des animaux chez Cerfs de Boileau ont été mises en quarantaine par l’Agence. Les restrictions sur la vente des bêtes demeurent en vigueur aujourd’hui pour huit d’entre elles.

« Je n’ai acheté qu’un mâle reproducteur à Cerfs de Boileau. Finalement, il n’était même pas contaminé et je suis encore sous quarantaine », déplore Jean-François Théroux, producteur à Lanoraie, dans Lanaudière. Celui qui pratique l’élevage depuis 2008 possède encore un troupeau de 140 têtes qu’il ne peut vendre que pour l’abattoir. Comme l’option est peu profitable et que le marché ne semble pas sur le point de se redresser, il a pris la décision de se départir de ses animaux. « Je me spécialise avant tout dans le foin de commerce pour l’exportation. Les cerfs, c’est un à-côté, mais ça fait tout de même très mal. Je vais devoir me trouver un autre plan B. »

Pour sa part, Sylvie Van Dersmissen, propriétaire de 40 femelles reproductrices à Saint-Charles-sur-le-Richelieu, en Montérégie, a de la chance. Elle s’est récemment trouvé une boucherie comme nouvel acheteur pour ses bêtes. Mais le chemin pour y parvenir a été ardu. En 2018, elle a perdu son seul client alors que sa ferme ne faisait même pas partie du lot sous quarantaine. « C’était un restaurateur. Le cerf était leur plus gros vendeur. Quand la maladie a été détectée, il a décidé de retirer cette viande de son menu. Son idée était faite, il ne voulait plus en servir à sa clientèle », raconte l’éleveuse.

Selon Mario Giguère, éleveur à Thetford Mines, dans Chaudière-Appalaches, la situation ne s’améliorera pas. Le manque à gagner de 30 000 $, entre autres provoqué par le marché au ralenti et la perte de 10 clients importants, dit-il, auront eu raison de sa production. « Je voulais terminer mes jours avec l’élevage de cerfs rouges. J’ai finalement décidé d’arrêter d’ici novembre », indique celui dont le troupeau est passé de près de 300 bêtes à 200 en un an et demi.

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