Économie 29 novembre 2024

Des agriculteurs font de l’argent avec la paperasse

La paperasse et les formulaires horrifient plusieurs agriculteurs, mais il s’avère parfois profitable de remplir des formulaires de subvention afin d’empocher des sommes d’argent très intéressantes.

C’est le cas de Pierre-Luc Fleurent, un producteur laitier de Nicolet, dans le Centre-du-Québec. « Tu mets quatre ou cinq heures pour remplir une demande qui te donne une subvention de quelques milliers de dollars. Ça fait un bon salaire à l’heure », raisonne-t-il. 

Le Programme d’appui financier à la relève lui a permis de recevoir 50 000 $ de La Financière agricole du Québec pour la construction de son étable à taures. Le Programme d’investissement pour fermes laitières du fédéral lui a versé 60 000 $ pour la rénovation d’une ancienne grange et l’installation d’un nouveau système de mélangeur avec convoyeur. « 60 000 $ sur une facture de 120 000 $, ça nous a aidés pas mal », indique-t-il. Une partie de son sarcleur de 45 000 $ a été payée par une subvention du ministère de l’Agriculture du Québec (MAPAQ), tout comme l’épandeur à lisier de sa coopérative d’utilisation de matériel agricole (CUMA), dont l’achat a été subventionné à 50 % par le programme Initiative ministérielle Productivité végétale. Le MAPAQ et son Initiative ministérielle de rétribution des pratiques agroenvironnementales (RPA) lui ont versé près de 9 000 $ par année pour l’implantation d’engrais vert qui sont bénéfiques pour ses sols.

Benoît Laferrière insiste sur l’importance de rester sensé et ne pas acheter une machine de 200 000 $ à l’utilité discutable simplement pour profiter d’une subvention de 50 000 $.  Photo : Gracieuseté de Benoît Laferrière

Dernièrement, il a fait financer les améliorations d’une terre, comme le chaulage, le drainage et le nivellement, par le Programme Investissement croissance durable de la Financière. « Je reçois 10 %, deux fois par année, pendant trois ans, de ce que j’ai fait financer », souligne M. Fleurent. Au sujet de ce programme, il relate une discussion avec un confrère agriculteur.

Il me disait que c’était compliqué et trop de paperasse à remplir, mais moi, je lui ai dit que je n’étais pas capable de dire non à 10 000 $ pour quelques heures d’ouvrage dans le bureau!

Pierre-Luc Fleurent, producteur laitier

20 minutes pour aller chercher 12 000 $

À Saint-David, en Montérégie, Benoît Laferrière scrute les subventions autant pour sa propre ferme de 300 hectares que pour celle de ses clients, lui qui est conseiller agronomique indépendant. Certains programmes sont faciles à appliquer, comme la RPA, qui le subventionne pour ses plantes de couverture semées en intercalaire. « On va leur donner ça, ce programme n’est pas compliqué. Ça prend 20 minutes pour aller chercher 12 000 $ et ce sont des actions que j’aurais faites pareil, car les engrais verts, j’y crois », mentionne le producteur.

Après deux ans à magasiner une déchaumeuse, il a vu passer l’Initiative ministérielle Productivité végétale, qui lui a versé une subvention de 25 000 $ pour une machine se détaillant à 75 000 $. « Avec la subvention, ça devenait moins cher d’acheter une neuve qu’une usagée. Le calcul s’est fait assez vite », raconte-t-il. 

L’agronome fait valoir que d’autres subventions existent, même pour les salaires. « Il y a des programmes du fédéral. Si tu prends des jeunes ou des étudiants, tu peux aller chercher beaucoup d’argent. Ils payent 50 % du salaire pour un certain nombre de semaines », dit M. Laferrière, faisant référence au Programme d’emploi et de compétences des jeunes d’Agriculture et Agroalimentaire Canada ou du programme AGRI Talent du Conseil canadien pour les ressources humaines en agriculture.

« J’aime la paperasse »

L’agricultrice Maude Péloquin ne s’en cache pas; la paperasse est loin de la rebuter. « Moi, j’aime la paperasse, affirme-t-elle. Il y a de l’argent à faire là-dedans. » Avec son frère Renaud, elle prend les moyens pour se prévaloir de toutes les aides financières dont elle peut faire bénéficier son entreprise. « On est abonnés à toutes les infolettres possibles, celles du MAPAQ, de la Financière, de La Terre de chez nous, des Producteurs de grains du Québec. C’est comme ça qu’on voit passer les nouveaux programmes. J’ai aussi une bonne directrice de compte. Parfois, elle va en voir que je n’ai pas vu », dit la copropriétaire de la Ferme de Ste-Victoire, en Montérégie. 

Les programmes fonctionnent souvent selon le modèle « premier arrivé, premier servi », d’où l’importance d’être aux aguets et de préparer ses dossiers d’avance, dit-elle. Son frère et elle ont mis la main sur un soutien financier d’une valeur maximale de 7 500 $ par année du Fonds coopératif d’aide à la relève agricole. Avec l’arrivée éventuelle du renouvellement de leur prêt, ils appliqueront sur le Sécuri-Taux relève de la Financière, qui leur assurera un taux d’intérêt maximal de 4 % sur un prêt maximal de 500 000 $. Cette année, ils iront chercher de 10 000 à 15 000 $ avec la RPA de même qu’environ 10 000 $ avec le programme Agrisolutions climat. 

Le conseiller Benoît Laferrière dit qu’environ 20 % des producteurs sont très proactifs pour aller chercher les nouvelles subventions associées aux pratiques agroenvironnementales. Environ 60 % le font graduellement sous la recommandation de leurs conseillers, et 20 % « ne veulent rien savoir! » assure-t-il.



De la paperasse parfois inefficace

Si les subventions valent le coût, les formulaires et la paperasse permettant de les obtenir entraînent leur lot d’inefficacité, dit Raphaël Beauchemin, des Fermes JN Beauchemin & Fils, en Montérégie. « Les programmes ne s’additionnent pas. Il faut juger lequel nous habille le plus. Parfois, c’est mêlant. Chez nous, on se met à deux pour travailler là-dessus. Parfois, est-ce qu’on met 5 000 $ en temps pour aller chercher 15 000 $? C’est dans l’ordre du pensable. » Le producteur a aussi une pensée pour les contribuables.

Si c’est compliqué pour nous, au gouvernement, c’est pareil. Ils doivent entrer des données et gérer des formulaires. Pour nous donner 15 000 $, ça leur en coûte combien?

Raphaël Beauchemin, Fermes JN Beauchemin & Fils

Il ne voit pas les subventions comme un cadeau, mais comme un incitatif pour effectuer de la recherche et du développement en agroenvironnement notamment, car améliorer l’environnement profite à toute la ­population, plaide-t-il. 

L’une des meilleures subventions dont il a profité concerne un épandeur à taux variable payé à 50 % par le programme Initiative ministérielle Productivité végétale. Les efforts administratifs étaient raisonnables, dit-il, et l’équipement a réellement aidé son entreprise et l’environnement. Il se met d’ailleurs une note pour s’inscrire au nouveau programme Initiative ministérielle Productivité végétale annoncé le 26 novembre.