Actualités 9 mai 2020

Prévenir au lieu de subir

Les cultures sont constamment soumises à des épisodes météorologiques extrêmes de durée variable, obligeant une acclimatation constante. Quand le climat est en cavale et qu’on ne sait plus où donner de la tête, on doit apporter sur le champ des solutions spontanées de survie du troupeau. Toutefois, le développement de stratégies d’adaptation réfléchies s’avère aussi nécessaire pour mettre en place des solutions pérennes aux défis climatiques.

Au Québec, les plantes fourragères (famille des légumineuses et des graminées) occupent plus de la moitié des superficies cultivées et servent principalement pour les herbivores. En raison de son importante qualité nutritionnelle, le foin s’avère un aliment essentiel dans les fermes laitières et de veaux d’embouche, qui représentent plus des ­deux-tiers de la consommation de la province.

L’or des prairies

La productivité varie d’une prairie à l’autre, d’un fermier à l’autre, d’une région ou d’une saison à l’autre. Ainsi, l’écart de rendement se situe normalement entre 3 et 10 ou 12 tonnes à l’hectare. Outre les aléas du climat, cette différence s’explique notamment par les méthodes culturales, les espèces, la santé du sol ou encore la fertilisation.

Au cours des dernières années, la baisse du cheptel de vaches laitières et de bovins de boucheries, gros consommateurs de fourrages, a contribué à réduire les espaces dédiées aux prairies pérennes, laissant des étendues ­disponibles pour les céréales et protéagineux.

Pourtant, le foin s’est fait rare en 2017, 2018 et 2019. Les événements climatiques inhabituels ne seraient pas seuls en cause. D’autres facteurs ont accentué cette « crise » ­fourragère.

Ainsi, les superficies fourragères ont diminué de plus de 15 % depuis les années 2000. De plus, dans le même laps de temps, le Québec est passé de plus de 15 000 fermes laitières à environ 5 000 aujourd’hui. L’abandon des ­producteurs laitiers a entraîné un virage vers la production de céréales et d’oléagineux.

Allonger la période de pâturage contribue à diminuer les besoins en fourrages entreposés. Photo : Archives/TCN
Allonger la période de pâturage contribue à diminuer les besoins en fourrages entreposés. Photo : Archives/TCN

Un transfert de secteur

Du même coup, délaissant progressivement les cultures fourragères, les ressources (intrants, machinerie, conseillers, etc.) se sont tournées vers le secteur des grandes cultures et l’ont fait progresser (variété de grains, ­techniques, pesticides, expertise, etc.).

On constate par ailleurs diverses adaptations chez les éleveurs pour combler les besoins alimentaires de leur troupeau. Les champs ont changé de vocation : les espaces ­prévus pour le maïs grain ont été convertis en maïs fourrager ou encore les champs de céréales se sont transformés en fourrage.

De plus, pour nourrir leur troupeau, certains agriculteurs ont devancé la première coupe sur une partie des champs en dépit d’un stade de maturité limité. D’autres ont puisé dans leur réserve d’ensilage dont la fermentation était incomplète.

« Certains producteurs ont été dans l’obligation de vendre des animaux ou de les vendre plus jeunes pour ne pas avoir à les nourrir pendant l’hiver, se désole Huguette Martel, conseillère spécialisée en plantes fourragères au MAPAQ.  D’autres ont dû acheter du foin pour combler les besoins hivernaux. Dans des situations de pénurie, on observe que du foin de l’extérieur est transporté dans les régions concernées. Cette rareté crée, avec le principe de l’offre et de la demande, une augmentation des prix du foin sur le marché. »

Nouveaux semis

Les fortes canicules et le gel hivernal ont forcé le réensemencement de certaines prairies en plus d’occasionner des rendements inférieurs lors de l’année d’implantation. En plus des facteurs inhérents à la conduite des opérations, certains éléments extérieurs n’aident pas à la situation.

« Outre les conditions climatiques, on constate le désintérêt des producteurs, de l’industrie et des gouvernements pour les plantes fourragères pérennes, remarque Nathalie Gentesse, agronome et spécialiste en nutrition animale chez Belisle – Solution & Nutrition. Elles représentent trop de travail par rapport au maïs fourrager qui ne demande qu’une seule coupe, est plus stable et donne de gros rendements. »

En somme, le besoin d’augmenter les surfaces de prairies vivaces et de pâturages figure parmi les solutions aux dangers climatiques. Cette avenue s’avère à long terme primordiale, notamment contre l’érosion du sol et le lessivage des nutriments. En plus de fournir une couverture végétale à longueur d’année, les systèmes racinaires des végétaux qui y croissent absorbent l’azote et le phosphore tout en retenant l’eau de pluie.

Disposer sur le champ d’une réserve suffisante pour faire face aux mauvais jours devrait être le modus vivendi des producteurs. Photo : Éric Labonté/MAPAQ
Disposer sur le champ d’une réserve suffisante pour faire face aux mauvais jours devrait être le modus vivendi des producteurs. Photo : Éric Labonté/MAPAQ

Se faire des réserves

Disposer sur le champ d’une réserve suffisante pour faire face aux mauvais jours devrait être le modus vivendi des producteurs. Le bilan fourrager (plan fourrager, prévision de pâturage, etc.) constitue également un outil à adopter pour la bonne gestion du troupeau. On doit régulièrement estimer les besoins des animaux et évaluer les stocks disponibles pour effectuer les ajustements nécessaires en temps opportun. De plus, allonger la période de pâturage contribue à diminuer les besoins en fourrages entreposés.

Des plantes résilientes

Pour faire face à l’ennemi imprévisible qu’est la météo, atténuer les séquelles préjudiciables et exploiter les effets bénéfiques et les opportunités de la crise font partie des solutions à moyen et long terme. En effet,  le fait de s’adapter à la situation et à ses impacts constitue une avenue pour prévenir une autre rareté. Certains végétaux « rustiques » ­(ex : l’alpiste roseau) s’adaptent à des conditions inhabituelles et aident à passer à travers la tempête avec moins de conséquences.

« Une plante ou un mélange fourrager résilient résistera davantage à un stress important (ex : sécheresse ou gel hivernal) et elle aura également la capacité de se relever rapidement après ce stress, estime Mme Martel. Cette approche ne procurera pas les rendements les plus élevés possibles, mais assurera une stabilité dans le temps. »

Devant ce constat, on peut s’attendre à ce que la demande pour des cultivars résistants aux frappes météo, mais également aux dégâts causés par les insectes et les maladies sera plus élevée à l’avenir, obligeant les semenciers à s’y ajuster.

Les prairies pérennes demeurent la principale source d’aliments pour vaches laitières et bovines. Leurs bénéfices exercent une influence non seulement sur la consommation animale, mais plus globalement sur la qualité des sols, la biodiversité en général et le développement durable de l’agriculture au Québec. 

Roger Riendeau, collaboration spéciale