Actualités 28 mars 2020

Les plantes et leurs microbes : un univers de possibilités

Infiniment petits et pourtant, si essentiels. Largement méconnus il y a encore quelques années, les microbes associés aux plantes sont appelés à occuper une place grandissante dans la gestion des cultures à mesure que la science comprend mieux leur rôle.

Lorsque Don L. Smith souhaite illustrer l’énorme potentiel des microbes associés aux plantes, le professeur émérite en sciences végétales de l’Université McGill prend pour exemple le magnifique orme centenaire qui pousse sur la terre familiale à l’île du Cap-Breton. « À vue d’œil, cet arbre possède une biomasse visible de 10 tonnes et tout autant en racines. Chaque gramme de racines sert d’hôte à un nombre de microbes équivalent à la population mondiale. En tout, on retrouve environ 1 000 billions de microbes dans ce seul arbre. Imaginez le bassin de connaissances que cela représente! »

Le professeur émérite de  l’Université McGill Don L. Smith a consacré plus de 30 ans à étudier les interactions plantes-microbes.
Le professeur émérite de l’Université McGill Don L. Smith a consacré plus de 30 ans à étudier les interactions plantes-microbes.

En tant qu’organismes vivants, les plantes ressemblent beaucoup aux êtres humains, explique Don L. Smith, qui a prononcé une conférence sur les plantes et leurs microbes à l’occasion du Rendez-vous végétal, le 12 février à Saint-Hyacinthe. « Tout comme les humains, les plantes ont des microbes qui leur sont associés. Ces microbes offrent des services spécifiques aux plantes, qui leur donnent en retour un milieu de vie. »

Une panoplie de services

Pour chaque partie de la plante, on retrouve une communauté de microbes qui accomplit un large éventail de services comme renouveler les nutriments, contrôler les maladies, réduire l’accumulation du CO2 atmosphérique, améliorer la structure du sol ou les propriétés de rétention d’eau et de nutriments. Les cinq premiers centimètres du sol sont d’ailleurs d’une importance capitale dans cette relation puisque cette couche abrite 75 % des microbes associés aux plantes. « Une population microbienne grande et diversifiée est un signe d’un sol en santé, et une bonne gestion du sol permet de fournir l’énergie, les nutriments, l’eau et l’oxygène dont elle a besoin. »

Dans le contexte des changements climatiques, le professeur Smith estime que l’agriculture doit inclure dans l’équation les microbes associés aux plantes. « Il est impératif de développer des intrants qui viendront appuyer le travail de la population microbienne pour améliorer la tolérance au stress de la plante, produire des cultures résilientes et réduire les gaz à effet de serre », insiste-t-il.

Parmi les pistes de solutions qui existent pour restaurer les sols, le professeur Smith mentionne l’ajout de fumier ou de résidus de culture pour nourrir les microbes, l’adoption de pratiques comme la culture de couverture et l’inoculation du sol et des plantes. « L’ajout de petites quantités de matériaux peut améliorer la croissance des cultures et rehausser la résistance au stress, et ce, à un faible coût. »

L’exemple du soya

Les travaux sur la fève de soya réalisés ces dernières années par le ­professeur Smith et son équipe fournissent un exemple intéressant du rôle que peuvent jouer les microbes sur le rendement des cultures.

Cultivée depuis des milliers d’années sous les tropiques et dans les zones subtropicales, la fève de soya a un métabolisme adapté à des températures relativement chaudes, la température optimale pour la nodulation du soya se situant habituellement entre 25 et 30 °C.

« Nous avons observé que les plants de soya dans les conditions de terrain du Québec ont souvent l’air vert pâle pendant plusieurs semaines après que l’azote dans la graine d’origine a été dépensé. Après cela, ils reverdissent. Nous nous sommes demandé si la nodulation était inhibée par les basses températures du sol en début de ­saison. »

Après vérification, le professeur Smith et son équipe ont constaté qu’effectivement, les basses températures de la zone racinaire ralentissaient le début de la fixation de l’azote parce qu’elles perturbaient la première étape de la nodulation.

À défaut de pouvoir contrôler la température des sols, les chercheurs ont inoculé les plants avec des Bradyrhizobium japonicum, des bac­té­ries fixatri­ces d’azote auxquelles a été ajoutée une molécule de la famille des flavonoïdes appelée génistéine. Une fois à l’intérieur des plants, ces bactéries ont commencé à produire et à excréter des signaux de retour, les lipochitooligosaccharides (LCO). Résultat : l’inoculation a permis aux plants de fixer l’azote de quatre à cinq jours plus tôt, assurant une augmentation de rendement de 10 à 20 %, résume le professeur Smith, dont la découverte a mené au dépôt d’un brevet et à sa commercialisation grâce à la création d’une entreprise dérivée, Bios Agriculture inc.

Mais une autre surprise attendait le chercheur et son équipe. Les années suivant cette découverte, des étudiants ont observé une émergence hâtive dans les champs où la génistéine avait été appliquée. Intrigués, ils ont mené une expérience qui consistait à placer des graines de soya dans l’eau. Certaines étaient traitées avec la molécule génistéine, d’autres avec la bactérie Bradyrhizobium japonicum et un troisième groupe avec la bactérie et la molécule. « De ces traitements, seul le troisième a accéléré la germination. On a pu comprendre que les LCO, le signal bactérie à plante, était l’élément actif derrière ce phénomène. »

Forts de cette conclusion, ils ont pu documenter par la suite les effets ­stimulants des signaux de retour LCO sur la croissance des plantes autres que les légumineuses comme le maïs, le coton et la betterave.

Une solution de rechange aux flavonoïdes

Toutefois, deux obstacles limitent l’utilisation à plus grande échelle de la génistéine. Les flavonoïdes, famille dont la molécule fait partie, coûtent très cher – jusqu’à 1 000 $ le milligramme – et endommagent les cellules rhizobiales.

« Un de mes étudiants a lu un article scientifique qui suggérait que l’acide jasmonique, une hormone présente dans les végétaux, pouvait également déclencher les gènes liés à la fixation d’azote dans les Bradyrhizobium japonicum. Nos tests se sont avérés très concluants puisqu’en plus de déclencher le signal de retour LCO, l’acide jasmonique est beaucoup moins coûteux et n’endommage pas les cellules rhizobiales », explique le professeur Smith, ajoutant que cette découverte a également été commercialisée.

Un vaste potentiel

Hormis l’exemple du soya, plusieurs cas ont récemment démontré l’utilité des microbes. Une expérience menée pendant trois ans sur le cultivar Cave-in-Rock de panic érigé, utilisé comme matière première de biocarburant, a pu prouver l’efficacité de deux molécules (LCO et thuricin 17) sur l’amélioration de la croissance et le développement des plantes. Dans une autre expérience, la croissance de plantes sélectionnées favorisant la rhizobactérie a augmenté le rendement jusqu’à 40 % au cours de la première année. Bref, les microbes associés aux plantes sont loin d’avoir livré tous leurs secrets.

« Même si la recherche dans ce domaine est relativement récente et qu’il faut s’attendre à voir beaucoup de travaux là-dessus d’ici les 10 ou 20 prochaines années, on a compris une chose essentielle : le facteur de contrôle le plus puissant se trouve dans la plante elle-même », conclut le professeur. 

David Riendeau, collaboration spéciale