Régions 25 septembre 2019

Les produits sous appellation progressent au Québec

Les appellations réservées, un concept qui protège l’authenticité d’une production agricole, ont le vent dans les voiles, après avoir traversé une période difficile marquée par le sous-financement gouvernemental.

On se rappellera qu’en février 2017, Anne-Marie Granger Godbout, l’ex-directrice du Conseil des appellations réservées et des termes valorisants (CARTV) avait démissionné, exaspérée entre autres de devoir payer ses employés à l’aide de la marge de crédit de cet organisme créé par le gouvernement québécois. Or, voilà que les choses ont changé.

Différents groupes de producteurs mentionnent à La Terre obtenir un meilleur soutien de l’État à la fois pour leur projet d’appellation et le CARTV. Le 5 septembre, le présent gouvernement a d’ailleurs octroyé 238 755 $ à deux projets d’appellations (Vin de glace et Vin du Québec).

Popularité grandissante

Au-delà du financement accru, plusieurs produits sous appellation connaissent eux-mêmes une popularité grandissante auprès de la population. « Les appellations ont connu un boost dernièrement. Je crois que c’est surtout l’arrivée de l’IGP [Indication géographique protégée] sur les vins qui a fait connaître davantage ce concept », témoigne le vigneron Jean Joly, qui a siégé pendant six ans au conseil d’administration du CARTV. Évidemment, les produits sous appellation ne connaissent pas tous la même popularité. Voici un portrait de la situation globale. 


RECONNUS

Agneau de Charlevoix (IGP)
Reconnue officiellement depuis le 21 mars 2009

Exigences : L’agneau de Charlevoix doit être né et élevé dans la région de Charlevoix et son alimentation de base doit être produite localement.
« Ça va super bien. La demande est là. On en vend principalement au kiosque à la ferme et aussi à des restos. L’appellation nous aide. Je dirais que 50 % des gens viennent pour ça. On est dans un bel élan », affirme Annie Bérubé, copropriétaire d’un élevage certifié et d’une petite entreprise de transformation des viandes. Cet engouement s’avère salutaire, surtout que six éleveurs sur sept ont abandonné le projet de l’agneau de Charlevoix il y a deux ans, faute de rentabilité. La croissance des ventes d’agneaux de Mme Bérubé et de son conjoint leur a même permis de réintégrer un ancien éleveur.

Maïs sucré de Neuville (IGP)
Reconnue officiellement depuis le 14 juin 2017

Exigences : Ce maïs doit être cultivé, récolté et conditionné par des entreprises obligatoirement situées à Neuville, dans la région de Portneuf. Il ne peut être conservé plus de 12 heures sans refroidissement ni réfrigéré plus de 48 heures.
« Ça porte fruit. L’IGP a un impact », affirme le producteur de maïs de Neuville Gaétan Gaudreau. « Les clients s’informent. Ils veulent voir le logo [de la certification] et ça paraît dans les ventes. Des gens nous ont appelés pour de grosses épluchettes. Ils voulaient absolument du maïs certifié pour leurs invités », explique-t-il. La dizaine de producteurs qui ont souscrit à l’appellation ne suffisent pas à la demande, estime M. Gaudreau. Il se réjouit aussi qu’il y ait moins de problèmes de fraude. « Des producteurs qui n’étaient pas de Neuville vendaient du maïs de Neuville cet été. C’est le fun, on n’a pas eu besoin de courir après eux, le CARTV s’en est occupé », résume-t-il.

Vin du Québec (IGP)
Reconnue officiellement depuis le 17 novembre 2018

Exigences : Tous les raisins doivent provenir du Québec et un minimum de 50 % doit être issu du vignoble où est conçu le vin. Avant que le vin soit certifié, un comité valide sa qualité en le goûtant à l’aveugle.
Pas moins de 42 vignerons produisent aujourd’hui au moins un vin certifié par l’appellation Vin du Québec. Selon Yvan Quirion, président du Conseil des vins du Québec, il s’agit d’une croissance importante. « On est rendus à 1,2 million de bouteilles certifiées, soit presque 50 % de toutes celles qui sont produites au Québec. C’est une maudite bonne nouvelle », affirme-t-il. Les critiques en vins ont vu tout le sérieux des vignerons québécois, ajoute M. Quirion. « L’appellation, c’est ce qui a commencé à créer le buzz qu’on connaît autour des vins du Québec », analyse-t-il. Des appellations seront éventuellement développées pour les vins d’une région afin de mettre plus spécifiquement en évidence les terroirs québécois.

Fromage de vache de race Canadienne (AS)
Reconnue officiellement depuis le 9 mars 2016

Exigences : Ce fromage doit être fait de lait de vache de race Canadienne et conserver des propriétés spécifiques de ce lait au cours des étapes d’élaboration.
Les animaux doivent tous être des pur-sang.
« L’appellation est en fonction, mais ça n’a pas levé encore. On est au point de départ », dit avec déception Mario Duchesne, coordonnateur de l’Association de mise en valeur de la race bovine Canadienne. La fromagerie le Pied-De-Vent aux Îles-de-la-Madeleine et la Laiterie Charlevoix produisent des fromages faits de lait de vaches de race Canadienne, mais les volumes demeurent limités. « Il reste seulement cinq troupeaux de vaches Canadiennes pur sang au Canada [principalement au Québec]. Il faut plus de vaches et il faut une fromagerie qui sera une locomotive, qui travaillera avec des microfromageries pour mettre en marché des fromages d’exception provenant du lait de vache de race Canadienne. C’est ça l’avenir », explique M. Duchesne.

Vin de glace du Québec et cidre de glace (IGP)
Reconnue officiellement depuis le 30 décembre 2014

Exigences : Le vin de glace doit être fait exclusivement à partir de raisins du Québec ayant gelé naturellement sur la vigne. Le cidre de glace doit être obtenu à partir de pommes cultivées au Québec, dont les sucres sont préalablement concentrés uniquement par le froid naturel.
Moins d’une dizaine de producteurs confectionnent soit du vin ou du cidre de glace. « L’IGP est nécessaire : il a permis d’augmenter la notoriété de nos vins de glace. Juste ici au Québec, la SAQ croit énormément aux appellations. L’IGP a contribué à maintenir nos ventes, contrairement à l’Ontario où elles sont en baisse », mentionne le vigneron Jean Joly. De son côté, le cidriculteur Jean-Pierre Potelle affirme que 75 % des bouteilles de cidre de glace sont sous l’appellation. Son association de cidriculteurs travaille à redéfinir le cahier des charges de l’appellation afin d’enlever des éléments de confusion et de le rendre obligatoire pour tous.


D’autres projets en cours

Fromage fermier (TV)

« On s’est entendus sur les détails [distance maximale permise entre la ferme et sa fromagerie pour que le fromage soit encore considéré comme fermier, etc.]. Le cahier des charges est prêt, tout est canné. Il manque juste l’approbation du gouvernement. » – Normand Côté, président de l’Association des fromagers artisans du Québec

Cheddar de l’Île-aux-Grues (IGP)

« Un cahier des charges a été monté, mais le projet d’appellation est sur la glace. Le marché du cheddar étant ultraconcurrentiel. Il a fallu se concentrer sur le développement de nouveaux produits fins et stabiliser nos approvisionnements en lait. On verra un jour pour l’appellation. » – Daniel Leduc, directeur de la Fromagerie île-aux-Grues

Volaille Chantecler de tradition (AS)

« L’appellation va représenter la viande et les œufs de poules Chanteclerc [une race patrimoniale dont il ne reste que 1 500 individus]. Le cahier des charges est réalisé, mais nous devons restructurer le protocole sanitaire et ajuster l’alimentation [des poules] basée sur des écrits anciens. On vise une mise en marché en 2022. » – David Auclair, président de la Fédération des races patrimoniales du Québec

Poisson et fruit de mer fumés à la fumée naturelle de bois (TV)

« On voulait se démarquer en respectant les règles de l’art. Nos produits auraient été fumés naturellement contrairement à ceux traités artificiellement par injection de fumée liquide, par exemple. Mais on abandonne le projet; il y a trop de contraintes techniques [pour l’élaboration des critères d’application de la certification]. » – Laura Boivin, propriétaire du Fumoir Grizzly

Les appellations : quelles sont-elles?

Le concept d’appellation, très connu en Europe, mais peu au Québec, protège l’authenticité d’un produit, apporte une valeur ajoutée et le rend admissible à des subventions du gouvernement pour en faire la promotion.

Seul ce dernier peut reconnaître une appellation ou un terme valorisant. Leur utilisation est ensuite contrôlée par un certificateur indépendant (ex. : Ecocert) et protégé par le gouvernement par l’entremise du Conseil des appellations réservées et des termes valorisants (CARTV). Voici ce que signifient les différentes catégories d’appellations réservées.

Appellation de spécificité (AS) : Le produit présente des spécificités traditionnelles ou un savoir-faire particulier, comme le fromage de vache de race Canadienne, par exemple.

Indication géographique protégée (IGP) : Le produit présente des caractéristiques particulières attribuables à sa région de production. Seule l’étape d’élaboration du produit qui lui donne ses caractéristiques doit être obligatoirement réalisée dans la région.

Appellation d’origine (AO) : Les caractéristiques géographiques définissent la spécificité et la personnalité du produit. La totalité des opérations d’élaboration du produit doit être réalisée dans la région.

Le mode de production : C’est la reconnaissance d’une certaine manière de produire qui met en œuvre des techniques différentes et des contraintes de production, comme l’appellation biologique, par exemple.

Terme valorisant (TV) : Il ne s’agit pas ici d’une appellation. Le terme valorisant est différent et cible une caractéristique particulière d’un produit généralement liée à une méthode de production ou de préparation recherchée par le consommateur, comme les fromages fermiers, par exemple.