Vie rurale 11 avril 2019

Qui prend mari prend pays

Cet ancien adage est monnaie courante en agriculture, car une ferme, ça se déménage très mal. Je n’ai pas choisi où j’allais atterrir, mais seulement la personne avec qui je voulais partager ma vie. Pour emménager avec lui, je devais vendre ma maison et partir vers l’inconnu. Malgré le fait qu’il était actionnaire de l’exploitation familiale avec ses parents, nous avons travaillé à l’extérieur les premières années. L’automne, il aidait aux labours, l’hiver, au bûchage et le printemps, aux sucres. Moi, je participais aux tâches les fins de semaine ou lors de mes congés.

Après quelques années, j’ai décidé de me réorienter. J’ai commencé des études à la maison afin d’être plus présente. En 2014, mon beau-père a reçu un diagnostic de cancer. Mon conjoint a donc quitté son emploi pour prendre la relève de la ferme au pied levé, début mai, alors que j’étudiais, tout comme nos deux enfants. Nous avons vécu de façon rudimentaire à la cabane à sucre durant sept mois.

Demeurer dans un nouvel environnement, c’est angoissant et déstabilisant. J’étais déracinée et je ne me sentais chez moi nulle part.

Lueur d’espoir : l’achat d’une maison. Or, nous n’avons jamais pu y résider. S’est ensuivie une saga judiciaire de plus de quatre ans qui a entraîné une grosse perte d’argent et de temps en plus de causer beaucoup de stress. 

Nous étions de retour au point de départ, sans logis, puisque la cabane n’est habitable que trois saisons par année.

Miracle en décembre : nous avons trouvé une maison à louer près de la ferme. Deux ans plus tard, nous avons finalement acheté celle que nous convoitions depuis longtemps, près des terres sur le rang plus haut. Enfin un peu de stabilité.

Je pourrais écrire un roman au sujet des péripéties vécues depuis 2014.

À travers toutes ces expériences, je constate que l’amour que nous éprouvons l’un pour l’autre nous a tenus au chaud et au sec alors que la tempête s’acharnait sur nous.

Cette campagne n’était pas la mienne. Cette terre ne m’a pas vu naître, ni mes parents, ni mes grands-parents, ni mes arrière-grands-parents. Ici, j’étais une personne déracinée qui étouffait parfois d’avoir les racines nues ou même coupées.

Chaque jour est un pas de plus pour planter mes racines dans ma nouvelle réalité, par ses défis, ses surprises et ses petits bonheurs. Chaque jour, mes racines s’enfoncent de plus en plus dans leur terre. Pour ces raisons, je m’implante par amour et pour l’amour.

La terre de mon homme ne sera jamais la mienne. Mais elle m’est chère autant qu’elle l’est pour lui. C’est à moi de m’impliquer pour qu’elle me ressemble, qu’elle devienne celle de nos enfants et de ceux qu’ils auront à leur tour, et qu’ils se sentent enfin à la maison.

J’ai finalement compris que j’avais pris mari, et que, maintenant, j’étais éprise de son pays. 

Mylene Surprenant, Agrimom