Régions 27 mars 2019

Mirabel, une plaie toujours ouverte

Il y a des jours qui vous marquent plus que d’autres. Le 27 mars 1969 fait partie de ceux-là pour Robert Huot, alors jeune adolescent. « Je revois ma professeur en larmes, le village rempli de journalistes et de caméras de télé et de la panique qui a pris tout le monde, se souvient-il. À partir de ce moment, il y a comme une insécurité qui s’est installée un peu partout ».

Albert Gingras, lui, avait 12 ans à l’époque. Son père, un producteur de lait, d’œufs et de fraises, était l’un des premiers de la région à avoir fait drainer sa terre. « Il avait la tête remplie de projets pour sa ferme, se souvient son fils. Puis lorsque l’annonce de l’expropriation est venue, tout s’est éteint. J’ai vu mon père mourir une première fois. »

Ce jour-là, à la radio, on annonce la construction prochaine d’un grand aéroport, une construction qui nécessite des expropriations sur 97 000 acres, soit une fois et demi la superficie de l’île Jésus (Laval). La nouvelle se répand comme une traînée de poudre dans les 16 paroisses de la région. « C’est seulement le lendemain, en regardant la liste des lots dans La Presse, qu’on a eu la confirmation qu’on était touché », se souvient pour sa part Françoise Drapeau-Monette, fille d’exproprié.

D’un coup, la vie de 1 700 familles bascule. « Tout s’est passé très rapidement », se souvient M. Huot. Mon père a vendu ses animaux pour presque rien, puis on est parti à l’automne. La maison a été brûlée juste après. » Les pilleurs se sont aussi mis de la partie. « C’était rendu qu’on gardait toujours une personne à la maison, même le dimanche pendant la messe, parce que des gens venaient se servir », se souvient M. Gingras. Comme bon nombre de producteurs expropriés, mais non expulsés, son père passa de propriétaire de sa maison, à locataire, et ce, durant plusieurs années.

Un Centre pour se rappeler

Cinquante ans plus tard, la poussière n’a toujours pas fini de retomber sur la région de Mirabel, malgré une petite victoire en chemin. Le 27 mars 1985, suite à un mouvement de contestation mené par Jean-Paul Raymond, dit « le chêne », les expropriés et leur succession ont obtenu du gouvernement fédéral la rétrocession de 84 000 acres de terres expropriées en trop.

Alors jeune avocate, Denise Beaudoin avait défendu la cause des expropriés en cours. Ceux-ci avaient choisi de placer leur loyer en fiducie afin de protester contre leur situation. « C’était une période effervescente, se souvient-elle. Les producteurs y allaient de coups d’éclat, comme d’apporter du bétail au palais de justice. »

Aujourd’hui, elle pilote le projet Mémoire collective pour s’assurer qu’on n’oublie jamais le drame vécu par plus de 10 000 personnes de la région. Son groupe a notamment pour objectif de créer un Centre d’interprétation sur les expropriations de Mirabel où seront stockés des archives et des documents racontant cette histoire. L’équipe de bénévoles derrière le projet sillonne d’ailleurs la région depuis 5 ans afin de recueillir les témoignages vidéo des expropriés et de leurs enfants.

Pour assurer la pérennité du projet, l’organisation mène présentement une campagne de sociofinancement pour assurer la création d’un centre d’interprétation et payer les salaires d’un archiviste et d’un vidéaste-monteur. Le groupe souhaite aussi financer la création d’une œuvre commémorative du sculpteur Armand Vaillancourt qui prendrait place idéalement près du centre. « La maquette est prête, et il ne manque que l’argent pour acheter les matériaux », explique Mme Beaudoin, qui chiffre le coût seul de l’œuvre à plus de 300 000 dollars.

En ce 27 mars 2019, en début d’après-midi, son groupe marquera le coup : les cloches de toutes les églises de la région sonneront à l’unisson pour souligner cet événement qui aura marqué le Québec moderne.

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