Forêts 18 mars 2019

Comment évaluer le potentiel forestier d’un lot boisé

Quels sont les éléments qu’un futur propriétaire forestier doit considérer lorsqu’il veut acquérir un lot boisé? Quels sont les facteurs qui permettront d’en maximiser la valeur s’il décide un jour de le revendre?

Pour en savoir plus, Forêts de chez nous est allé à la rencontre de deux ingénieurs forestiers, les seuls experts qualifiés pour réaliser un inventaire de la forêt et en déterminer la valeur potentielle. « On doit regarder le type de peuplements forestiers, les essences présentes ainsi que le volume de bois mature et la qualité du bois », estime Patrick Lupien, responsable de l’aménagement forestier et agroforestier au Syndicat des producteurs de bois de la Mauricie (SPBM). Un autre aspect important à vérifier pour évaluer le potentiel forestier d’une terre est la possibilité de mettre son bois en marché. « On peut avoir une belle diversité d’essences, mais s’il n’y a pas d’usines pour acheter le bois, le potentiel économique sera fortement diminué. » 

« Si on ne trouve pas preneur pour une essence de bois, ça va être considéré comme une perte lors des opérations forestières », renchérit Julie Létourneau, responsable des évaluations à l’Association des propriétaires de boisés de la Beauce (APBB). L’ingénieure forestière cite l’exemple de l’épinette de Norvège, qui s’est retrouvée sans débouché il y a quelques années lorsque plusieurs papetières ont fermé au Québec. 

Avec l’aide de photos aériennes et de travail sur le terrain, l’ingénieur forestier peut identifier les peuplements forestiers et estimer le volume de bois que le propriétaire pourra récolter. L’exercice peut aussi être mené pour évaluer les revenus futurs d’une plantation ou d’un peuplement qui n’ont pas encore atteint la maturité.  

Dans le cas d’une érablière, l’ingénieur forestier calculera le nombre d’entailles possibles pour déterminer les revenus acéricoles potentiels. « Mais à moins que l’évaluateur possède aussi le titre d’évaluateur agréé, son évaluation ne tient pas compte des habitations qui se trouvent sur un lot. Même chose pour les érablières; nous n’accordons pas de valeur à la tubulure, aux équipements et à la cabane », souligne l’ingénieure forestière. 

À moins d’être également évaluateur agréé, un ingénieur forestier pourra évaluer le potentiel acéricole d’une érablière, mais pas les équipements et la cabane. Crédit photo : Bernard Lepage
À moins d’être également évaluateur agréé, un ingénieur forestier pourra évaluer le potentiel acéricole d’une érablière, mais pas les équipements et la cabane. Crédit photo : Bernard Lepage

Accéder au lot… et aux arbres

L’accessibilité de la propriété est évidemment un facteur important. Un lot enclavé, même avec une servitude donnant un droit d’accès, demeure toujours plus à risque. 

Avoir accès à son boisé est une chose, accéder à la ressource en est une autre. La présence et la qualité des chemins forestiers sont donc des éléments à vérifier. « Est-ce que c’est un chemin de VTT ou un chemin solide permettant le transport des bois récoltés? Y a-t-il une rivière importante à traverser? Ce sont des éléments qui auront une influence sur le coût des opérations forestières », mentionne Julie Létourneau. 

Une petite visite à la municipalité

Un futur acheteur doit également tenir compte d’éléments externes comme la réglementation municipale sur l’abattage d’arbres. « Quelquefois, elle est très contraignante et dans d’autres cas, elle a été rédigée pour que le propriétaire puisse sortir son bois », souligne Patrick Lupien. Par expérience, celui-ci a constaté que la sévérité des règlements municipaux en la matière est un bon indice de la dynamique des relations entre les propriétaires forestiers et leur voisinage. « Comme acheteur, je crois que c’est important de connaître le type de collaboration qui est en place avec les organismes municipaux », note-t-il. Julie Létourneau conseille pour sa part de bien vérifier si les lignes du cadastre reformé
correspondent bien à la réalité du terrain. « Cela peut occasionner des chicanes avec le voisin et des frais d’arpentage à la limite », dit-elle.

Que ce soit auprès des Municipalités ou des MRC, il est bon de s’assurer que sa propriété est exempte de zones potentiellement exposées aux glissements de terrain. 

« Si c’est 15 hectares qui sont visés, c’est autant de superficies qui poseront des contraintes de production », ajoute la responsable des évaluations à l’APBB. Par ailleurs, la chasse est toujours une activité fort populaire en forêt privée, et le potentiel faunique d’un boisé est intéressant pour un acheteur qui souhaiterait louer sa terre à des chasseurs afin de générer des revenus complémentaires.  

La nouvelle génération  de propriétaires accorde de plus en plus d’importance à la mise en valeur des produits forestiers non ligneux, comme les champignons sauvages. Crédit photo : Gracieuseté du SPBM / Guy Lefebvre
La nouvelle génération de propriétaires accorde de plus en plus d’importance à la mise en valeur des produits forestiers non ligneux, comme les champignons sauvages. Crédit photo : Gracieuseté du SPBM / Guy Lefebvre

Vision à moyen et long terme

Pour Patrick Lupien, il est important d’avoir une vision à moyen et long terme comme propriétaire afin de maximiser la valeur de sa forêt. Le profil du forestier a considérablement évolué au fil des ans. « Il y a eu un changement qui s’est opéré après la crise forestière. Les propriétaires ne sont plus uniquement intéressés à la production de bois. Ils cherchent plutôt à diversifier leurs activités et leurs types de production. »

Ainsi, la culture d’arbres à noix, tels que les noyers ou les noisetiers, la production de plants à petits fruits – comme le camérisier, l’argousier et le sureau blanc – et la présence de champignons sauvages permettent d’accroître la multifonctionnalité d’un boisé et conséquemment, d’en augmenter la valeur auprès d’une partie de la nouvelle génération de propriétaires. Patrick Lupien constate que celle-ci s’intéresse beaucoup à la question de la mise en marché de produits forestiers non ligneux, contrairement à celle qui l’a précédée. « C’est une façon différente d’exploiter sa forêt », résume-t-il. 

Enfin, l’achat ou la vente d’un lot boisé, c’est aussi une question d’émotion reliée à l’aspect esthétique des lieux. La présence d’un ruisseau avec une petite chute, d’une rivière ou d’un lac sur un boisé est un plus. Certains seront même prêts à payer davantage pour s’offrir cet environnement. En général, une propriété de petite dimension aura une meilleure valeur, toutes proportions gardées, qu’une autre de grande superficie, explique Julie Létourneau. « C’est la loi de l’offre et la demande. Il y a tout simplement plus d’acheteurs pour les petites propriétés que pour les plus grandes », conclut l’ingénieure forestière.

Évaluation foncière VS forestière 

L’évaluation réalisée par un ingénieur forestier est différente de l’évaluation foncière effectuée par un évaluateur agréé. Les Municipalités ont recours à l’évaluation foncière, qui représente la valeur marchande de la propriété. Celle-ci est généralement établie en comparant les transactions immobilières récentes de propriétés semblables dans une région. L’évaluation forestière, quant à elle, permet plutôt d’évaluer le potentiel économique d’une production forestière ou acéricole. 

Pour en savoir davantage sur l’évaluation foncière, on peut consulter l’article paru dans l’édition de novembre 2018 du magazine Forêts de chez nous.

Bernard Lepage, collaboration spéciale