Régions 11 octobre 2018

Un sous-produit du glyphosate s’accumule au Québec

SAINT-HYACINTHE — Des chercheurs de l’Université du Québec à Montréal ajoutent une brique au mur de la controverse entourant l’utilisation du glyphosate. Leurs plus récents résultats montrent que le principal produit de dégradation du glyphosate nommé acide aminométhylphosphonique (AMPA) s’accumule dans la majorité des 44 champs échantillonnés en Montérégie, au Centre-du-Québec et dans Lanaudière.

À la tête du projet de recherche, le professeur Marc Lucotte précise que ces résidus ont un impact négatif sur certaines fonctions du sol. « Les plantes assimilent plus difficilement des nutriments essentiels comme le manganèse et le zinc qui sont immobilisés par les résidus de glyphosate et d’AMPA. Ce phénomène peut créer des carences qui obligent l’agriculteur à rajouter des éléments, car ils ne sont plus disponibles pour les plantes », indique le chercheur.

La transformation du glyphosate

Marc Lucotte et son équipe ont présenté les résultats préliminaires de leur projet nommé MYFROG à différents intervenants réunis au bureau régional de Saint-Hyacinthe du ministère de l’Agriculture du Québec, en juin dernier.

Le chercheur y a précisé que le glyphosate est biodégradé en AMPA par les microbactéries et les champignons présents dans le sol. « Les compagnies disent qu’il n’y a plus de glyphosate dans le sol quelques semaines après l’application des herbicides et c’est vrai. Mais ce qu’elles ne disent pas, c’est que le glyphosate est dégradé en AMPA, lequel n’est pas soluble dans l’eau et peut rester très longtemps dans le sol. Il a été démontré scientifiquement que l’AMPA est toxique pour les plantes, même celles génétiquement modifiées », soutient M. Lucotte. Le chercheur ne voulait pas s’attarder davantage sur les effets de l’AMPA sur les cultures; sa première étude visait plutôt à mesurer la présence d’AMPA et de résidus de glyphosate.

Résultats

La majorité des 44 sols échantillonnés chez les producteurs du Québec utilisant des herbicides à base de glyphosate affichaient une présence significative d’AMPA à la récolte et même le printemps suivant. Fait intéressant, les chercheurs ont noté une quasi-absence de résidus dans les champs en semis direct où des plantes de couverture étaient semées année après année. « Les communautés de bactéries présentes dans le sol changent en fonction des précédents culturaux et il semblerait que le semis direct et les plantes de couverture aient favorisé la dégradation du glyphosate et de l’AMPA. Une hypothèse qui reste à être validée », indique M. Lucotte.

À noter que cette étude réalisée par la Chaire de recherche sur la transition vers la durabilité des grandes cultures sera bientôt publiée intégralement dans une revue scientifique et a été financée par des fonds publics provenant du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie.

« Pas un risque inacceptable »

Pierre Petelle, le président de CropLife Canada, un organisme qui représente les fabricants, les concepteurs et les distributeurs canadiens de produits de phytoprotection, considère que les résidus de glyphosate et l’AMPA ne posent « pas un risque inacceptable ». 

M. Petelle se base notamment sur le dernier réexamen du glyphosate effectué par Santé Canada. L’organisme fédéral indique que l’AMPA peut persister dans l’environnement, mais que « la rémanence du glyphosate et de l’AMPA jusqu’à la saison de croissance suivante ne devrait pas être importante ». Santé Canada ajoute : « On ne prévoit pas que le glyphosate et l’AMPA se déplacent en profondeur dans le sol, et il est peu probable qu’ils atteignent les eaux souterraines. […] Le glyphosate se dissout rapidement dans l’eau; on s’attend à ce qu’il se déplace dans les sédiments en milieu aquatique. Il est peu probable que le glyphosate et l’AMPA s’accumulent dans les tissus animaux », indique Santé Canada sur son site Internet. 

Pantois

Ces informations laissent le chercheur Marc Lucotte pantois. « Pour un organisme fédéral, ce n’est franchement pas très sérieux d’écrire tout ça! Quelle incohérence de dire que “le glyphosate se dissout rapidement dans l’eau”, et dans le même paragraphe, “qu’il est peu probable que le glyphosate se déplace en profondeur”. De fait, le glyphosate est soluble dans l’eau. Sa mobilité verticale et horizontale a été mesurée et publiée scientifiquement à maintes reprises. Nous avons retrouvé le glyphosate et l’AMPA à 80 cm dans le sol, soit près de la nappe phréatique au printemps. Je comprends que le fédéral veuille demeurer prudent face à un sujet controversé comme le glyphosate, mais il ne faut pas écrire n’importe quoi! » commente-t-il. 

La Terre a demandé à Santé Canada d’où provenaient les sources de ses informations sur le glyphosate et l’AMPA. Le ministère a indiqué qu’il était impossible de déterminer spécifiquement d’où ces informations émanaient, mais a affirmé prendre compte « de toutes les informations scientifiques disponibles », ajoutant que Santé Canada utilise une approche fondée sur le poids de la preuve pour évaluer les résultats des études de laboratoire et autres.

« Oublions la grenouille à cinq pattes »

L’équipe de recherche de M. Lucotte serait parmi les seules au monde à avoir trouvé le moyen d’analyser efficacement les concentrations d’AMPA sur le terrain. La prochaine étape vise à documenter l’impact de l’utilisation du glyphosate dans les champs du Québec. 

L’équipe de recherche veut également offrir aux producteurs des solutions qui aideront à diminuer les quantités employées, sans nuire aux rendements agronomiques. « On a changé notre approche, car dénoncer les problèmes de grenouilles à cinq pattes causés par les pesticides, comme on faisait avant, ça n’intéresse pas les agriculteurs. Ce qui les intéresse, c’est de connaître l’impact des pesticides sur leurs rendements et non sur le ruisseau », explique M. Lucotte.