Actualités 23 septembre 2017

Drainer soi-même ses terres : c’est un pensez-y-bien!

De plus en plus d’agriculteurs drainent leurs terres au lieu de confier cette tâche à des entreprises spécialisées. Au Québec, les fermes ont grossi et détiennent souvent l’équipement nécessaire (tracteurs de 400 forces ou pelles mécaniques) pour effectuer une telle opération.

L’ingénieur agricole Victor Savoie, conseiller au ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) dans ce domaine depuis plus de 30 ans, sert toutefois une mise en garde : « Le drainage ne se limite pas à enfouir des tuyaux dans le sol, fait-il valoir en entrevue téléphonique. Malgré les apparences, c’est une opération complexe et coûteuse demandant de l’expertise et des machineries spécialisées. » À preuve, le Programme de soutien au drainage et au chaulage de terres du MAPAQ, lancé en 2016, exige un diagnostic effectué par un conseiller agricole, des plans et devis signés par un ingénieur et réalisés par un entrepreneur détenant une licence de la Régie du bâtiment du Québec. Les agriculteurs qui drainent eux-mêmes leurs terres ne peuvent donc pas profiter de ce programme.

Le drainage souterrain comporte plusieurs avantages. Il permet de travailler le sol dans de meilleures conditions, d’ensemencer plus tôt au printemps, d’améliorer l’assimilation des engrais par les plantes et donc d’augmenter le rendement des cultures.

Cela dit, il faut savoir que le drainage n’est pas une solution universelle aux problèmes de rendement d’une terre agricole, note M. Savoie. D’où l’importance de faire un diagnostic avant de s’engager dans un tel processus. « Un rendement inférieur peut dépendre de plusieurs facteurs : faible infiltration de l’eau dans le sol, compaction, sol mal travaillé, structure brisée, fertilisation inadéquate, nappes phréatiques élevées, mauvaise rotation des cultures, dépressions du sol, etc. Et la correction de certaines de ces déficiences par le drainage souterrain peut même être inutile. »

Si le drainage est la solution appropriée, M. Savoie évoque deux grands aspects que doivent prendre en compte les agriculteurs qui veulent réaliser les travaux. Ils doivent acquérir certaines habiletés afin de tirer profit de la machinerie et des technologies utilisées, comme le laser ou le GPS. Ils doivent surtout se baser sur des recommandations formulées par des professionnels pour concevoir un plan de drainage efficace. Des tests de granulométrie et de conductivité hydraulique du sol sont alors des incontournables. Le test de conductivité permet de déterminer la vitesse de circulation de l’eau dans le sol afin de calculer l’écartement optimal des drains. « Des producteurs posent des drains à des écartements réguliers de 10 m dans tous leurs champs, peu importe le type de sol. Or, ils pourraient économiser beaucoup d’argent avec un écartement plus grand, tout en étant aussi efficaces, si les sols ont une bonne conductivité hydraulique. » Les tests de granulométrie (environ 100 $) servent à définir si le recours à des membranes est indiqué. « Des producteurs trouvent plus simple et plus sécuritaire d’installer des drains avec des filtres partout, alors qu’ils ne sont souvent pas requis sur les sols ayant plus de 20 % d’argile. » Pourtant, des sommes d’argent considérables sont en jeu, car ces tuyaux peuvent coûter environ 20 % plus cher. Par contre, des drains sans membranes filtrantes enfouis dans des sols sablonneux risquent de se boucher rapidement… et il sera impossible de les nettoyer par la suite. « Il faut aussi savoir que la texture du sol [pourcentage d’argile, de limon et de sable] varie souvent d’une parcelle à l’autre, et parfois sur une même parcelle, et que les drains devraient normalement s’y ajuster. Un test s’impose aussi pour vérifier le taux de fer dans l’eau, car l’ocre de fer est susceptible de bloquer les pertuis [perforations] des drains », soutient ce spécialiste des sols.

Un plan de drainage élaboré par un ingénieur assure en outre que les drains sont posés à la bonne profondeur et selon la bonne pente. « Si possible, il ne faut pas installer des drains dans le sens de la pente lorsqu’elle dépasse 1,5 % dans les sols sableux et 2 % en sol argileux comme je le vois parfois, souligne M. Savoie. Il faut plutôt les disposer perpendiculairement à la pente afin d’intercepter l’eau souterraine et de couper les veines d’eau. » Le plan permet par ailleurs de préciser la disposition et le diamètre des collecteurs.

Quand drainer? « En période sèche, quand les nappes phréatiques sont peu élevées, c’est-à-dire plus basses que le drain à installer, affirme M. Savoie. Les conditions de travail sont plus favorables. » 

« Le drainage d’une terre agricole par une entreprise spécialisée peut coûter entre 1 500 $ et 4 000 $ l’hectare, mentionne M. Savoie. La facture varie selon la superficie en jeu, l’écartement des drains, la nécessité ou non d’utiliser des filtres, la longueur et la grosseur du collecteur, etc. » On comprend qu’un agriculteur veuille tirer le maximum de bénéfices d’un tel investissement. Une étude réalisée par l’agronome Guy Beauregard, en décembre 2015, révèle qu’il faut 9,2 années pour récupérer un investissement de 3 500 $ l’hectare en drainage souterrain qui a haussé le rendement en maïs-grain de 6,3 tonnes à 8,4 tonnes à l’hectare.

« Il y a des producteurs agricoles qui effectuent eux-mêmes le drainage souterrain de leurs terres et qui s’en tirent bien, reconnaît M. Savoie. Mais les avantages agronomiques et les économies espérés peuvent facilement être anéantis si l’installation est inadéquate. Et ça va même coûter plus cher puisqu’il faudra tout reprendre! » Bref, c’est un pensez-y-bien!

Une sensibilisation pertinente

Les agriculteurs qui songent à drainer eux-mêmes leurs terres ont tout intérêt à suivre la formation gratuite offerte par l’entreprise Soleno depuis déjà cinq ans. « Plus de 500 participants de la plupart des régions du Québec ont déjà bénéficié de cette sensibilisation basée sur le Guide de référence technique en drainage souterrain et travaux accessoires publié par le MAPAQ en 2005 », note Richard Bossinotte, directeur des ventes. En une journée bien remplie, ajoute-t-il, les agriculteurs y sont informés sur les étapes essentielles à suivre avant de drainer leurs terres et sur les bienfaits d’un plan de drainage élaboré par des professionnels. « Soleno, la seule entreprise québécoise à fabriquer des géotextiles et des produits de drainage, a investi plus de 200 000 $ dans la tenue de ces journées, signale M. Bossinotte. C’est une façon de redonner aux gens qui nous font vivre. » La formation est donnée par Rosanne Chabot, ingénieure agronome, et Daniel Laberge, consultant ayant plus de 40 ans d’expérience en drainage souterrain. « Nous recommandons aux agriculteurs de confier le drainage souterrain à des entreprises spécialisées. Mais la décision leur revient », avance M. Bossinotte.

Données 2016-2017 du
Programme de soutien au drainage et au chaulage de terres du MAPAQ

Régions Superficies drainées (ha)  Superficies chaulées (ha) Entreprises participantes  Montant accordé en aide financière en 2016-2017
 Bas-Saint-Laurent  471,63 5578,43  380  647 592 $ 
 Saguenay-Lac-Saint-Jean 

520 

3221,79  107  622 269 $ 
 Abitibi-Témiscamingue  618,96  1425,57  67  535 756 $ 
 Côte-Nord 17,5  194  15 186$