Économie 21 février 2017

Vers une diminution de la valeur des terres?

Mois après mois, le prix des terres atteint des records un peu partout au Québec.

Tant et si bien que plusieurs experts indiquent qu’il n’est tout simplement plus rentable d’acheter une terre au prix actuel dans certaines régions, comme en Montérégie. Ils estiment que la valeur des terres commence à plafonner et qu’elle pourrait même diminuer dans les prochaines années.

« Globalement, nous ne sommes plus dans un marché haussier, observe Charles Gauvin, directeur régional du développement des affaires à Financement agricole Canada (FAC). Les prix en Montérégie ont atteint un plateau. » Il ajoute que les faibles taux d’intérêt, les rendements records des dernières années et le prix élevé du maïs lors des campagnes 2012 et 2013 ont fait doubler la valeur des terres dans plusieurs secteurs. Mais l’inverse pourrait également se produire : une hausse des taux d’intérêt, d’ailleurs anticipée par plusieurs analystes, et un plus faible prix des grains, entraîneraient une diminution de la valeur des terres.

« Certaines entreprises ont la capacité d’acquérir une terre à 2, 3 ou 5 M$, mais à ces prix-là, elles ne peuvent pas en acheter plusieurs. Il y aura de moins en moins de joueurs potentiels pouvant payer des prix élevés », estime Martin Hébert, agronome et conseiller en gestion pour le Groupe ProConseil. L’autre élément qui le préoccupe est la moyenne d’âge élevée des propriétaires. « Plusieurs terres pourraient être à vendre dans le futur par des producteurs sans relève ou par leurs héritiers », évoque-t-il pour expliquer les raisons pour lesquelles il entrevoit une stagnation ou même une diminution du prix des terres.

À Saint-Hyacinthe, l’éleveur de volailles Pierre-Luc Leblanc dit qu’il n’achète pas de terres à 20 000 $ l’acre. Il estime que leur valeur devrait diminuer à 12 000 $/acre, en raison de l’inflation trop rapide qu’a connue le prix des terres, de la pression sur le marché des grains et de la baisse du prix des terres aux États-Unis.

En réaction au prix élevé des terres, des producteurs ont même recours à un financement sur 40 à 50 ans. Crédit photo: Marie-Michèle Trudeau / TCN
En réaction au prix élevé des terres, des producteurs ont même recours à un financement sur 40 à 50 ans. Crédit photo: Marie-Michèle Trudeau / TCN

Aucune rentabilité

Le point central associé au plafonnement du prix des terres concerne la rentabilité d’un tel investissement. Or, acheter une terre à 19 000 $ l’acre n’offre aucune rentabilité, soutient Manon Bédard, directrice de comptes agricoles à la succursale Desjardins de Saint-Hyacinthe. « On calcule que pour générer des profits, un producteur de grains doit payer sa terre 5 500 $ l’acre au maximum. À 19 000 $ l’acre, l’agriculteur ne fera pas de profits. Il devra payer pour la cultiver pendant les 25 prochaines années », indique Mme Bédard, diplômée en agronomie. Elle ajoute qu’en réaction au prix élevé des terres, des producteurs ont même recours à un financement sur 40 à 50 ans.

Voilà pourquoi le producteur de grains Jean-Pierre Tanguay, de Saint-Pie, a refusé d’acquérir une terre de très bonne qualité qu’il loue depuis plusieurs années. « Les héritiers demandaient 24 000 $ l’acre. Ils ont baissé leur prix, sont allés en appel d’offres et elle est toujours à vendre. Oui, je serais capable de l’acheter à ce prix-là, mais il faudrait que je prenne les revenus de mes terres rentables et que j’use ma machinerie pour cet achat déficitaire. Ça me donnerait quoi? » dit-il.

Il y a encore des acquéreurs

Un courtier immobilier spécialisé dans la vente de terres, David Couture, estime aussi que les prix seront stagnants durant les deux prochaines années, mais affirme qu’il y a encore des « acquéreurs ambitieux ». Il s’agit de producteurs qui désirent positionner leur entreprise pour le futur et qui misent sur l’augmentation des superficies en culture pour générer des économies d’échelle. « Ils se disent également que même avec un prix élevé, cet investissement sera un jour payé, et que de toute façon, les terres ont toujours été trop chères et que leur valeur n’a jamais cessé d’augmenter », témoigne M. Couture.

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