Jardinage 16 février 2023

Des terres périurbaines converties en jardins communautaires

SHERBROOKE – Gilles Raymond a acquis, en 2015, une propriété de neuf acres (3,6 hectares), à moins de 10 km du centre-ville de Sherbrooke. Il avoue s’être rapidement senti dépassé par le travail à faire sur sa terre. Partant de l’idée que des jardiniers provenant de pays où l’agriculture est très présente voudraient profiter du site, il a contacté la Fédération des communautés culturelles de l’Estrie (FCCE).

Denise Brizard et Gilles Raymond misent également sur quelques poules pondeuses, des coqs à chair, un verger et des petits fruits pour diversifier leurs activités. Photo : Nathalie Villeneuve
Denise Brizard et Gilles Raymond misent également sur quelques poules pondeuses, des coqs à chair, un verger et des petits fruits pour diversifier leurs activités. Photo : Nathalie Villeneuve

Depuis 2021, des gens issus de l’immigration profitent des jardins communautaires, baptisés la Grange du Sanctuaire et aménagés sur deux des neuf acres de terres. Moyennant un modeste tarif pour couvrir les frais du système d’irrigation, ils peuvent venir travailler au champ de mai à octobre, avec des membres de leur famille, et repartir avec leur récolte. « Ça fonctionne bien. L’été dernier, on avait 15 jardiniers. On peut aller jusqu’à 20 », raconte le nouveau retraité du secteur de la construction, qui gère le projet avec sa conjointe, Denise Brizard. Cette dernière a d’ailleurs conçu un code d’éthique pour les jardiniers, afin d’assurer le déroulement harmonieux de la saison.

Pour Boubacar Cissé, directeur de la FCCE, l’appel de M. Raymond tombait à point. « On était justement à la recherche d’un terrain », mentionne-t-il. Au-delà de l’accès pour ses membres à des produits frais et locaux, l’occasion de socialiser est l’un des premiers bénéfices de ce partenariat, note-t-il. « On se retrouve dans un milieu vaste, dans la nature. Ça permet de sortir de chez soi et de partager avec les autres, de bénéficier de l’expérience de chacun. »

Quelques obstacles

Le projet se bute cependant à des obstacles, comme le transport. « Il y a du covoiturage, mais l’idéal serait de pouvoir prendre l’autobus », affirme M. Cissé.

Il serait également utile d’avoir accès à de l’expertise pour l’analyse du sol et le contrôle d’insectes nuisibles. De l’équipement, comme un rotoculteur ou une déchiqueteuse, pourrait être partagé avec d’autres jardins communautaires, suggère M. Raymond, qui a formulé ces demandes à la Ville de Sherbrooke. « C’est resté lettre morte. On n’entre dans aucune case », déplore-t-il.

Geneviève La Roche, conseillère municipale et présidente de la commission de l’aménagement du territoire à la Ville de Sherbrooke a eu un « coup de cœur » lors de sa visite à la Grange du Sanctuaire, à l’été 2022. Mais elle donne raison à son propriétaire. « Ça n’entre pas dans le cadre habituel. On a un programme de soutien des jardins communautaires, mais c’est réservé aux jardins en espace public et non privé », reconnaît-elle.

La sécheresse de 2021 a exposé les lacunes de l’irrigation du site. L’eau des étangs est maintenant pompée dans des bidons et acheminée aux jardins par gravité. Photo : Nathalie Villeneuve
La sécheresse de 2021 a exposé les lacunes de l’irrigation du site. L’eau des étangs est maintenant pompée dans des bidons et acheminée aux jardins par gravité. Photo : Nathalie Villeneuve

Communauté nourricière

Pour trouver des solutions hors des sentiers battus, la Ville envisage d’élaborer un plan de développement d’une communauté nourricière. Ce concept a été développé au Québec depuis 2014 par l’organisme Vivre en ville, qui a collaboré avec le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec à la création du Guide d’élaboration d’un plan de développement d’une communauté nourricière.

Plusieurs dizaines de municipalités de la province ont complété ou amorcé une démarche en ce sens, estime Vincent Galarneau, directeur des systèmes alimentaires de proximité à Vivre en ville. « L’intention est de donner accès à une saine alimentation pour tous et à des aliments de proximité. L’agriculture périurbaine, ça fait aussi partie de l’idée de dépasser les frontières traditionnelles entre les milieux urbains et ruraux », explique-t-il.

« À Sherbrooke, on a la chance d’avoir la campagne à proximité de la ville, dit Geneviève La Roche. On veut voir quels sont les propriétaires qui ont une terre qui pourrait être mise à profit pour du jardinage communautaire sur plus grande surface [qu’en milieu urbain]. »

Gilles Raymond et Denise Brizard rêvent de voir leur modèle, centré sur le partage, se multiplier et se pérenniser. M. Raymond a poussé la logique jusqu’à entreprendre des démarches pour perpétuer l’usage actuel de sa terre par une fiducie d’utilité sociale agricole. « La terre, même si on est propriétaires, en fait, on l’emprunte, estime-t-il. C’est aux générations futures. » 

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Nathalie Villeneuve, collaboration spéciale