Petits fruits 21 novembre 2022

Une étude pour évaluer la densité optimale de ruches dans une bleuetière

Les apiculteurs et les producteurs de bleuets québécois vivent un mariage quelque peu obligé pour demeurer concurrentiels dans leur industrie respective. Chacun a besoin de l’autre, mais à quel prix? Des chercheurs de l’Université Laval devraient pouvoir fournir des réponses d’ici deux ou trois ans.

Concentrée au Saguenay–Lac-Saint-Jean, l’industrie du bleuet nain est en explosion depuis une trentaine d’années au Québec. Pour ­satisfaire la demande, de grandes bleuetières de ­plusieurs dizaines d’hectares sont apparues au fil des ans. Le hic, c’est que la superficie accrue des champs a compliqué leur pollinisation.

Le chercheur Pierre Giovennazzo dirige le laboratoire d’apidologie de l’Université Laval. Photo : Gracieuseté de l’Université Laval
Le chercheur Pierre Giovennazzo dirige le laboratoire d’apidologie de l’Université Laval. Photo : Gracieuseté de l’Université Laval

Pourquoi? Parce que les insectes sont essentiels pour polliniser une bleuetière. Le vent ne ­parvient pas à lui seul à transporter le pollen lourd et ­collant de la fleur de bleuet. Or, les pollinisateurs, notamment les abeilles, lèvent le nez sur les grands espaces où ils trouvent des fleurs à butiner seulement deux semaines par année. Ils préfèrent s’établir en périphérie, là où ils s’assurent de ­toujours trouver des sources de nourriture diversifiées. 

Ruches à louer

C’est ici que les éleveurs d’abeilles entrent en jeu. Chaque année, ils fournissent quelque 35 000 colonies d’abeilles au coût de 200 $ à 250 $ chacune. Le coût est élevé pour les bleuetières, mais le risque l’est tout autant pour les apiculteurs, car la santé de leurs ­précieux insectes est mise en péril. 

« Les abeilles vivent un traumatisme alimentaire lorsqu’elles sont déplacées dans une bleuetière. Le manque d’acide aminé peut provoquer l’arrêt de ponte de la reine et favoriser l’apparition de maladies », explique Raphaël Vacher, président des Apiculteurs et apicultrices du Québec (AADQ). 

Les apiculteurs doivent aussi composer avec une baisse de rendement, car « le bleuet n’est pas une culture qui permet de produire beaucoup de miel », souligne Pierre Giovenazzo, spécialiste en apiculture à l’Université Laval. 

Coûts et risques

Comment alors limiter les coûts pour les bleuetières et réduire les risques pour les apiculteurs? C’est pour répondre à ces questions que l’équipe de M. Giovenazzo a entrepris l’été dernier le projet ApiBleuMax, financé en partie par le Syndicat des producteurs de bleuets du Québec, l’AADQ et le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada. Quelque 250 ruches, réparties dans neuf bleuetières du Saguenay–Lac-Saint-Jean, font l’objet de cette étude qui s’étalera sur deux ans, ou peut-être trois si nécessaire.

« Par cette recherche, on souhaite déterminer la densité optimale de ruches dans une bleuetière, ainsi que la composition idéale d’une ruche », explique M. Giovenazzo. « On veut aussi ­comparer le rendement des abeilles domestiques avec un autre insecte pollinisateur, soit le gros bourdon. » 

Son équipe a passé des semaines sur le terrain à compter des fleurs, à amasser des échantillons de fruits et à surveiller la santé des abeilles. Les prochains mois serviront entre autres à disséquer les bleuets pour en déterminer la qualité et à collecter des indices sur les niveaux de pollinisation. 

Le comportement des insectes sera analysé non seulement grâce à des heures de vidéos tournées dans les ruches, mais également par des balises placées par une compagnie spécialisée en intelligence artificielle. « On va mettre en relation le travail des abeilles et la productivité des plants », conclut le chercheur.


Cet article a été publié dans notre cahier spécial Fruits et légumes du Québec, paru dans La Terre de chez nous du 9 novembre 2022.