Vie rurale 29 juin 2022

De jeunes agriculteurs d’élite se battront pour la gloire

Trois candidatures de dirigeants de fermes québécoises, lesquels ont tous moins de 40 ans, viennent de passer en finale en vue de remporter le volet provincial du concours Jeunes agriculteurs d’élite du Canada. Ces trois profils ont chacun un style très différent, mais affichent tous des réussites dignes de mention.


Caroline Allard. Photo : Gracieuseté de la Ferme Gerluda
Caroline Allard. Photo : Gracieuseté de la Ferme Gerluda

Elle performe en s’entourant de femmes

Dans le contexte tragique de la mort accidentelle de son frère aîné, Caroline Allard a repris seule la relève de la ferme familiale à 23 ans, réussissant ensuite à doubler la production de l’entreprise laitière située à Notre-Dame-du-Bon-Conseil, dans le Centre-du-Québec.

Cette progression, elle la doit à sa détermination de fer, à son père, mais aussi à toutes ses conseillères. Car autant au champ, en nutrition, en soins vétérinaires qu’en finances, Caroline Allard n’est conseillée que par des femmes. « Avec mon père au début, si je voulais faire des changements, je devais amener des preuves comme quoi ça allait rapporter. Cela a développé mon côté entrepreneur, et je me suis bien entourée, avec un monde de femmes.  C’est bien, car on se valorise l’une et l’autre et on montre qu’on a autant notre place pour gérer une entreprise agricole que les hommes », dit celle qui est maintenant la propriétaire unique de la ferme.

Début vingtaine, après sa formation collégiale en agriculture, Caroline Allard se voit confier une première responsabilité par son père : la comptabilité. Avoir l’œil sur les chiffres lui permet de constater les faiblesses à corriger. Elle améliore le confort des vaches, la salubrité du système de traite, le débit d’eau destiné à abreuver les bêtes, la ventilation et les critères de sélection génétique afin de miser davantage sur la santé de l’animal et moins sur la conformation. Elle fait aussi l’acquisition de robots de traite, d’un mélangeur à ration totale mélangée « afin d’obtenir une ration toujours sur la coche ». En 15 ans, le quota de production laitière passe de 50 kg à 94 kg et le comptage des cellules somatiques, de 335 000 à une moyenne de 140 000. « J’en suis extrêmement fière, car cela m’a donné une distinction et une prime de près de 400 $ par mois », souligne l’agricultrice.

Chaque détail compte pour Caroline Allard qui, par exemple, est très stricte sur la biosécurité.  En 2015, elle a acheté une autre terre et mis en service une érablière de 2 000 entailles, un projet cette fois avec son conjoint qui travaille à l’extérieur. Elle regarde ses enfants s’impliquer à la ferme avec le sourire. « Je suis fière d’être la 3e génération de la Ferme Gerluda. Mes grands-parents trouveraient ça beau. Mon frère aussi », conclut-elle.


Étienne et Guillaume Lessard. Photo : Gracieuseté de la Ferme Holdream
Étienne et Guillaume Lessard. Photo : Gracieuseté de la Ferme Holdream

Le pari de deux frères de rêver grand

Les frères Lessard, de Saint-Honoré, dans Chaudière-Appalaches, ont fait changer le nom de la ferme familiale lorsqu’ils étaient jeunes, pour la nommer Ferme Holdream, un titre évocateur de leur rêve de devenir gros.

Lorsqu’ils prennent la relève de leurs parents en 2001, la ferme avait un quota de production laitière de 27 kg, insuffisant pour les faire vivre tous les deux. À peine dans la vingtaine, ils rassemblent leurs économies pour acheter une vache de génétique supérieure. « On l’avait payé 7 500 $. À l’époque, c’était quatre fois le prix d’une vache normale. Mon père et ma mère n’étaient pas trop en accord. Mais on avait confiance, car elle était d’une très bonne famille. Cette vache est devenue la mère de 50 % de notre troupeau, et de 2011 à 2017, on a fini champions canadiens pour la meilleure moyenne de production par vache avec plus de 16 000 kg », dit fièrement Guillaume, en entrevue avec La Terre.

En septembre 2018, un incendie détruit l’étable et emporte toutes leurs vaches en lactation. « Ça fait partie des nombreuses embûches qu’on a eues, mais avec de la persévérance, et de la résilience, on va au bout des choses », souligne celui qui a inauguré avec son frère la nouvelle étable en 2019.

Parmi les défis, les frères Lessard ont également dû changer d’institution financière. « De 2007 à 2011, on a doublé le quota et construit des bâtisses, mais notre conseiller financier de l’époque voulait plus nous imposer sa vision que nous laisser nos propres décisions. Il voulait plutôt y aller une petite étape à la fois, alors on a changé d’institution financière. Cela a ensuite été déterminant dans la croissance de l’entreprise », décrit Guillaume.

De fait, les frères Lessard ont continué à acheter des terres pour atteindre 885 hectares aujourd’hui. Ils ont acquis un total de 284 kilos de quota, démarré une production biologique de 3 000 porcs et acheté des érablières pour un total de 24 000 entailles. « On voyait le porc bio comme une belle opportunité. Et avec un produit de niche comme duBreton, ça nous sécurisait. Au début, c’était de l’ajustement, le bio, mais on s’en tire très bien », explique Guillaume.

Les deux frères se sont toujours fait le devoir d’investir dans des achats rentables. « Sauf peut-être les érablières, mais c’est notre gâterie, notre loisir. Même entailler à – 25 °C, on aime ça. Notre première entreprise, à 14 ans, était une érablière de 100 entailles », mentionne celui pour qui la plus grande satisfaction consiste à avoir atteint une croissance d’entreprise telle qu’il en rêvait, et ce, toujours avec son frère.


Rémi Taillon et Sophie Brodeur. Photo : Gracieuseté de la Ferme Réso
Rémi Taillon et Sophie Brodeur. Photo : Gracieuseté de la Ferme Réso

Changement de vie pour un couple d’éleveurs

Rémi Taillon travaillait comme ingénieur lorsque l’occasion de changer de métier (et de vie) s’est offerte à sa conjointe Sophie et à lui en 2009. Le couple décide de louer la deuxième ferme de veaux du père de Sophie. « Cette ferme allait plus ou moins bien. Elle était déficitaire, car le père de Sophie manquait de temps et devait tout confier aux employés. On s’était donné deux ans pour essayer, mais déjà après un an, on avait réussi à avoir de bons chiffres, alors on a acheté 50 % des parts. C’est là que tout a commencé », raconte Rémi. Le couple travaille d’arrache-pied pour retaper la ferme et améliorer la régie d’élevage. Sophie, avec son père comme mentor et son diplôme en production animale, a l’œil pour détecter les animaux malades et prendre les bonnes décisions. Rémi met son expertise d’ingénieur à contribution pour repenser au système de production, refaire les entrées d’air, l’isolation, les systèmes de cages et de nutrition. Ces améliorations diminuent rapidement les coûts de production. « Le problème dans le veau, c’est qu’il n’y a pas beaucoup d’éleveurs et donc pas beaucoup d’équipement performant disponible ou à coût raisonnable. Il faut être débrouillards », assure Rémi.

 Le couple qui, au départ, travaillait à forfait pour le géant Délimax décide un jour de devenir un éleveur indépendant. « En étant indépendants, on a plus de contrôle sur notre régie d’élevage, l’achat de nos animaux, le choix de nos intrants, etc. On a fait un bon move, car les marges sont meilleures. Il nous reste beaucoup plus d’argent dans notre compte », indique Rémi.

Les deux agriculteurs fabriquent eux-mêmes tout ce qu’ils peuvent, misent sur de la machinerie peu récente, mais très bien entretenue, et réinvestissent tous leurs profits pour améliorer leur entreprise. La production de chaque lot de veaux est analysée afin de déceler les variations positives ou négatives. « Si tu analyses ta production seulement sur une année, qui comprend quatre lots, il y a des détails qui t’échappent », précise Rémi qui, humblement, confirme que leur élevage est lucratif.

La Ferme Réso a ouvert un comptoir de vente au public afin de faire découvrir sa production de veaux et l’agriculture à la population locale. Sophie, qui a étudié en environnement, et Rémi, qui s’implique dans l’organisme de son bassin versant, portent une attention particulière à la préservation de leur sol contre l’érosion éolienne. Ils ont implanté de nombreuses haies brise-vent, bandes riveraines et des cultures de couverture.

Parmi le jury

Un jury composé de cinq personnes, dont le journaliste Martin Ménard, de La Terre de chez nous, déterminera le gagnant parmi ces trois finalistes, qui sera annoncé lors d’un gala, le 30 août à Saint-Hyacinthe. D’ici là, impossible de savoir sur quel candidat se portera le choix du journaliste. Motus et bouche cousue. Il ne le dira même pas à ses collègues…