Actualités 28 mars 2021

Sursemis sur sol gelé : semer en imitant la nature

Alors que la tendance est de perturber le moins possible les champs, le sursemis sur sol gelé au printemps s’avère une méthode économique qui gagne progressivement en popularité.

« Dans le langage courant, on appelait ça auparavant du vasage », explique Huguette Martel, agronome au MAPAQ. La technique est relativement simple, mais la fenêtre pour la réaliser est très courte. Elle consiste essentiellement à épandre les semences à la volée durant la période printanière de gel et dégel.

Huguette Martel, agronome au MAPAQ
Huguette Martel, agronome au MAPAQ

Il s’agit en quelque sorte d’une imitation contrôlée d’un processus déjà ­présent dans la nature lorsque les graines mûres d’une plante atterrissent sur le sol à l’automne avant de mûrir au printemps.

« On se sert de la nature pour procéder à l’enfouissement des semences. Lorsque la température est au-dessus de 0 degré Celsius le jour, la graine absorbe l’humidité, puis lorsque ça gèle la nuit, le sol s’entrouvre et se referme, ce qui permet à la semence de pénétrer superficiellement dans la terre. Elle a alors de l’espace pour germer et développer son système racinaire. »

Huguette Martel souligne que pour obtenir du succès, il faut que cette alternance entre gel et dégel survienne plus d’une fois. On parle de deux ou trois cycles, ce qui explique que la fenêtre d’opportunité pour le mettre en œuvre est restreinte. « Il y a des printemps qui s’étirent et qui sont propices au sursemis sur sol gelé. Mais il y a des fois où la neige fond rapidement et que les belles journées s’installent. Dans ces cas-là, les chances de réussite sont diminuées de beaucoup. »

Depuis trois ans, l’agronome mène des expériences avec cette méthode sur des parcelles à Valcourt et à Scotstown. « On ne peut évidemment pas donner une date précise pour l’ensemble du Québec, mais en Estrie, c’est généralement vers la fin du mois de mars ou au début du mois d’avril, selon les conditions météorologiques qui prévalent ce printemps-là. » 

Deux facteurs essentiels

Huguette Martel rencontre souvent des agriculteurs qui essuient des échecs avec la technique du sursemis sur sol gelé sans savoir ce qui a cloché. « Il y a deux paramètres essentiels pour que ça réussisse. Il faut premièrement avoir un accès au sol. Si c’est une vieille prairie recouverte d’un feutre ou une couenne, ça ne marchera pas parce que la semence n’arrivera pas à atteindre le sol. La graine va germer, mais quand la chaleur va arriver, la plantule va mourir avant de rejoindre le sol pour aller chercher son humidité. Si j’ai un espace à nu de la grandeur d’une main, mon taux de réussite sera bon », explique-t-elle.

L’autre condition est le niveau de densité de la prairie dans lequel le producteur veut introduire une nouvelle espèce. Il voudra par exemple ajouter une légumineuse dans son champ fortement peuplé de graminées pour sa valeur nutritive et les bienfaits qu’elle apportera en captant l’azote atmosphérique.

« C’est important toutefois de gérer la compétition, prévient Huguette ­Martel. Il faut tenir compte du fait que les plants déjà en place ou les mauvaises herbes vont entrer en concurrence et empêcher de laisser entrer la lumière, et dans le sol, leurs systèmes racinaires vont occuper toute la place. Il y a donc un certain niveau à ne pas dépasser. »

L’agronome du MAPAQ souligne d’ailleurs à cet effet que le sursemis sur sol gelé peut être prévu à l’avance. « Si tu vois que ta population de légumineuses diminue, c’est le temps, car sinon, ce sont les mauvaises herbes qui vont occuper la place quand les beaux jours vont arriver. »

De même, le producteur qui constate en hiver que des portions de ses champs sont recouvertes de glace peut déjà appréhender des dégâts au printemps.

Simple, la méthode est aussi appréciée parce qu’elle est économique. « Ça ne prend pas de la grosse technologie. Tu installes un petit semoir rotatif sur ton VTT puis tu pars. Tu peux même semer manuellement à la volée si tu veux. » Idéalement, le sursemis sur sol gelé sera fait tôt le matin alors que la terre est toujours gelée et que la surface est encore portante.


L’agronome Huguette Martel a expérimenté avec succès la technique de sursemis sur sol gelé au printemps avec du trèfle rouge dans une prairie composée de luzerne et de fétuque élevée. Photo : Gracieuseté du MAPAQ
L’agronome Huguette Martel a expérimenté avec succès la technique de sursemis sur sol gelé au printemps avec du trèfle rouge dans une prairie composée de luzerne et de fétuque élevée. Photo : Gracieuseté du MAPAQ

Les légumineuses plutôt que les graminées

Ceux qui l’ont déjà expérimenté savent que la technique n’est pas adaptée à tous les genres de semences. « On obtient de meilleurs succès avec les légumineuses, particulièrement le trèfle rouge et dans une moindre mesure le lotier parce qu’il prend plus de temps à germer », observe Huguette Martel.

Cette prédisposition des légumineuses pour le sursemis sur sol gelé tient essentiellement à la forme et à la volatilité de leurs semences versus celles des graminées. « La graine du trèfle rouge est ronde, par exemple. Quand elle va trouver un interstice, elle va s’y loger puis germer. La semence de la graminée est au contraire plus allongée et légère. Elle va donc avoir tendance à flotter et à s’accrocher un peu partout avant d’entrer dans le sol. Les résultats sont beaucoup moins intéressants », note l’agronome, qui dit néanmoins avoir obtenu quelques réussites avec le dactyle et le ray-grass au moyen de cette méthode. Autre facteur favorisant les légumineuses, leurs graines germent plus rapidement que celles des graminées.

Même si le succès de la technique est conditionnel à la présence des deux facteurs essentiels précédemment mentionnés et que la période pour la mettre en œuvre est limitée, le sursemis sur sol gelé est un outil à ne pas négliger, résume Huguette Martel. « C’est une opportunité de plus pour le producteur. Si ça fonctionne bien, ça veut dire une plante qui a déjà trois semaines d’avance sur sa croissance, puis ça fait ça de moins à faire au printemps », conclut-elle. 

Bernard Lepage, collaboration spéciale