Élevage 8 août 2020

Le dindon : l’espèce idéale pour un élevage sans antibiotiques

Bien que l’industrie en ait considérablement réduit l’usage depuis six ans, le marché du dindon élevé sans antibiotiques demeure modeste si l’on considère que quatre millions de dindes sont produites annuellement au Québec. Depuis mai 2014, l’utilisation des antibiotiques de catégorie I n’est plus autorisée à titre préventif, mais seulement curatif. Quelques années plus tard, ces interdictions ont été élargies à ceux de catégorie II et III de même qu’aux antibiotiques employés comme promoteur de croissance. Directrice de la Chaire avicole à la Faculté de médecine vétérinaire de l’Université de Montréal, Martine Boulianne effectue des travaux sur la question depuis une dizaine d’années.

« Au début, nous voulions les arrêter complètement, mais nos recherches ont démontré l’importance d’utiliser les antibiotiques pour contrôler la clostridiose, un petit parasite qui provoque l’entérite nécrotique chez les oiseaux », dit Mme Boulianne. La vétérinaire souligne tout de même que le dindon est une volaille qui se prête particulièrement bien à un élevage sans antibiotiques. « Parce que c’est un oiseau qui a une croissance qui s’étale sur plus de semaines que le poulet, la clostridiose cause moins de lésions sévères à son intestin. »

Reste que l’élevage de dindons sans antibiotiques demeure un défi auquel ne s’est attaqué qu’une minorité des 147 éleveurs détenant un quota au Québec. Depuis 20 ans, Sylvain Bertrand, de la Ferme Aux Saveurs des Monts en Outaouais, élève ses quelque 2000 dindons de cette façon. « On mise sur la propreté et le confort des oiseaux en les entassant moins », explique l’agriculteur qui écoule sa production lors de deux temps forts de l’année : l’Action de grâce en octobre et Noël en décembre. « En l’espace de quatre ou cinq jours dans le temps des Fêtes, on vend nos 1200 dindes. »

Élevées sur une période de quinze semaines, les dindes de la Ferme Aux Saveurs des Monts pèseront environ 7 kg éviscérées et se détailleront à 7,50 $ du kilogramme. Aucune farines ni graisses animales ne sont utilisées dans l’alimentation des oiseaux.

« Si les céréales biologiques étaient à un prix raisonnable, j’en utiliserais », mentionne Sylvain Bertrand qui achète de la moulée probiotique pour compenser l’absence d’antibiotiques.

Enfin, une ventilation adéquate et la salubrité des lieux sont des éléments incontournables pour un élevage sans antibiotique réussi. « On ne part pas d’élevage sur un autre. Entre deux lots, on nettoie et on désinfecte. Un vide sanitaire complet doit être fait », explique-t-il.

À la Ferme des Voltigeurs, à Drummondville, les dindons sont élevés sans antibiotiques depuis maintenant trois ans. « Ça reste une petite production avec 2200 dindes que nous vendons uniquement dans le temps des Fêtes », lance Bernard Martel, l’un des quatre propriétaires de l’entreprise familiale.

L’un des défis que pose l’absence d’antibiotiques dans un élevage est le risque accru de mortalité. « Dans la 2e année, on a atteint un taux de 3 % dans le troupeau, mais la 1re année et l’an dernier, on a eu zéro mortalité. Dans ce type de production, il te faut une bonne régie de départ et que tu la suives. Disons qu’on les catine nos dindons », poursuit celui qui est responsable de la recherche et développement à la ferme drummondvilloise.

Parce que la Ferme des Voltigeurs doit avoir recours à des volailles provenant d’autres producteurs pour répondre à la demande du marché, aucune mention de l’absence d’antibiotiques n’est inscrite sur leur emballage. « Parce que tout ce qui vient de l’extérieur, on ne peut garantir la façon dont elles ont été élevées », explique Bernard Martel.

La famille Martel n’envisage pas non plus développer ce marché à court terme. « Au Québec, la dinde, ça demeure très saisonnier, plaide-t-il. Si on décidait de miser sur le facteur sans antibiotiques, ça nécessiterait des coûts importants pour que le Bureau de normalisation du Québec (BNQ) mène des audits dans les meuneries qui nous approvisionnent et à la ferme. Et la taille du marché ne le justifie pas présentement », termine-t-il. 

Bernard Lepage, collaboration spéciale