Actualités 17 avril 2020

Résistance aux herbicides : « On risque de frapper un mur » ­— La chercheuse Marie-Josée Simard

Les trois éléments clés pour éviter la résistance des mauvaises herbes? La prévention, la prévention et encore la prévention. À défaut d’un herbicide miracle, l’adoption de mesures de sécurité reste le moyen le plus efficace pour se prémunir contre un problème qui prend racine.

Alors que le Québec compte plus de 150 populations de mauvaises herbes résistantes à différentes classes d’herbicides, la vigilance des agriculteurs demeure la voie à privilégier pour contrer ce phénomène, estime la chercheuse scientifique d’Agriculture et agroalimentaire Canada, Marie-Josée Simard.

« Pendant plus de 50 ans, l’agriculture s’est beaucoup appuyée sur les herbicides, explique l’experte en malherbologie et en écologie végétale. Cependant, voilà bientôt 25 ans que l’industrie propose essentiellement les mêmes formules et nous assistons à l’apparition d’espèces résistantes à un, voire à plusieurs herbicides. Certaines pratiques doivent changer sans quoi on risque de frapper un mur. »

Les graines des mauvaises herbes ont la couenne dure. Dans le cas de l’herbe à poux, 4 % de sa production est toujours viable après 40 ans.
Les graines des mauvaises herbes ont la couenne dure. Dans le cas de l’herbe à poux, 4 % de sa production est toujours viable après 40 ans.

Impressionnante banque de graines

Si les agriculteurs ont tant de difficulté à venir à bout des mauvaises herbes, c’est notamment en raison de la capacité de leurs graines à rester viables dans le sol pendant plusieurs années, voire des décennies. Et plus un plant jouit de conditions idéales pour croître, plus grande sera sa production de graines. Un seul plant d’amarante peut produire de 14 000 à 100 000 graines par saison. Quant au chénopode, cette production peut atteindre les 500 000 graines.

De cette impressionnante « ban­que » qui peut contenir de 1 000 à 50 000 graines par mètre carré, seule une fraction émergera chaque année, de sorte que la sélection de mauvaises herbes résistantes à un herbicide peut causer de sérieux maux de tête aux agriculteurs. « Si par exemple, en raison d’une utilisation prolongée de Roundup, un producteur sélectionne des plants résistants à cet herbicide, il doit garder à l’esprit qu’un seul plant produira plus ou moins 1 000 graines. Il est possible que de ce nombre, seulement un certain pourcentage émerge chaque année, ce qui signifie que le producteur devra attendre plusieurs années avant d’utiliser le même produit pour contrôler cette espèce », illustre Marie-Josée Simard.

« Si les mauvaises herbes prolifèrent au point de nuire au rendement des cultures, c’est que le sol contient déjà une banque de graines résistantes très importante et on veut absolument éviter cette situation. Il faut s’en débarrasser avant d’arriver à ce point », insiste-t-elle.

Dans un champ, il n’est pas rare de dénombrer de 20 à 30 espèces de mauvaises herbes, dont 4 ou 5 sont dominantes. Sur la photo, un plant d’abutilon bien visible dans un champ de soya.
Dans un champ, il n’est pas rare de dénombrer de 20 à 30 espèces de mauvaises herbes, dont 4 ou 5 sont dominantes. Sur la photo, un plant d’abutilon bien visible dans un champ de soya.

Des pistes de solution

L’agriculteur qui voit poindre les premiers signes de résistance dans son champ devrait rapidement intervenir pour éviter que les plants problématiques produisent des graines.

« Si un champ vient d’être contrôlé et qu’on voit encore une espèce incluse sur l’étiquette de l’herbicide et que les autres espèces sur l’étiquette sont contrôlées, c’est qu’on assiste à un début de résistance.
Il ne faut pas perdre de temps et l’arracher pour éviter qu’elle fasse des graines », plaide la chercheuse.

Dans l’éventualité où un agriculteur posséderait déjà un champ problématique, certaines précautions sont de mise pour éviter la contamination : « Il est fortement recommandé de nettoyer l’équipement avant de passer à une autre parcelle, ou du moins, de travailler le champ affecté en dernier. » Des vidéos de nettoyage de machinerie sont d’ailleurs disponibles sur le site d’Agri-Réseau.

« La clé est de garder le champ à l’œil dès qu’on voit une population suspecte », conclut la chercheuse. 

Marie-Josée Simard était conférencière à la Journée ­phytoprotection du CRAAQ, le 11 juillet 2019.


Le traitement de résidus de batteuse : des résultats mitigés

Pour évaluer les meilleures solutions pour limiter la ­dispersion des graines de mauvaises herbes, Agriculture et agroalimentaire Canada a acquis un Harrington Seed ­Destructor. Testé dans l’Ouest canadien, l’équipement ­spécialisé dans le traitement des résidus de batteuse s’est avéré efficace pour récupérer les graines de canola volontaire et d’amarante. Toutefois, l’appareil a obtenu de moins bons résultats pour les espèces comme la folle avoine, qui dispersent une proportion importante des graines qu’elles produisent avant les récoltes.

Le Harrington Seed Destructor. Photo : Agriculture et Agroalimentaire Canada
Le Harrington Seed Destructor. Photo : Agriculture et Agroalimentaire Canada