Actualités 6 juillet 2017

Les moissonneuses-batteuses en quatre temps

L’UtiliTerre vous propose un résumé de l’évolution des moissonneuses-batteuses. Nous avons choisi quelques périodes repères, soit celles entourant les années 1925, 1950 et 1975, ainsi que celle d’aujourd’hui.

Un expert dans le domaine du machinisme agricole, Jean Corbeil, nous accompagne dans ce voyage dans le temps.

Vers 1925

« Il y avait encore très peu de moissonneuses-batteuses au Québec dans les années 1920 », relate Jean Corbeil, fils d’agriculteur et professeur à l’Institut de technologie agroalimentaire, campus de Saint-Hyacinthe, de 1968 à 1994. Vulgarisateur très apprécié, M. Corbeil s’est beaucoup impliqué dans le domaine du génie rural au Québec.

Jean Corbeil, agronome et professeur retraité de l’Institut de technologie agroalimentaire de Saint-Hyacinthe. Crédit photo : Hubert Brochard
Jean Corbeil, agronome et professeur retraité de l’Institut de technologie agroalimentaire de Saint-Hyacinthe. Crédit photo : Hubert Brochard

« On utilisait encore beaucoup les batteuses stationnaires, aussi appelées “moulins à battre”, dans lesquelles on introduisait les gerbes de céréales précédemment récoltées avec les lieuses à grains (moissonneuses-lieuses), poursuit M. Corbeil. On avait accès aux gros fabricants de batteuses comme McCormick, Massey et autres, mais on préférait les modèles des constructeurs québécois comme Forano à Plessisville, et Dion et Frères, à Sainte-Thérèse. »

Quant aux moissonneuses-batteuses comme telles, l’industrie en avait mis au point à la fin du 19e siècle et au début du 20e, mais la Seconde Guerre mondiale, pénurie de main-d’œuvre oblige, a accéléré la mécanisation des récoltes.

Mentionnons quelques moissonneuses-batteuses fabriquées au commencement du 20e siècle. Il y a eu notamment le modèle 5 construit par Massey-Harris en 1922. Cette moissonneuse-batteuse animée par un moteur à combustion à essence était cependant toujours tirée par des chevaux (jusqu’à 20) ou par un tracteur. Sa bonne performance lors de la récolte de 1922 à la Station expérimentale d’Agriculture et Agroalimentaire Canada de Swift Current, en Saskatchewan, a contribué à la faire connaître.

L’année suivante, la moissonneuse-batteuse automotrice Sunshine a été lancée en série par un fabricant australien. Le constructeur ontarien Massey-Harris en a repris la production en 1930 dans son usine de Waterloo.

Jusque dans les années 1930, cependant, les modèles utilisés au Canada, aux États-Unis, en Australie et en Argentine étaient tirés par des chevaux.

Les moissonneuses-batteuses automotrices se sont multipliées dans les années 1950. Crédit photo : Yesterday tractor
Les moissonneuses-batteuses automotrices se sont multipliées dans les années 1950. Crédit photo : Yesterday tractor

Vers 1950

« C’est en 1949 que j’ai vu ma première moissonneuse-batteuse, se rappelle Jean Corbeil, lors de mes études à l’Institut agricole d’Oka. »

En effet, les constructeurs Case, John Deere, International Harvester, Massey-Harris et Oliver, parmi d’autres, avaient progressé dans ce domaine, avant 1950. En 1944, Massey-Harris avait remporté un succès phénoménal avec 500 moissonneuses-batteuses automotrices vendues aux États-Unis.

C’est en 1951 que Jean Corbeil a été engagé à La Coop fédérée. Il a notamment travaillé dans un atelier de Montréal ayant servi de grange à foin pour le bétail venant de l’Ouest canadien. Le jeune diplômé y assemblait, souvent à lui seul, plusieurs moissonneuses-batteuses traînées, puis autopropulsées. La première qu’il a montée était une Grainmaster, du fabricant Oliver. Et c’est en les conduisant lui-même sur la route qu’il livrait aux agriculteurs plusieurs moissonneuses-batteuses automotrices, avant qu’elles ne soient dotées d’une cabine. « Au départ d’une livraison pour Sainte-Marthe de Vaudreuil, j’étais rendu sur la rue Notre-Dame à Pointe-Saint-Charles quand un chauffeur de tramway a ouvert sa porte pour me demander : “Mais qu’est-ce que c’est que cette machine? Où vas-tu avec ça?” »

D’autres grands constructeurs emboîtent le pas

La période qui a suivi s’est caractérisée par l’arrivée de plusieurs autres grands constructeurs de moissonneuses-batteuses, principalement automotrices. En Allemagne au début des années 1950, c’est le fabricant Claas qui a produit la première automotrice européenne.

On retrouvait sur les moissonneuses-batteuses les principes de base du battage et du nettoyage des pailles mis au point sur la batteuse stationnaire. « Et comme sur ces batteuses, on pouvait nettoyer les grains d’une foule de cultures, se souvient M. Corbeil. En changeant le dispositif de coupe ou de ramassage et en réglant le batteur, je montrais à des producteurs comment moissonner les céréales et même du trèfle, du canola, du mil et du lin. Par contre, on avait beaucoup de difficulté avec les premiers becs cueilleurs à maïs : à l’époque, ils ne récoltaient que deux ou trois rangs et toute la tige entrait avec les épis dans la machine. »

Dans les années 1970, on a commencé à optimiser les systèmes de battage et de nettoyage des grains et à rationaliser l’espace qu’ils occupaient. Crédit photo : Yesterday tractor
Dans les années 1970, on a commencé à optimiser les systèmes de battage et de nettoyage des grains et à rationaliser l’espace qu’ils occupaient. Crédit photo : Yesterday tractor

Vers 1975

Graduellement, les moissonneuses-batteuses ont continué d’être perfectionnées. Les modèles à cabine, chauffée et même climatisée, étaient de plus en plus nombreux.

C’est au cours des années 1970 que les premières machines utilisant avec succès un système rotatif de nettoyage des grains sont apparues. Les ingénieurs y songeaient déjà depuis les années 1930. Rappelons que dans les modèles traditionnels, les grains étaient séparés des épis au niveau du batteur et de son contre-batteur. Mais c’était les secoueurs qui, par la suite, séparaient les grains de la paille, et ceux-ci occupaient beaucoup d’espace. On cherchait à les remplacer par un système à cylindre rotatif ajouré.

La Roto Thresh a été l’une des premières moissonneuses-batteuses à séparation rotative lancée sur le marché en 1974. Son principe innovateur de grand tambour rotatif créant une aspiration centrifuge a été conçu dans les années 1950 par des agriculteurs manitobains. Ils ont peaufiné leur procédé avec l’aide de l’Université de la Saskatchewan avant de fonder leur compagnie en 1968. Celle-ci a fermé ses portes 10 ans plus tard, mais leurs innovations auraient inspiré les constructeurs par la suite.

En 1975, le fabricant New Holland a lancé sa version de nettoyage rotatif avec sa nouvelle TR70 à rotors jumelés. L’entreprise a remplacé le batteur et son contre-batteur traditionnels par deux grands batteurs parallèles disposés sur la longueur. Ces deux rotors légèrement inclinés étaient entourés chacun d’un cylindre ajouré faisant office de contre-batteur. Les grains étaient d’abord séparés des épis, comme sur tout système de batteur/contre-batteur. Puis, ils étaient séparés de la paille en avançant progressivement vers l’arrière du rotor. Ce dispositif séparait les grains davantage par frottement que par battage, ce qui occasionnait moins de bris.

Deux ans plus tard, les moissonneuses-batteuses d’International Harvester, à nettoyage rotatif – et plus doux – des grains, ont fait leur apparition sur le marché. Elles différaient toutefois des machines New Holland par leur rotor unique.

Ces nouveaux modèles New Holland et International Harvester étaient dits « à flux axial » parce que le batteur ou rotor était dans l’axe longitudinal de la moissonneuse-batteuse. Par la suite, la majorité des équipementiers ont adopté le système axial.

Les moissonneuses-batteuses d’aujourd’hui rivalisent de qualités techniques : GPS, capteurs de rendement et d’humidité des grains, confort et ergonomie, etc. Crédit photo : Hubert Brochard
Les moissonneuses-batteuses d’aujourd’hui rivalisent de qualités techniques : GPS, capteurs de rendement et d’humidité des grains, confort et ergonomie, etc. Crédit photo : Hubert Brochard

De nos jours

Les années 1990 ont vu l’arrivée de la technologie de géopositionnement par satellite (GPS). Les satellites peuvent désormais retrouver la position exacte de la moissonneuse-batteuse et aider à contrôler ses déplacements au centimètre près. On accède aussi aux capteurs de rendement et d’humidité des grains. Par l’entremise du GPS, ceux-ci permettent de cartographier dans les champs les données fournies. Tout cela augmente l’efficacité et la rentabilité des cultures de céréales. « Les principes de base de la batteuse d’origine sont toujours là, mais avec des améliorations fascinantes à tous les niveaux », souligne M. Corbeil.

L’ancien agronome se dit préoccupé du compactage des sols provoqué par certains modèles de moissonneuses-batteuses au poids élevé. « On n’a pas le choix d’avoir des machines plus grosses qu’avant, mais on peut atténuer les problèmes de diverses façons. Par exemple, en installant des roues doubles ou des chenilles, ou en semant ses céréales sur la zone la moins argileuse de ses terres. Et puis, il n’est pas indispensable de choisir le plus gros modèle! En utilisant la machine en continu pendant de longues heures avec une bonne équipe qui se relaie, on peut récolter beaucoup d’hectares en peu de temps. C’est une question d’efficacité », conclut Jean Corbeil.

Un grand merci à Cédric Brosseau, conservateur adjoint au Musée de l’agriculture et de l’alimentation du Canada, pour sa contribution à la rédaction de cet article.

Diverses époques, diverses performances

Avant la mécanisation de la récolte, on égrenait les céréales manuellement au moyen d’un instrument composé d’un manche et d’un battoir en bois : le fléau. Un bon manieur de fléau pouvait obtenir de 3 à 4,5 quintaux (de 300 à 450 kg) de grains par jour. On utilise encore dans les pays du tiers-monde le battage à l’aide des chevaux ou des bœufs dans un « manège de dépiquage ». Les animaux y foulent les céréales avec leurs sabots ou en tirant par exemple des rouleaux en pierre, en fonte ou en bois garnis de pointes. Un manège à deux bêtes nettoie de 15 à 25 quintaux (de 1,5 à 2,5 t) de grains par jour. Les grandes batteuses mécaniques stationnaires décortiquent quant à elles de 120 à 180 quintaux (de 12 à 18 t) de grains par jour.

En ce qui a trait aux moissonneuses-batteuses, dans les années 1930, un gros modèle récoltait déjà de 150 à 200 quintaux (de 15 à 20 t) de blé ou d’orge par jour. Aujourd’hui, certaines peuvent battre de 40 à 300 quintaux (de 4 à 30 t) à l’heure.

Question prix

Une moissonneuse-batteuse Sperry-New Holland TR70 de 1978 à rotors jumelés, avec barre de coupe de 4,9 m à 7,3 m, récoltait une moyenne de 2,06 ha/h (5,94 t/h) et se détaillait à près de 59 000 $ US.

Les moissonneuses-batteuses d’aujourd’hui coûtent de 140 000 $ à 700 000 $ CA.