Actualités 17 juin 2016

Des recommandations bientôt revues et corrigées

Hélène Lapierre met son appareil cellulaire en mode « mains libres ». Derrière elle, un bruit sourd de ventilation témoigne de son environnement de travail hors de l’ordinaire.

C’est que la chercheuse spécialisée en métabolisme animal se trouve dans son étable expérimentale du Centre de recherche et de développement d’Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC), située dans la région de Sherbrooke. Un endroit qui a vu naître ces dernières années une stratégie révolutionnaire en alimentation des vaches laitières. 

Dans les fermes du Québec, on nourrit présentement les vaches avec des rations de protéines bien spécifiques, provenant entre autres du gluten de maïs. Or, les éléments nutritifs contenus dans ces rations ne correspondent pas parfaitement aux besoins des ruminants. Voilà ce que cherche à corriger la chercheuse avec son collègue Daniel Ouellet.

« Chaque protéine est composée d’une série d’acides aminés, explique Hélène Lapierre. Il y en a 20 différents qui s’assemblent les uns aux autres de façon spécifique pour former chaque protéine, un peu comme les lettres de l’alphabet forment des mots. Le problème, c’est que certains acides aminés se trouvent en excès dans la farine de maïs, alors que d’autres, comme la lysine, ne sont pas assez abondants pour répondre aux besoins de la vache. » Réduire la quantité globale de protéines données aux vaches laitières tout en ajoutant un supplément pour certains acides aminés permettrait de fournir à la vache tout ce qu’il lui faut, et ce, sans gaspillage. C’est d’ailleurs là l’objectif des deux chercheurs.

Selon eux, on pourrait réduire le taux de protéines des rations de 18,1 % à 16,5 %, moyennant l’utilisation de suppléments. Le tout, sans affecter la production de lait ni altérer sa qualité. « Lorsqu’on utilise inefficacement la protéine, on gaspille non seulement de l’argent, mais on crée aussi de la pollution par l’entremise des déjections », souligne pour sa part Daniel Ouellet. La stratégie pourrait donc être avantageuse autant pour le portefeuille des agriculteurs que pour l’environnement.

Selon les estimations du chercheur Doris Pellerin de la Faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation de l’Université Laval, elle permettrait d’ailleurs
d’augmenter les revenus d’une ferme d’environ 15 ¢ par vache par jour, soit approximativement 4 000 $ par année pour une ferme québécoise moyenne. À l’échelle canadienne, on parle d’économies avoisinant les 77,5 M$ pour l’ensemble des producteurs. La méthode permettrait aussi de réduire la quantité d’azote dans les déjections des vaches, les acides aminés contenus en trop dans l’alimentation étant dégradés, puis rejetés principalement dans l’urine, explique Hélène
Lapierre.

« La quantité d’urée contenue dans l’urine diminue de 50 à 60 % chez les vaches alimentées de cette façon, dit-elle. Mais globalement, on diminue de 15 % la quantité totale d’azote contenue dans les déjections. » Pareille donnée signifie qu’on pourrait non seulement réduire la quantité d’ammoniac contenue dans l’air des fermes, mais aussi, et surtout, diminuer l’impact de l’industrie laitière sur l’environnement.

C’est que l’azote provenant des déjections se transforme en gaz à effet de serre. À l’échelle du pays, l’adoption de la méthode proposée par les chercheurs permettrait d’ailleurs de diminuer de 17 000 tonnes métriques la quantité de produits azotés relâchés par les vaches laitières chaque année. Et pareille adoption pourrait bien arriver plus vite qu’on le pense. Hélène Lapierre est au nombre des conseillers scientifiques du U.S. National Research Council (NRC), l’organisme américain qui établit des normes en agriculture et adresse des recommandations aux agriculteurs. Elle travaille à l’élaboration de la prochaine version du guide en compagnie d’une poignée de scientifiques de son domaine. La dernière version de celui-ci remonte à 2001.

« C’est une plateforme qui permet de propager rapidement l’information, dit-elle. On s’attend à ce que des entreprises s’en inspirent pour proposer de nouvelles
alternatives aux agriculteurs. »

 

Martin Primeau