Actualités 2 octobre 2014

Francis Marquis, un patenteux de haute précision

C’est à la ferme Bonneterre à Saint-Paul, près de Joliette, que nous avons déniché Francis Marquis, notre patenteux du mois. Depuis dix ans, à titre d’employé, il collabore à la régie d’élevage, mais aussi aux travaux aux champs dans une ferme d’élevage de bovins et de cultures commerciales. Ses patrons, les frères Sylvain et Richard Raynault, n’ont pas été longs avant de réaliser que cet employé possède une valeur ajoutée : celle d’être un ingénieux patenteux.

Originaire du Bas-du-Fleuve, ce fils d’éleveur de bovins a dû s’exiler quand la ferme familiale a cessé ses opérations. Il a donc travaillé dans quelques fermes et même dans une scierie avant qu’un ami ne le mette en contact avec les frères Raynault. « Je me sens vraiment à ma place, ici. C’est une ferme de qualité, ouverte à l’innovation. Les propriétaires se montrent sensibles à l’idée d’améliorer les façons de faire », témoigne Francis Marquis.
La Ferme Bonneterre engraisse environ 4000 bouvillons annuellement et travaille 1600 hectares en cultures commerciales. Depuis sa fondation, en 1989, plusieurs investissements ont été réalisés, en machinerie comme en bâtiments, surtout à partir de 1999, alors que la ferme a été réimplantée sur les terres actuelles de Saint-Paul.
Dès que Francis s’est joint à l’équipe, il a senti cette atmosphère d’effervescence propice à développer son talent. Si ses premières fonctions ont été liées à la régie du troupeau, il a vite élargi son terrain de jeu aux machines. « Dans la famille, on a toujours été des débrouillards, des développeurs dans l’âme. Ici, je peux laisser libre cours à mon imagination. Les seules consignes de mes patrons, c’est que les modifications soient sécuritaires et que la machine ait belle apparence. Mes patrons n’aiment pas les projets “broche à foin”. »

Une réflexion collective
Celui qui a appris à bricoler dès son plus jeune âge nous guide dans une tournée du parc de machines, dont plusieurs ont bénéficié de sa touche personnelle. « Des fois, mes patrons arrivent avec un problème ou une idée; à d’autres occasions, c’est moi qui réalise, en travaillant, qu’il doit bien y avoir une façon de travailler plus efficacement », explique notre patenteux avant de nous montrer un bel exemple de cette approche.

La ferme a fait l’acquisition d’un ramasse-roches. En combinaison avec le râteau, cette machine permet de récolter les andains de pierres au champ. Les roches sont ramassées par des peignes aux dents d’acier et tombent dans un godet. Une fois plein, ce dernier doit être vidé dans une voiture tirée par un tracteur ou directement sur un amoncellement. Selon notre guide, le godet se remplissait en trois ou quatre minutes, causant de nombreux arrêts. Pour accélérer le travail, Francis a pensé ajouter un convoyeur à la machine. Les pierres, au lieu de s’accumuler dans le godet, tombent sur un robuste convoyeur actionné par un moteur hydraulique, qui permet de remplir au fur et à mesure une voiture suivant en tandem sur le côté. Comme l’explique le patenteux, lors de ce type d’opération, deux tracteurs tirant des remorques se relaient, assurant un travail en continu. « La machine originale est très bien conçue, très résistante et efficace. Mais quand nous avons demandé au manufacturier si nous pouvions nous procurer un convoyeur en option, il a répondu que ça n’existait pas dans son catalogue », relate Francis, qui précise qu’un de ses patrons lui a alors demandé s’il pouvait construire l’appareil. On connaît le résultat.

Toujours dans l’optique d’accélérer les opérations agricoles, Francis s’est penché sur l’épandage d’engrais. La ferme possède un épandeur de précision. Le problème, d’ailleurs identique dans toutes les fermes, réside dans l’alimentation en engrais de la machine une fois cette dernière en activité au champ. Comme la trémie se vide rapidement, l’approvisionnement entraîne bien des va-et-vient, et donc des délais. Le défi lancé par les propriétaires consistait à réaliser l’opération en moins de 30 secondes. La solution : fabriquer une grande trémie, d’une capacité légèrement supérieure à celle de l’épandeur, montée sur le mécanisme d’un charriot élévateur industriel. Le fait que la boîte ne soit pas remplie à sa pleine capacité élimine les débordements lors du transport, même si la présence d’une suspension sur l’assemblage réduit ces pertes. Pour approvisionner l’épandeur, le tracteur portant l’unité de remplissage n’a qu’à reculer à sa hauteur en suivant ses traces, soulever sa trémie et la vider dans celle de l’épandeur. « Une fois en position, les 2000 à 2500 kilos d’engrais passent d’une trémie à l’autre en huit secondes », précise le patenteux avec le sourire.

L’épandeur à engrais

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Notre patenteux nous explique les modifications sur l’épendeur à engrais.

Adapter des outils
Depuis quelques années, la ferme pratique le travail en bandes dans ses cultures céréalières. Cette technique implique le passage d’outils de préparation de sol sur une bande très précise. Pour atteindre cette précision, un système de contrôle par GPS de type RTK guide le tracteur. Cette technique sert à la préparation du sol, mais aussi lors de l’application de fertilisants, avant le semis. Malgré la précision de la conduite, un léger écart se crée tout de même au niveau du travail des outils. C’est en travaillant aux champs, à bord d’un de ces puissants tracteurs traînant des équipements de grandes dimensions, que Francis a eu une idée pour contrer cette dérive. « J’ai pensé placer un contrôle de précision par GPS à la base du cultivateur, là où il s’attache au tracteur. Il fonctionne avec son propre récepteur qui, par un système de vérins hydrauliques, arrive à corriger tout écart sur le parcours », explique notre ingénieux hôte.

La même modification a été apportée à l’applicateur à engrais. Cet équipement positionne avec précision l’engrais granulaire directement sur la bande, à la profondeur souhaitée. Ainsi, lorsque la semence sera mise en terre, elle bénéficiera du meilleur apport en engrais possible. Si l’ajout d’un correcteur de dérive de précision sur l’applicateur à engrais est ingénieux, on doit obligatoirement s’arrêter plus attentivement sur les importantes modifications que notre patenteux lui a par ailleurs apportées. À l’origine, il s’agissait d’un applicateur à engrais liquide. Préférant le granulaire, le patenteux a effectué la conversion. Il a greffé à l’applicateur une ancienne trémie Aulary, et relié le tout avec une collection de douze conduites rigides menant à autant de pattes. Ces pattes ont aussi été modifiées pour accepter l’engrais solide.

Une finition parfaite
Puisqu’il aime le travail bien fait, Francis a peint l’assemblage de la même couleur, donnant l’impression qu’il avait été livré ainsi directement de l’usine. Il s’agit d’une pratique courante pour notre patenteux qui, même s’il n’aime pas peinturer, s’assure que la machine une fois modifiée ait fière allure.

La niveleuse représente un autre outil fort pratique lorsque l’on cultive de si importantes superficies de terres. La Ferme Bonneterre en possédait une, achetée d’un concessionnaire, mais Francis en voulait une version améliorée. Au lieu de modifier l’équipement acheté, il a décidé de partir de zéro et d’en assembler une de toutes pièces correspondant mieux à ses propres critères. « Les deux améliorations principales par rapport au modèle que je connaissais portent sur les roues et les dents de préparation. Je voulais quelque chose de plus robuste. » En ce sens, le patenteux n’a pas fait de compromis. Premièrement, les pièces de l’assemblage sont faites d’un acier surdimensionné. À telle enseigne qu’il a dû faire fabriquer certaines des composantes dans une usine spécialisée, ne possédant pas les outils nécessaires dans l’atelier pour plier ou souder des morceaux de métal de ce calibre. Le patenteux a tout de même fourni des dessins et des croquis pour guider les machinistes.

Une niveleuse maison

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Notre patenteux a fabriqué sa version améliorée d’une niveleuse.

La niveleuse est donc munie d’une solide rangée de dents à ressort, qui sont en fait des pattes de sarcleur. Ces dents permettent d’émietter le sol avant que la lame ne ramasse la terre. Une telle préparation réduit l’effort demandé sur la lame. La gestion des niveaux s’effectue par un système GPS de précision, obligeant l’utilisation d’une tour mobile lorsque l’opérateur travaille sur des terres trop éloignées de la ferme. Pour supporter la lame, le patenteux a conçu un solide assemblage de roues en tandem. Les essieux proviennent de camions lourds, ce qui leur confère une grande solidité, mais aussi une durabilité appréciable. Ils peuvent être relevés par l’hydraulique en position de transport, alors que deux roues sont déployées pour prendre la relève.

Il existe une belle complicité entre notre patenteux et les propriétaires de la ferme. Les idées circulent librement et Francis peut se libérer pour travailler dans l’atelier. Cela dit, dans une ferme où la notion d’efficacité tient lieu de devise, le temps investi à ce genre de projets est calculé. « Dans certains cas, il est plus économique d’acheter une machine que de la fabriquer soi-même », résume Francis Marquis. Mais la plupart du temps, quand il est question de modifications ou de projets de moins grande envergure, l’investissement en temps et en matériel demeure facilement justifiable. Et il ne faut pas se le cacher, notre patenteux tire un grand plaisir à travailler dans l’atelier pour concrétiser une bonne idée.

Des idées simples mais pratiques
Parfois, ces réalisations sont simples mais appréciées. Francis nous en donne une bonne illustration alors que nous passons devant le plan de séchage. Au sol, là où les camions déversent le grain, la chute est protégée par un panneau en matière plastique à la fois rigide et flexible. Une fois le transfert effectué, on rabat le panneau.

Par la même occasion, nous observons que des marchepieds ont été installés sur la plateforme de la pesée des camions de grains. Cela permet au conducteur de descendre de son véhicule plus de façon plus sécuritaire. Une attention appréciée des transporteurs.

Les connaissances que Francis Marquis a développées dans l’élevage des bovins se sont traduites par certaines innovations techniques dignes de mention. À son arrivée à la ferme Bonneterre, Francis n’a pu que constater la qualité des installations. Les parcs sont bien conçus et le béton, utilisé à plusieurs endroits, rend l’élevage plus efficace. Comme le troupeau est relativement volumineux et les propriétaires ont pensé les bâtiments en conséquence.

Notre patenteux a apporté sa touche personnelle à ces excellentes bases. On peut voir, par exemple, que les barrières reliant divers bâtiments sont contrôlées à distance par des pistons hydrauliques. Dans la salle de traitement, l’opérateur peut ainsi envoyer un animal dans un parc ou l’autre, selon son choix, sans avoir à se déplacer. Pour traiter les animaux, un corral mène vers une cage de contention située dans un bâtiment fermé. Cela permet de faire les traitements, l’injection d’un vaccin ou encore la pesée des bêtes, dans un contexte plus aisé. Un corridor bétonné et incurvé mène les animaux vers la cage de contention. Des employés poussent les animaux dans la première partie du circuit. Ensuite, un système conçu par Francis prend le relais.

Le pousse-bovins

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Cette machine permet de pousser les bovins vers la cage de contention sans stress.

Bonne gestion du troupeau
Il a installé, à distance régulière, des barrières anti-recul. Une fois engagé, l’animal ne peut plus reculer. Malgré cela, certains animaux peuvent hésiter la dernière étape, celle qui les fait s’engager dans la cage. « Cette opération, quand on s’adresse à un bœuf de 1400 livres, peut s’avérer dangereuse, admet-il. J’ai donc mis au point ce qu’on pourrait appeler un « pousse-bœuf ». Il s’agit d’un bras qui se positionne derrière l’animal et qui le pousse tranquillement vers la cage. »

Comme l’explique le patenteux, le bras, actionné par un moteur hydraulique, pousse les animaux récalcitrants sans heurts. Il pense d’ailleurs en ajouter deux autres sur le parcours du corral pour accélérer l’opération. Rappelons que ce couloir voit passer le troupeau entier trois fois par année, en moyenne, ce qui représente 12 000 animaux traités. « Je ne suis pas du genre à utiliser le bâton électrique, ajoute Francis. Je veux que l’opération se déroule en douceur. »

Comme nous concluons notre tournée, Francis Marquis nous confie une autre chose qui lui tient à cœur. « Vous savez, je suis très content de montrer les équipements que j’ai fabriqués et modifiés. Ici, c’est un travail d’équipe, j’aime beaucoup échanger avec les propriétaires, Sylvain et Richard. Et si certains de vos lecteurs sont inspirés par nos idées, tant mieux. Je pense qu’en agriculture, il faut que les idées circulent. »

Au-delà d’un patenteux, Francis Marquis est aussi un homme généreux, passionné d’agriculture.