Actualités 29 avril 2022

Des astres favorables au développement du tournesol oléique

Avec un cours de l’huile qui a doublé en deux ans et le conflit qui fait rage en Ukraine, le contexte n’a ­peut-être jamais été aussi propice au développement d’une filière pour le tournesol oléique au Québec. Deux producteurs et une agronome ont partagé les particularités de cette culture, qui présente encore certains défis.

« Le tournesol oléique est une culture très intéressante, mais qui demeure très marginale au Québec. Le créneau reste à développer, notamment en ce qui a trait aux quantités mises en marché », mentionnait Sophie Rivest-Auger, agronome et conseillère en grandes cultures au CETAB+, dans le cadre du colloque Bio pour tous, le 17 février dernier, soit une semaine avant l’invasion russe.

L’huile de tournesol représente 9 % de l’huile végétale consommée dans le monde. L’Ukraine et la Russie accaparent la moitié de la production globale, évaluée à 43 millions de tonnes par an, tandis que le Canada produit seulement 0,5 tonne par année. Du côté des prix, la tonne d’huile de tournesol s’est maintenue au-dessus de 1 000 $ US depuis octobre 2020. En février 2022, elle se vendait à 1 498 $ US. Le conflit en Europe pourrait cependant brouiller les cartes.

Produire du tournesol oléique au Québec

Exploitée par la famille Verly-Brodeur, la ferme L’Arôme des champs à Bromont est l’une des rares entreprises de la province à cultiver du tournesol oléique biologique. La production est transformée à la ferme par Joany ­Brodeur et Martin Vallée depuis 2019. Les deux principaux ­produits sont l’huile et le tourteau.

« L’huile de tournesol oléique contient beaucoup d’oméga-6 et d’oméga-9, ce qui fait qu’elle se conserve plus longtemps et qu’elle est polyvalente », précise Joany Brodeur. Le tourteau de tournesol est composé quant à lui de 24 à 26 % de protéine, 16 % de matière grasse et 20 % de fibres. « C’est une alternative intéressante au soya, ajoute-t-elle. Les éleveurs de porcs considèrent de plus en plus le tourteau de tournesol et des éleveurs de chèvres ont vu le pourcentage de gras laitier augmenter avec cet aliment. »

Dix pour cent des 230 hectares de la ferme sont consacrés au tournesol. Cette culture est intégrée aux sept ans sur un retour de céréales pour éviter l’émergence de la sclérotiniose, une maladie fongique dont la souche affecte également le soya. « C’est le principal obstacle à la culture du tournesol au Québec. Le risque varie d’une ferme à une autre et on est à déterminer quels sont ­facteurs qui influencent son occurrence », explique Sophie Rivest-Auger.

Bien qu’il préfère des sols profonds et bien drainés, le tournesol pousse non sans difficulté dans le sol plutôt mince de la ferme, qui reçoit de 2 500 à 2 700 UTM et dont certaines zones sont en microclimat de la montagne.

Pierre Verly et Johanne Brodeur, de la ferme L’Arôme des champs, à Bromont, l’une des rares entreprises de la province à cultiver du tournesol oléique biologique.
Pierre Verly et Johanne Brodeur, de la ferme L’Arôme des champs, à Bromont, l’une des rares entreprises de la province à cultiver du tournesol oléique biologique.

Quelques mots sur la régie et le conditionnement

En régie bio depuis 20 ans, Pierre Verly amende le sol avec 3 TM/ha de fumier de poulet avant le semis et compte diminuer ce volume. « Nous avons des essais cette année pour semer sur un retour d’engrais verts pour éviter une surfertilisation, car trop d’azote peut favoriser la sclérotiniose. »

Outre cette maladie fongique, qui est traitée au Contans avant le semis et à l’automne, le ver gris est à surveiller lors des semis hâtifs, surtout en retour d’engrais verts ou de prairies, de même que les oiseaux migrateurs, très voraces si la récolte est tardive.

Les semis sont effectués lorsque la température de sol est à 15 °C à 15 cm de profondeur. Pour l’instant, Pierre Verly travaille avec la variété Nuseed N4H M354 Cobalt, qui donne un bon rendement, mais qui convient mieux au climat californien qu’à celui du Québec. Les semences, qui ont besoin d’humidité, sont plantées à une profondeur de 2 à 2,5 pouces, pour une densité de 65 000 grains par hectare.

« La récolte se fait généralement après celle du soya pour éviter la contamination, à un taux d’humidité de 9 à 12 %. On fonctionne avec le rotor de la batteuse au minimum », indique Pierre Verly, qui a adapté des tables à maïs pour éviter l’accumulation des fleurs à l’avant de la machinerie.

« Si le producteur n’a pas de problème de maladie, il peut aller chercher facilement son 2,5 à 3 TM/ha de rendement, signale-t-il. Le tournesol peut assurément devenir une rotation intéressante, car il convient à certains sols moins favorables au maïs. Il ne requiert pas non plus l’acquisition d’équipement coûteux. Il s’agit parfois d’adapter les équipements pour le soya ou les céréales. »

Puisqu’on parle d’une production pour la consommation humaine, Joany Brodeur insiste sur l’importance de bien respecter les étapes du conditionnement « Il faut être très rigoureux, sinon le produit se déclasse et le goût s’en trouve altéré. » Parmi les précautions prises à la ferme, le séchage se fait rapidement après la récolte à une chaleur maximale de 100 °F pour préserver le bon goût de l’huile.

Les variétés européennes à l’essai

En 2021, les agronomes Sophie Rivest-Auger et Julie Anne Wilkinson du CETAB+ ont mené des essais variétaux aux fermes L’Arôme des champs et Alain Ravenelle (Saint-Pie) afin de répondre au problème de sclérotiniose. Pour y arriver, 11 variétés européennes ont été retenues pour leur résistance à la maladie fongique, mais aussi pour leur haute teneur en acide oléique, leur précocité, leur vigueur de départ et leur haut rendement en huile. Leurs résultats ont été comparés à trois variétés américaines.

Après un an d’essais, les variétés européennes se sont démarquées, particulièrement la variété Idilic d’Euralis et quatre variétés de la compagnie RAGT, principalement en termes de la faible occurrence de la sclérotiniose et de leur précocité. Ces variétés présentaient aussi des valeurs qualitatives très similaires. Quant aux trois variétés américaines, elles se sont moins bien classées.

Cette année, les essais se poursuivront avec des variétés européennes et américaines chez quatre producteurs bio et trois transformateurs. « Il est essentiel d’impliquer aussi les transformateurs, car le développement du créneau va dépendre de la capacité de mettre le produit en marché », rappelle Sophie Rivest-Auger, qui mentionne au passage qu’en raison de faibles récoltes en 2021, plusieurs semenciers sont en rupture de stock, ce qui complexifie les efforts de recherche.

Malgré les défis à venir, Joany Brodeur demeure optimiste. « Avec les variétés qu’on met à l’essai avec le CETAB+, l’avenir est bon pour le tournesol. » 


Ce texte a été publié dans l’édition de mai 2022 du magazine L’UtiliTerre.