Ma famille agricole 29 novembre 2024

Une vie à bûcher sans jamais s’arrêter

SAINTE-AGATHE-DE-LOTBINIÈRE – Tous les jours, Réal Poirier prend le chemin de la forêt. Et il bûche. Aujourd’hui âgé de 83 ans, il s’octroie désormais une pause dîner et un congé le dimanche, prescrits par Annette Gagné, sa compagne des soixante dernières années. Leur fils François a pris la relève à la ferme et la troisième génération n’est jamais loin.

Annette Gagné en a aligné, des colonnes de chiffres, au gré des achats de terres à bois que faisait son mari, Réal Poirier, dans les secteurs de Lotbinière, de Laurierville et de Thetford Mines. Elle s’est même autoproclamée « ministre des Finances » et évalue encore aujourd’hui chaque entrée et sortie d’argent de l’entreprise. 

Seul le premier lot que Réal a acheté avant son mariage n’est pas passé par son ministère, mais Annette n’a pas perdu une occasion de le lui faire savoir. « Pourquoi t’as acheté cette terre de roches-là? » lui lance-t-elle régulièrement. Car si Réal visait à l’époque l’érablière au fond du lot, la terre agricole était difficilement cultivable. La famille a passé des années à se débarrasser de la roche. Une tâche éreintante, jamais achevée. « Maintenant, notre fils fait ça avec un râteau à roches », note-t-elle.

À la lisière de la forêt, sur une terre voisine, l’un de leurs fils, François, et leur petit-fils, Samuel, en sont d’ailleurs à éclaircir un boisé. « On enlève la vieille clôture et on se prépare pour une érablière de 2 000 entailles », expliquent-ils. François a pris la relève, au début des années 2000, de la ferme, qui contenait alors un élevage de bœufs, et a poursuivi l’acériculture avec ses parents. Réal, lui, a conservé plusieurs terres à bois. 

Pour quelqu’un qui a passé sa vie à travailler comme bûcheron, Réal Poirier n’a pas nécessairement une stature imposante. L’homme est plutôt mince malgré sa grande taille. « Mais j’ai toujours été un homme fort », insiste-t-il.  C’est qu’il a commencé très tôt, à l’âge de 4 ans, en suivant son père en forêt pendant que les plus vieux étaient à l’école. « Après les semences ici, tout le monde pleumait du bois. Tous les cultivateurs bûchaient parce que tout était chauffé au bois – l’église prenait 100 cordes! » se remémore-t-il. 

La coupe forestière fait encore partie du travail de François Poirier, qui a aussi un élevage de bœufs.

Son parcours scolaire a été de courte durée. Il a plutôt donné un coup de main à la ferme avant de partir sur les chantiers. « Dans le bois, je pouvais faire 28 $ par jour, un salaire que je n’aurais pas pu faire à la ferme. J’ai été à La Tuque, Clova, Senneterre », relate-t-il. Ses garçons non plus n’ont pas fait de longues études, « mais tous ont bien réussi », soutient Annette. « Il a commencé à nous lever pour faire le train en troisième année », raconte-t-elle au sujet de leur fils François. Bien que ce dernier ne conserve pas de bons souvenirs de son parcours scolaire, il a obligé son garçon à poursuivre ses études. Samuel a ainsi fait un diplôme d’études professionnelles en construction après son secondaire et s’implique maintenant à la ferme avec son père. « Je voudrais qu’il suive un cours en administration », insiste son grand-père.

Quand j’étais garçon, je bûchais pour les autres. J’ai appris à calculer le nombre de cordes pour une grosseur de bois donnée. Je calculais ça par acre et je proposais mes services. Des fois, on me disait : ‘‘Si tu la veux, elle est à vendre.’’ C’est là que j’ai commencé à acquérir des terres.

Réal Poirier

Après l’achat de sa première terre agricole, en 1962, Réal Poirier a élargi ses activités. La production forestière s’est bonifiée avec l’acériculture, les élevages (porcs et bœufs), les vaches laitières et les grandes cultures. Aujourd’hui, Réal déplore que la production forestière ne soit plus très rentable avec la hausse des coûts de production et les considérations environnementales. « Ça devient difficile d’attirer les jeunes vers le métier », déplore-t-il. Il poursuit toutefois son implication auprès du Syndicat des propriétaires forestiers de la région de Québec, organisme qu’il a fondé avec d’autres collègues dans les années 1960.

N’empêche, après avoir délaissé toutes ses productions agricoles au profit de ses enfants, c’est tout de même la production forestière qu’il a conservée : 2 000 acres (809 hectares) répartis sur quelques lots dans les villages avoisinants. Et pas question d’en acquérir d’autres. « Le ministre des Finances dit non. D’après moi, il ne pourra pas bûcher tout ce qu’il lui reste, vu son âge », affirme Annette.

Alors tous les matins, Réal Poirier prend le chemin de la forêt. Et il bûche. Seule nouveauté : un cellulaire, que lui a acheté Annette pour éviter de s’inquiéter.  

Samuel a fait un diplôme d’études professionnelles en construction après son secondaire et s’implique maintenant à la ferme avec son père.

Équipement utile

Dix ans après avoir acquis sa première terre, Réal s’est procuré un équipement forestier mécanisé. « Je commençais à avoir mal au coude », explique-t-il. Son choix s’est arrêté sur une F4 Dion, un transporteur sur chenilles doté d’une chargeuse télescopique fabriquée à Saint-Augustin-de-Desmaures, de l’autre côté du fleuve. La machine lui a coûté 26 500 $. Une somme considérable en 1972. « C’était de l’argent et on construisait une maison. Dans le temps, il l’avait payée comptant. Il avait assez bûché », explique Annette. En 2000, le couple a renouvelé l’équipement, une machinerie que Réal opère encore aujourd’hui. 

En 1972, Réal Poirier s’est procuré son premier équipement forestier mécanisé.

Le bon coup de l’entreprise

L’achat d’une terre agricole avec une érablière, en 1962, demeure encore aujourd’hui la meilleure décision d’affaires que Réal Poirier estime avoir prise. Et ce, malgré les roches qui ont tant désespéré Annette. Ainsi, les revenus de l’érablière lui ont permis, dès le premier printemps, de financer l’achat des semences et des engrais chimiques. Grâce à l’érablière, Réal a pu ainsi financer plusieurs investissements qui ont suivi. Encore aujourd’hui, l’acériculture demeure une valeur sûre. « Dans le bois, on n’a pas encore le coût de production. On le demande depuis des années. Alors que dans le sirop, c’est plus clair. On est capable de négocier et on s’entend bien avec les acteurs », affirme-t-il. 

Annette Gagné s’est autoproclamée « ministre des Finances » et évalue encore aujourd’hui chaque entrée et sortie d’argent de l’entreprise. 
Fiche technique
Nom de la ferme :

Réal Poirier

Spécialité :

Producteur forestier

Année de fondation :

1962

Nom du propriétaire :

Réal Poirier

Nombre de générations :

3

Superficie en culture :

2 000 acres (809 ha)

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