Le rêve bio de deux amoureux

SAINT-ANDRÉ-AVELLIN – Issus de deux familles agricoles spécialisées dans la culture de pommes de terre, Chantale Vaillancourt et Martin Turcot ont aussi en commun de ne pas avoir pris la relève de leurs parents. Ils ont plutôt réalisé leur rêve d’une ferme biologique, qu’ils espèrent maintenant léguer à leurs enfants.

À l’île ­d’Orléans, le père et l’oncle de Chantale Vaillancourt, éleveurs Herford émérites, cultivaient des fraises et des pommes de terre. La ferme aujourd’hui rebaptisée Valupierre est la propriété de son frère et de sa belle-sœur. Dernière de 6 enfants, Chantale avait 13 ans au moment du transfert. 

À Saint-André-Avellin, en Outaouais, Martin Turcot a vécu son enfance à la Ferme Vianney et Marguerite Turcot, reprise par sa sœur. « Ma relation avec l’agriculture n’était pas facile. Au cégep, à Montréal, je ne disais pas que je venais d’une famille agricole. J’avais peur du jugement », admet-il.

Les deux âmes sœurs se sont rencontrées en 1993 au collège Macdonald. « Je dis toujours que j’ai été à Macdonald pour rencontrer Martin, dit Chantale en riant. C’est tout de suite venu sur la table qu’on voulait avoir notre ferme. Ça allait de soi que ce serait bio. »

Détenteur d’une maîtrise en science des sols, Martin a suivi un parcours en zigzags. Entre un bac en administration et un travail dans une organisation non gouvernementale au Mali, il a suivi le programme de coopération interculturelle au cégep de Rivière-du-Loup. Son professeur Michel Gendreault était copropriétaire de la ferme biologique Marichel, à Sainte-Agathe-de-Lotbinière. Le fait de venir donner un coup de main sur place a été « comme une épiphanie », se souvient Martin.

Chantale, de son côté, a choisi d’aller étudier en anthropologie, ce qui l’a menée dans le monde communautaire, à la tête d’une table de concertation de groupes de femmes. « La gestion des ressources humaines, le développement de partenariats… Cette expérience a été transférable à la ferme », mentionne-t-elle.

Patelin de Martin

Le couple a d’abord cherché dans Lanaudière, à Portneuf et en Estrie avant de trouver dans le patelin de Martin, en 2002, une terre de 34 ha, dont 8 cultivables, à Saint-André-Avellin. « On était contents de trouver un milieu agricole dynamique. Des voisins pouvaient faire du travail à forfait et nous louer des tracteurs. Ma mère était proche; notre fille Alexia avait 2 ans. On était bien ­entourés », raconte Martin. 

Les débuts ont été modestes et ardus, à une époque où le bio était parfois accueilli avec scepticisme. Néanmoins, la production a plus que triplé entre 2003 et 2005, passant de 75 paniers hebdomadaires à 235, et a continué de s’élargir ensuite, tout comme la famille, qui a accueilli le petit Nathael en 2006.

Aujourd’hui, 650 paniers d’été sont distribués (une pointe de 900 a été enregistrée pendant la pandémie). Les paniers d’hiver ajoutés en 2023 étendent la production annuelle sur 34 semaines, comparativement à 15 en 2003.

Cette évolution a été jalonnée de décisions marquantes, comme la construction de grands tunnels en 2009, l’arrivée de la main-d’œuvre étrangère en 2010, la construction d’un bâtiment multifonctionnel en 2014, l’ajout de 24 ha cultivables en 2016 et l’installation de deux serres chauffées en 2017.

Le chemin parcouru ne se mesure pas qu’à l’aune de la production. « Je crois qu’on a contribué à rendre le bio plus largement accessible dans la région », se réjouit Chantale.

L’ajout de paniers d’hiver, en 2023, a justifié l’arrivée plus hâtive des travailleurs guatémaltèques Jonathan et Juan, qui effectuent diverses tâches à la ferme. Photo : Nathalie Villeneuve

Prêts à attendre

Dans la jeune cinquantaine et deux fois grands-parents, les producteurs se tournent vers les enfants qui prendront possiblement la relève. « Je ne veux pas les presser. On va attendre, dit Martin. Si ça prend 10-15 ans, on va continuer, mais il va falloir ralentir un peu, embaucher des travailleurs. »

Alexia, 23 ans, s’occupe du service à la clientèle, des ressources humaines et des communications à la ferme. Nathael, 17 ans et étudiant au cégep, y travaille l’été. Des études en génie des bioressources au collège Macdonald ­l’intéressent. « Je vais reprendre la ferme si mon frère embarque, tranche Alexia. J’ai vu à quel point mes parents ont travaillé fort. »  

Le bon coup de l’entreprise

La construction d’un bâtiment multifonctionnel, en 2014, a multiplié par huit la superficie où les activités se concentraient auparavant. « On a fait des miracles dans la vieille porcherie », estime le couple de propriétaires. Cet investissement a permis d’augmenter la production, d’allonger la saison des paniers d’été et d’introduire les paniers d’hiver. Un effet positif s’est fait sentir sur l’ergonomie, l’efficacité et la qualité du milieu de travail, dans ce bâtiment où sont aménagés les aires de conditionnement des légumes et de composition des paniers, la chambre froide, la cuisine, le bureau, la boutique et des logements pour les 13 travailleurs étrangers. 

Autrefois à l’étroit dans l’ancienne porcherie, les propriétaires disposent désormais d’un vaste espace pour la composition des paniers. Photo : Nathalie Villeneuve

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Prioriser le service à la clientèle

« On me dit : ‘‘Quand on appelle chez vous, ça répond tout le temps.’’ Moi, quand je vais dans le champ, j’amène le téléphone, et je réponds à mes courriels rapidement », dit Chantale Vaillancourt. Le suivi auprès des abonnés aux paniers de légumes est aussi une priorité, note-t-elle. « On est à l’écoute de leurs commentaires sur la qualité des produits et on corrige le tir s’il le faut. »

Investir intelligemment

Rester modeste et bien cibler ce qui génère des revenus est la clé, selon Martin Turcot. Pour les investissements plus conséquents, il faut avoir une vision à long terme. « Il faut se dire qu’on est trop pauvres pour être cheap », illustre Martin, dont l’entreprise utilise toutes les subventions et les expertises à sa disposition.

Suivre le rythme naturel de la famille

Gérer une entreprise familiale implique, par exemple, de ne pas planifier de gros projets quand on attend un enfant. Martin et Chantale l’ont appris à leurs dépens, lorsqu’ils ont augmenté le nombre de paniers alors que leur deuxième enfant était en route. « Ce n’était pas le bon moment », résume Martin.

Le rêve d’avoir sa propre ferme a germé lors de la rencontre du couple au collège Macdonald. Photo : Nathalie Villeneuve
Fiche technique 🥬
Nom de la ferme :

Ferme Aux pleines saveurs

Spécialité :

Maraîchage biologique

Année de fondation :

2002

Noms des propriétaires :

Martin Turcot et Chantale Vaillancourt

Nombre de générations :

1

Superficie en culture :

32 ha, dont 0,3 ha en serres


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