Portraits 26 avril 2023

Le pari gagné des Bianchi dans la pampa

GENERAL LAS HERAS – Sur les vastes terres argentines propices à l’élevage se dresse l’estancia La Julia, une exploitation d’élevage de bovins de pâturages naturels certifiée biologique. L’entreprise familiale installée dans la pampa depuis près de 30 ans travaille avec passion, empruntant un chemin productif qui applique les principes d’une agriculture régénératrice.

Fernando Bianchi, accompagné de sa femme, Valerie Bate, d’origine canadienne, et d’un de leurs fils, Francisco, sur le terrain de leur estancia La Julia, située en Argentine.

À General Las Heras, petite municipalité à 70 km de Buenos Aires, Fernando Bianchi reçoit La Terre avec sa femme et l’un de leurs trois enfants dans leur maison de campagne. Autour, les basses terres de la région pampéenne s’étendent à perte de vue. « Nous avons acheté La Julia en 1994 pour développer une activité de fin de semaine qui nous permettrait de sortir de la ville », raconte Fernando Bianchi, qui possédait à l’époque un studio d’architecture et une entreprise de construction avec sa famille.

On peut s’imaginer nos champs comme un grand jeu d’échecs [divisé en milieux productifs avec des changements de zones jusqu’à deux fois par jour selon les catégories d’animaux].

Fernando Bianchi

Sa femme et lui ont alors mis la main à la pâte pour faire revivre cette terre abandonnée, surpâturée et dotée d’installations désuètes. Vingt mille arbres ont été plantés depuis et le cheptel compte 1 100 animaux.

Fernando s’est rapidement intéressé à la gestion du pâturage rationnel rotatif, cherchant à optimiser la croissance et l’utilisation de l’herbe de manière naturelle. Les prairies ont entre autres cessé d’être semées et les intrants extérieurs ne sont plus nécessaires. En 2001, l’exploitation a été certifiée biologique. L’entreprise a alors emprunté un chemin qui a amené l’éleveur à découvrir les pratiques de l’agriculture biologique régénératrice. Fernando Bianchi a mis en œuvre sur sa propriété des projets de gestion des pâturages et de conservation du sol, de l’eau et de la biodiversité. La régulation périodique du moment et de la durée du pâturage par le bétail pour minimiser les conséquences sur les terres est au cœur de ses pratiques.

Francisco Bianchi s’occupe principalement du cheptel qui est divisé en cinq troupeaux : les vaches de 3e vêlage, les génisses de 1er et 2e vêlage, les taureaux, les veaux d’élevage et les bouvillons.

Renouer avec la tradition argentine

Les clôtures électriques mobiles sont utilisées quotidiennement pour contrôler les aires de pâturage. Chacun des cinq troupeaux du cheptel a son secteur où il se déplace.

Francisco, Carolina et Matías, les trois enfants, ont sauté dans l’aventure, en développant la marque et en commercialisant leur viande de spécialité. « Nous doublons la valeur de l’animal », explique Francisco. Leur production annuelle représente environ 32,8 tonnes de viande transformée. 

 « Nous promouvons le terroir spécifique de La Julia et le travail que nous avons fait pour régénérer le sol, qui produit de plus en plus de nutriments de meilleure qualité, fait remarquer Fernando Bianchi. Beaucoup de clients me disent que ça leur fait penser à la viande qu’ils mangeaient quand ils étaient petits. » 

Car si l’Argentine est l’un des principaux producteurs de viande au monde, l’image mythique des bovins qui broutent toute leur vie durant dans les vastes prairies de la pampa argentine est de moins en moins le reflet de la réalité. L’élevage argentin a subi une transformation avec l’introduction de systèmes d’engraissement intensifs. Les producteurs argentins de bœuf font un usage croissant des parcs d’engraissement, particulièrement depuis « le boum du soya » dans les années 2000, dont l’Argentine est aujourd’hui le principal exportateur mondial sous forme de farine et d’huile. 

La proportion du bétail argentin conduit dans les parcs d’engraissement serait d’environ 70 %, selon Fernando M. Storni, président de l’organisation nationale Cámara Argentina de Feedlot. « La vérité est que l’Argentine, au lieu de produire une spécialité, qui était de la viande nourrie à l’herbe, s’est mise à produire une marchandise », pense Fernando Bianchi.  

À La Julia, la famille Bianchi choisit donc la tradition. « Nous faisons ce qui se faisait en Argentine depuis toujours », affirme l’éleveur. Toute la production est destinée au marché local, vendue directement en circuit court aux consommateurs et à quelques restaurants. Enthousiaste, Francisco signale qu’il s’agit d’« un modèle inspiré de ce qui se fait aux États-Unis et au Canada ». Leur viande est une rareté dans ce pays où l’exportation des produits certifiés biologiques engloutit presque la totalité des produits disponibles. « Heureusement, malgré l’inflation et la hausse des prix, les gens continuent à demander de la viande », se réjouit Fernando Bianchi.

Sur les terres de La Julia, les animaux sont concentrés sur une petite superficie.

La sécheresse traversée avec résilience

Impossible de passer sous silence les défis climatiques auxquels font face les agriculteurs argentins depuis trois ans, en raison de la persistance du phénomène La Niña et d’une baisse de précipitations. « On est dans la pire sécheresse depuis 80 ans, alors c’est très, très compliqué, insiste Fernando Bianchi. À 30 km d’ici, on a un grand lac et il est complètement sec, ça ne s’était jamais produit. » Le travail effectué pour la régénération des sols de La Julia a pour effet de réduire les risques climatiques pour la production. L’excellente santé des prairies, qui séquestrent 6 à 8 tonnes de carbone par hectare, leur donne une résilience impressionnante pour combattre la sécheresse, si bien que La Julia n’a pas eu à solliciter une seule fois l’aide économique d’urgence fournie par le gouvernement.