À coeur ouvert 27 novembre 2023

Quand on se sent à la merci des intégrateurs

« C’est vraiment sûr que ça va être anonyme? » J’ai dû le réaffirmer à de nombreuses reprises à des éleveuses et des éleveurs de porcs à forfait. Ceux-ci, désireux de dénoncer leurs conditions, craignent « énormément » les représailles de leurs intégrateurs respectifs s’ils apprennent qu’ils « ont parlé ». Ils proviennent de régions et sont de générations différentes, mais partagent les mêmes sentiments de frustration, d’injustice, de découragement, d’impuissance et de déprime. 

Les récentes coupures de prix ont affecté encore davantage leur moral. « Des fois, quand je suis dans la porcherie, je me sens vraiment déprimée parce que je me sens exploitée. Ils savent qu’ils peuvent me donner le prix qu’ils veulent, exiger toujours plus d’obligations, pis que je n’ai pas le choix de me soumettre… parce j’ai les infrastructures, que j’ai investi dans du neuf, que je suis endettée. » Et qui dit coupures dit insécurité financière et projections négatives. « Ça fait 10 ans qu’on n’a pas été augmentés, pis là avec l’inflation et la hausse des taux d’intérêt, tout augmente, mais le producteur, lui, on peut le baisser. On n’a pas un mot à dire. » 

Cadeau empoisonné

S’il est un autre élément sur lequel les témoignages se ressemblent, c’est celui de ne pas vouloir que leurs enfants suivent leurs traces, ou de se questionner fortement s’ils font bien de transférer à leur relève. « J’ai pus le goût de transmettre. Tu ne veux pas qu’ils travaillent 7 jours sur 7, mal payés, pas de reconnaissance. Tu veux mieux pour eux. » C’est un choix très déchirant et c’est bien triste à dire,
reconnaissent-ils. Ils poursuivent parce qu’ils n’ont pas d’autre choix. « J’aurais voulu profiter du programme de sortie de la production, je suis à boutte. Ils nous ont fait rénover, investir. Le programme de rachat ne couvrirait pas nos dettes. On resterait avec une dette et sans revenus. » 

Contrats béton à sens unique

Personne ne veut affronter son intégrateur de peur qu’on ne leur envoie plus de porcs.

Le cris** de contrat, ils font ce qu’ils veulent avec. Si t’es pas content, on vide la porcherie.

Il n’y a aucune force de groupe, aucun pouvoir de négociation lorsque chacun signe son contrat individuellement. Les éleveurs constatent que les salaires des employés des meuneries ou des abattoirs ont augmentés, notamment en raison de la pénurie de main-d’œuvre, ce qui augmente leur frustration. 

Absence de reconnaissance 

La reconnaissance du travail qu’on effectue est un facteur qui contribue à une bonne santé mentale. Or on déplore que la reconnaissance n’existe plus. À une autre époque, ils pouvaient encore se percevoir comme faisant partie d’une équipe et en éprouver de la fierté. L’humanité ne semble plus faire partie des relations avec leur intégrateur. « Tu prends soin de leurs animaux, 7 jours sur 7, 24 heures sur 24, tu fais toute, pis qu’est-ce que tu reçois en retour? Zéro reconnaissance. Pas de revenu décent. On nourrit le monde, ce n’est pas rien. » On a l’impression que plus on en fait, moins on reçoit. « Il y a deux ans, j’ai agrandi la porcherie pour faire plaisir à mon intégrateur. J’ai rénové, j’ai pris un prêt agricole conséquent au prix que je recevais pour chaque place. Deux ans après, comme remerciement, on coupe mon prix. Avoir su…» 

« Tout ça, c’est dur sur le moral. Je commence à être découragé. » Ils ne se font guère d’illusions, mais ils osent espérer des améliorations. Un « contrat » qui ne protégerait pas seulement l’intégrateur serait un bon début. Le versement de l’assurance stabilisation du revenu agricole (ASRA) uniquement à l’intégrateur est un non-sens pour eux.
« L’éleveur à forfait n’a pas de parachute, pas d’ASRA, c’est l’intégrateur qui la reçoit. Les coupures, c’est moi qui les assume, mais c’est lui qui a les aides. » Ils rêvent du jour où l’ASRA serait redistribuée équitablement entre les éleveurs et l’intégrateur et où ils seraient rémunérés à leur valeur.  


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