Actualités 14 décembre 2017

Plantes médicinales : de Louis Hébert à aujourd’hui

La famille de Louis Hébert (1575-1627) représente la première famille de souche française établie en Nouvelle-France. Elle réussit si bien à Québec que dès 1626, ses terres sont décrétées comme étant celles d’un « fief noble ». L’apothicaire Hébert devient ainsi le premier seigneur terrien canadien grâce à son travail acharné et à celui de son épouse Marie Rollet.

Né à Paris, Louis Hébert y connaît de très grandes difficultés au cours de sa jeunesse et au début de sa période adulte. En plus de perdre sa mère en bas âge, il subit les affres et les souffrances des guerres de religion entre catholiques et protestants. Celles-ci divisent la ville, qui est affligée de surcroît par des épisodes de peste. En dépit de ces conditions défavorables, Louis réussit à apprendre le même métier que son père Nicolas en suivant une longue formation avec un maître apothicaire.

Cependant, Louis n’arrive pas à s’installer en tant qu’apothicaire à Paris. L’emprisonnement de son père pendant deux ans pour dettes a certainement contribué à contrecarrer ses projets. Marié en 1601 à Marie Rollet, Louis décide de tenter l’aventure du Nouveau Monde en s’engageant comme maçon pour un premier séjour (1606-1607) en Acadie. Durant cette aventure de travail, l’avocat et poète Marc Lescarbot écrit au sujet de Louis Hébert que l’apothicaire « prend grand plaisir au labourage de la terre » en sol nord-américain. Louis se familiarise avec la flore locale. En effet, à cette époque et depuis l’Antiquité, la majorité des remèdes proviennent du monde végétal (en plus de certains remèdes d’origine animale ou minérale).

La connaissance des plantes médicinales est au cœur du métier de Louis. Il faut savoir identifier les « simples » (c’est ainsi qu’on qualifie les plantes médicinales à l’époque) et en connaître les propriétés curatives pour préparer des extraits et des médicaments tout en évitant les plantes toxiques et létales. Durant sa formation dans une boutique d’apothicaire (pharmacie), Louis s’est familiarisé avec une gamme de plantes médicinales européennes qui sont répertoriées dans des livres spécialisés souvent écrits en latin, la langue des savants de l’époque. Il connaît donc le jargon latin des médecins et des pharmaciens de son temps.

Après un deuxième séjour de travail en terre acadienne (1611-1613), l’apothicaire décide de signer un troisième contrat de travail pour un autre séjour en sol nord-américain. Cette fois, il n’est pas seul. Il arrive à Québec en 1617 avec son épouse, leurs trois enfants et son beau-frère. Son contrat avec la compagnie de traite des fourrures spécifie qu’il doit traiter les malades gratuitement et qu’il pourra éventuellement semer du pétun (tabac), du blé d’Inde et « autres jardinages » à condition d’en faire d’abord le commerce avec la compagnie qui l’emploie. Le tabac et le maïs sont des plantes très importantes pour le troc commercial des fourrures.

Dès son premier séjour en Acadie, Louis a l’occasion de soigner des Amérindiens, comme le grand chef Membertou et l’un de ses fils. Pendant plusieurs années, il apprend sur le terrain le savoir agricole et médicinal de diverses nations amérindiennes. Peu à peu, l’apothicaire adopte de nouvelles plantes alimentaires et médicinales tout en bénéficiant de ses connaissances européennes. Ainsi, sa pratique de l’agriculture et de la pharmacie est souvent hybride, car elle intègre des connaissances amérindiennes et européennes. À titre d’exemple, Marc Lescarbot rapporte qu’en Acadie, une préparation médicinale combinant de l’huile de navette (une espèce de Brassica cultivée alors en Europe) avec de la gomme de sapin baumier a été élaborée avec succès pour résoudre les problèmes de teignes. Il s’agit de l’un des premiers cas d’utilisation d’un médicament européen associé à un médicament d’Amérique du Nord.

Bien que Louis Hébert n’ait pas laissé d’écrits, des observateurs de l’époque notent qu’il cultive des pois et des céréales d’Europe, tout comme du maïs et du tabac d’Amérique. Il tente d’acclimater des vignes de France tout en essayant de cultiver une vigne nord-américaine (vigne des rivages, Vitis riparia). Lors de fouilles archéologiques sur le site de la maison ancestrale Hébert-Couillard dans la cour intérieure du Séminaire de Québec (Guillaume Couillard avait épousé en 1621 Guillemette Hébert, la fille de Louis et Marie), on a trouvé un poids d’apothicaire servant lors de la préparation des remèdes et une graine de jusquiame noire (Hyoscyamus niger), une espèce médicinale d’Europe utilisée depuis l’Antiquité et qui possède des propriétés hallucinogènes, voire létales à dose élevée.

Le tabac, un remède de choix

Tabac des paysans (Nicotiana rustica)
Tabac des paysans (Nicotiana rustica)

Parmi les végétaux médicinaux du Nouveau Monde au temps de Louis Hébert, on trouve le tabac, qui suscite l’enthousiasme de plusieurs médecins réputés d’Europe. Deux espèces sont à l’honneur : le tabac commun (Nicotiana tabacum) et le tabac des paysans (Nicotiana rustica), illustré à la figure 2. Cette dernière est vraisemblablement celle qu’a expérimentée Jacques Cartier en 1535 au village des Iroquiens à Hochelaga (Montréal). Pour les médecins européens, le tabac constitue un excellent remède à plusieurs maux. Il s’agit presque d’une panacée. En plus de fumer le tabac de façon récréative, on s’en sert souvent à l’époque pour favoriser la guérison de blessures et même de tumeurs externes de toutes sortes. Lors du premier séjour de Louis Hébert en Acadie, Marc Lescabot note que l’on recommande même la cendre de tabac (en plus d’extraits de feuilles) pour « consolider les plaies ». D’ailleurs, la nicotine ne sert pas seulement à générer une dépendance au tabac. À la toute fin du 19e siècle à Montréal, on continue de recommander l’ingestion de nicotine pour guérir du tétanos. On note cependant que le dosage doit être bien fait, car il y a un danger de toxicité aiguë. Le tétanos se guérit apparemment mieux si l’on ajoute un traitement par lavement à base de tabac.

Louis Hébert s’est progressivement familiarisé avec plusieurs usages médicinaux de plantes canadiennes. Après son décès, en 1627 à Québec, divers observateurs comme les missionnaires jésuites et récollets œuvrent à la diffusion des connaissances sur les plantes médicinales utilisées au Canada. Parmi ceux-ci, le missionnaire jésuite Louis Nicolas (séjour de 1664 à 1675) est le premier à signaler la présence en Nouvelle-France de certaines espèces médicinales d’Europe, comme le pissenlit, le tussilage pas-d’âne, le millepertuis commun, le grémil officinal et d’autres espèces transportées de l’Ancien Monde.

Évolution de la science

Au 18e siècle, il faut attendre l’arrivée de médecins du roi, comme Michel Sarrazin (1659-1735) et Jean-François Gaultier (1708-1756), avant d’obtenir des informations plus précises et plus scientifiques sur des plantes médicinales. Ces médecins font cependant grandement appel à la pharmacopée européenne, car ils ont été formés de façon traditionnelle en France. Ils décrivent à l’occasion quelques usages médicinaux de plantes indigènes au Canada. Le plus souvent, ces usages sont évidemment issus de traditions amérindiennes. Ainsi, Michel Sarrazin note que des Amérindiennes utilisent la sanguinaire du Canada pour provoquer des avortements (figure  3). Il s’offusque de cet usage tout en indiquant qu’il a lui-même utilisé cette espèce à des fins médicales.

En plus des missionnaires, diverses communautés religieuses ont contribué par leurs écrits à diffuser diverses connaissances médicinales. Peu avant la Conquête en 1760, les Augustines de l’Hôtel-Dieu de Québec procèdent à des échanges commerciaux avec quelques apothicaires en France. Par exemple, les Augustines expédient à l’apothicaire Féret de Dieppe de la fougère dite capillaire du Canada (adiante du Canada) avec laquelle on prépare un sirop fortement recommandé pour les troubles respiratoires. Elles font aussi le commerce du ginseng du Canada (ginseng à cinq folioles), de la résine de deux conifères (sapin baumier et mélèze laricin) et du sucre d’érable servant à des préparations médicinales et provenant de la sève de l’érable à sucre et de l’érable rouge. Dans leurs missives, les Augustines dénoncent certaines fraudes et adultérations de plantes médicinales. À l’époque, ces pratiques semblent plutôt fréquentes.

Après la Conquête, une grande influence britannique prévaut évidemment en médecine officielle et en pharmacie, tout comme dans d’autres secteurs d’activités. Malgré cette empreinte anglaise, diverses connaissances médicinales locales ou traditionnelles perdurent ou se développent. Ainsi, Joseph-Claude Poulin-Cressé de Courval (1762-1846), curé pendant 52 ans au village de Pointe-aux-Trembles en banlieue de Québec, distribue gratuitement une préparation médicinale qui portera son nom, la courvaline. Celle-ci est préparée avec des racines de pissenlit (qu’on nommait dent-de-lion), de patience (une espèce de Rumex), de chicorée sauvage (espèce introduite d’Europe et échappée des cultures), de salsepareille (aralie à tige nue) et d’autres ingrédients.

L’abbé Louis-Ovide Brunet (1826-1876), premier professeur de botanique à la toute nouvelle Université Laval fondée en 1852, se préoccupe beaucoup de la connaissance des plantes, incluant celle des espèces médicinales. En 1861-1862, il visite de grands jardins et des universités d’Europe dans le but de créer un jardin botanique sur la Grande-Allée au cœur de la ville de Québec. Il a aussi le projet d’installer à proximité une école forestière. Malheureusement, une santé fragile et le manque d’appui entravent les visées du professeur botaniste. Léon Provancher (1820-1892), un collègue prêtre et souvent un rival scientifique d’Ovide Brunet, publie en 1862 la première flore canadienne moderne et rédigée en français dans laquelle certains usages médicinaux sont mentionnés. Étonnamment, une première flore canadienne avait été publiée à Paris dès 1635 par Jacques Cornuti, un médecin parisien qui n’a pourtant jamais visité l’Amérique du Nord. Dans cet ouvrage rédigé en latin, le médecin présente des descriptions et des illustrations d’une quarantaine de plantes nord-américaines. L’une d’entre elles porte le nom de Panaces, qui signifie panacée, et on la présente comme pouvant guérir beaucoup de maux. Il s’agit de l’aralie à grappes. Il est vraisemblable, quoique non démontré, que Louis Hébert ait contribué à la diffusion et à la connaissance des espèces décrites par Cornuti. À Paris, Louis Hébert avait été en lien avec un réseau important d’apothicaires, de jardiniers et de médecins.

Les premières publications scientifiques sur les substances végétales purifiées à partir d’extraits de plantes médicinales apparaissent au début du 19e siècle. Diverses substances reconnues pour leur valeur médicinale sont caractérisées tout au long de ce siècle, notamment la morphine, l’atropine et la quinine. C’est le début avant l’heure de la biochimie et des investigations moléculaires qui prendront leur essor aux 20e et 21e siècles. On parle de moins en moins de plantes médicinales, mais plutôt de molécules et de leur bioactivité. Les compagnies pharmaceutiques modernes recherchent des molécules qui rapportent des profits grâce à des produits protégés par des brevets. Comme les molécules naturelles issues de plantes ne sont pas brevetées, l’industrie accorde la priorité à la mise au point de molécules dérivées ou inspirées chimiquement de substances naturelles et au développement de procédés ou de préparations misant sur l’efficacité clinique des molécules.

Au début du 21e siècle, nous sommes entrés dans l’ère biotechnologique et il est désormais possible d’effectuer des manipulations génétiques pouvant influencer la production de molécules médicinales. La société et le monde de la science doivent interagir ouvertement et rigoureusement afin de profiter adéquatement de la diversité des molécules médicinales provenant des végétaux si utiles à notre bien-être. Merci aux végétaux pour leur arsenal diversifié de molécules de défense contre divers envahisseurs (virus, bactéries, champignons, insectes, animaux herbivores, etc.), car plusieurs de nos médicaments modernes dérivent de ces armes biochimiques visant à défendre les plantes. 

Pour en savoir plus :

ASSELIN, Alain. Quelques plantes médicinales au temps de Louis Hébert, Pharmacopolis, no 4, 2017, p. 39-47.

ASSELIN, Alain, Jacques CAYOUETTE et Jacques MATHIEU. Curieuses histoires de plantes du Canada, Québec, Les éditions du Septentrion, 2014.

MATHIEU, Jacques et Alain ASSELIN. Louis Hébert, apothicaire, et la contribution du Nouveau Monde à l’Ancien Monde, Cap-aux-Diamants, no 128, 2017, p. 4-7.

MATHIEU, Jacques, avec la collaboration d’Alain ASSELIN. La vie méconnue de Louis Hébert et Marie Rollet, Québec, Les éditions du Septentrion, 2017.


Alain Asselin ~ Professeur à la retraite du Département de phytologie de la Faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation de l’Université Laval.