Actualités 23 février 2023

Les changements globaux et nos érablières : que faut-il savoir et que pouvons-nous faire?

Dans le contexte actuel d’accélération des changements globaux, tous les êtres vivants devront s’adapter à ces nouvelles conditions et les forêts n’y font pas exception. En plus des changements climatiques caractérisés par des phénomènes météorologiques extrêmes, un climat plus favorable à la propagation d’espèces exotiques envahissantes et de ravageurs forestiers, il existe également une incertitude croissante quant à la valeur socioéconomique future de nos forêts. 

Nous sommes de moins en moins en mesure de prédire les conditions de croissance auxquelles nos arbres seront confrontés, ou quels services écosystémiques ou espèces d’arbres seront les plus appréciés. Cette incertitude nous force donc à repenser nos façons d’aménager nos forêts. Nous devons passer d’une gestion basée sur la certitude et la production de produits et services bien définis (sirop, bois de feuillus de qualité, bois de construction, etc.) à une gestion basée sur l’incertitude où l’intérêt principal de notre aménagement devrait être de maintenir ou d’améliorer la résilience de nos forêts face aux changements globaux.

La question de la durabilité de l’érablière en général se pose donc à la lumière des changements climatiques et d’autres perturbations qui risquent d’affecter profondément la vigueur et la survie de nos forêts dans le futur. Cette question est d’autant plus importante que des études récentes ont montré clairement que la croissance de l’érable à sucre a tendance à diminuer depuis 30 à 50 ans dans la totalité de son aire de distribution par rapport aux autres espèces, et ce, autant en sites riches que pauvres. La mortalité des arbres est en augmentation autant au Canada que dans le monde. Ce déclin serait causé par de multiples facteurs dont les interactions sont complexes et possiblement différentes entre les sites pauvres et riches. Les érablières situées plus au sud du Québec sur des sols acides et minces seraient particulièrement vulnérables. Il semble aussi que les pluies acides et certaines défoliations par les insectes auraient été des éléments déclencheurs de ce déclin, qui est depuis, exacerbé par les intempéries climatiques.

De plus, la régénération de la forêt, particulièrement de l’érable à sucre, est souvent insuffisante dans plusieurs régions du Québec afin d’assurer le maintien à long terme des érablières. Les facteurs expliquant ce manque de régénération sont multiples et associés au sol acide, à la compétition par la fougère, à la surabondance du hêtre en régénération et au broutage excessif de la régénération par les chevreuils. 

Ces multiples perturbations ou menaces, que l’on regroupe sous le vocable « changements globaux », affectent ou risquent d’affecter nos érablières dans le futur. Elles sont souvent d’ordre mondial et impossibles à contrôler localement, comme les pluies acides, les intempéries climatiques ou l’arrivée d’espèces exotiques envahissantes. Il est cependant possible d’agir localement pour augmenter la résilience des érablières afin de réduire les impacts négatifs de ces menaces. De plus, le seul fait de protéger nos érablières naturelles risque de ne pas suffire à assurer leur résilience.  

Que pouvons-nous faire?

Au cours des 20 dernières années, une multitude d’études ont démontré le rôle primordial que joue la diversité des arbres dans le maintien de la productivité et de la résilience des forêts. On étudie particulièrement la diversité fonctionnelle, c’est-à-dire comment les différentes espèces agissent sur l’écosystème pour prédire la réaction d’une forêt à la suite de perturbations.

C’est pourquoi les scientifiques ont mis au point une nouvelle façon d’évaluer la diversité en fonction des traits biologiques, ou traits fonctionnels des espèces d’arbres. Les traits fonctionnels sont les caractéristiques spécifiques aux essences d’arbres qui affectent leur performance, comme le mode de dispersion des graines, la profondeur des racines ou la tolérance à l’ombre et à la sécheresse.

Ces traits fonctionnels nous indiquent comment les arbres réagiront et s’adapteront aux stress de l’environnement comme la sécheresse, les incendies, le vent, les inondations et le broutage. Une forêt résiliente est composée d’espèces d’arbres ayant divers traits fonctionnels afin qu’elle puisse résister ou s’adapter au spectre de stress le plus large possible. Cette nouvelle approche pour caractériser la diversité d’un boisé par traits fonctionnels nous permet ainsi de mesurer sa résilience potentielle face aux changements globaux.

En effet, les études montrent que globalement, les forêts plus diversifiées en espèces d’arbres ayant des caractéristiques biologiques différentes (autrement dit une diversité fonctionnelle élevée) ont tendance à mieux croître, à mieux résister aux stress climatiques, aux maladies et aux insectes, à récupérer plus rapidement à la suite de ces stress, à maintenir un plus haut niveau de biodiversité et à fournir une plus grande quantité et qualité de services écosystémiques comme la fixation du carbone, la filtration de l’eau ou le maintien de la biodiversité.

Une façon simple d’appliquer cette approche pour un boisé consiste à regrouper les espèces d’arbres en fonction de leurs traits fonctionnels similaires, créant ainsi ce que nous appelons des groupes fonctionnels. Ainsi, les essences de feuillus tolérants à l’ombre avec une densité de bois élevée et une grande taille de graines seront incluses dans le même groupe, tandis que les essences de feuillus intolérants à l’ombre avec une faible densité de bois et une petite taille de graines formeront un groupe fonctionnel différent. Il est donc important d’avoir des espèces d’arbres couvrant le plus large éventail possible de groupes fonctionnels dans des proportions plus ou moins égales afin d’être mieux préparé à faire face à une grande variété de menaces présentes et futures.

Le cas particulier des érablières sucrières

L’érablière est le peuplement forestier dominant dans le sud du Québec. De façon naturelle, l’érablière ne contient que très rarement plus de 60 % d’érables à sucre et cette proportion est en constante évolution naturellement en fonction des conditions environnementales globales. La proportion d’érables à sucre dans nos érablières aménagées a cependant eu tendance à augmenter sous l’influence humaine, particulièrement dans les érablières exploitées pour la sève, où la proportion d’érables à sucre est souvent au-dessus de 75 % et où la proportion d’érables, si l’on inclut l’érable rouge, est souvent supérieure à 90 %. 

Une telle simplification compositionnelle de l’érablière sucrière, bien qu’elle se justifie en termes de productivité de la sève que l’on récolte au printemps, compromet à moyen et long terme la résilience de cet écosystème face aux menaces grandissantes. La littérature scientifique est en effet très claire à ce sujet : plus un écosystème forestier est diversifié, plus il est productif et capable de résister ou de récupérer rapidement à la suite de perturbations. 

Afin d’améliorer la résilience de nos érablières sucrières, il est donc primordial d’avoir une certaine proportion d’espèces compagnes ayant des caractéristiques fonctionnelles différentes. Bien que très peu d’études sur les effets et l’importance des espèces compagnes dans le contexte spécifique des érablières aient été réalisées à ce jour, on peut s’attendre à observer les mêmes tendances que celles rapportées pour d’autres types de forêts. En effet, des études récentes ont montré que la compétition entre les érables à sucre est plus intense dans les peuplements purs que dans les peuplements mélangés. En fait, les couronnes des érables à sucre en peuplements mélangés sont plus étendues et moins denses que celles des érables à sucre en peuplements purs. 

En ce qui concerne l’impact des espèces compagnes sur la qualité de la litière et du sol, quelques études ont montré que la présence d’espèces compagnes dans l’érablière, telles que le tilleul, les peupliers, le noyer cendré et le frêne d’Amérique (et dans une moindre mesure les bouleaux et les chênes), améliore la qualité et la fertilité du sol. Ces études montrent aussi que l’érable rouge a le même effet acidifiant sur la litière que l’érable à sucre. 

Pour donner suite aux constats soulevés précédemment, la question de la proportion d’espèces compagnes à maintenir dans nos érablières sucrières est donc importante. Ces recommandations ont évolué dans le temps, passant d’un minimum de 10 % à 20 % plus récemment. Bien qu’il n’existe pas d’étude spécifique à l’érablière afin de déterminer la proportion d’espèces compagnes et les espèces à privilégier, il est quand même possible de proposer quelques pistes de solutions. Les espèces compagnes à privilégier dans l’érablière devraient être des genres et des espèces ayant des caractéristiques biologiques différentes et complémentaires à celles de l’érable afin de minimiser la vulnérabilité des arbres aux différents stress actuels et futurs, de minimiser la compétition pour les ressources entre les arbres et de maximiser le maintien d’une biodiversité qui permet une plus grande résilience de l’écosystème forestier. 

Des espèces variant dans leur niveau de tolérance à l’ombre, leur profondeur d’enracinement, leur niveau de tolérance à la sécheresse, leur type mycorhizien ou leurs caractéristiques foliaires seront à privilégier. Par exemple, l’érable rouge ne devrait pas constituer la seule ou la principale espèce compagne à l’érable à sucre puisqu’il est globalement sensible aux mêmes maladies et insectes et qu’il possède une litière acidifiante comme l’érable à sucre. On devrait plutôt favoriser des espèces fonctionnellement différentes comme les chênes, les caryers, les tilleuls, les bouleaux, les peupliers ou les conifères. 

En conclusion, nos érablières, tout comme la majorité des forêts du monde, font face à un nombre grandissant de perturbations qui menacent leur capacité de continuer à fournir les services écosystémiques que nous attendons d’elles. Face à ces menaces grandissantes, il est possible d’intervenir intelligemment dans nos forêts afin d’augmenter leur résilience en favorisant une plus grande diversité d’espèces d’arbres ayant des caractéristiques biologiques différentes et complémentaires.

Christian Messier, ing.f., professeur d’écologie forestière et foresterie urbaine à l’UQAM et à l’UQO


Cet article a été publié dans le magazine Forêts de chez nous de février 2023