International 26 février 2022

Rétrospective : perspectives du marché des grains

Les prix des grains ont atteint des niveaux record au Québec au cours des 10 derniers mois. Au printemps, du maïs s’est vendu à près de 400 $ la tonne, et le soya génétiquement modifié (GM), à près de 740 $ la tonne (tous les prix sont FAB ferme). Les prix du maïs et du soya ont fléchi par la suite, mais demeurent très élevés. Pour les céréales et le canola, les sommets ont été atteints au cours des dernières semaines : on a vu de l’avoine et du canola vendus à 600 $ et 1 000 $ la tonne, respectivement.

Ramzy Yelda
Ramzy Yelda

Il faut d’abord remonter à 2020 pour comprendre ce qui a mené à cette situation. Le Québec a eu cette année-là une récolte médiocre de maïs, et ce, pour la deuxième année d’affilée. L’approvisionnement local était donc assez serré à l’automne 2020. Par ailleurs, la récolte chinoise de maïs a été médiocre en raison de plusieurs ouragans qui ont affecté les régions de production. Or, ce fait crucial n’a pas été communiqué au marché puisque le gouvernement chinois a menti et truqué les statistiques. Finalement, faut-il le rappeler, la COVID-19 a déferlé sur le monde entier, entraînant des achats alimentaires excessifs de la part des ménages, des reconstitutions de stocks de grains dans plusieurs pays pour des fins de sécurité alimentaire, et bouleversant les chaînes logistiques mondiales.

Un marché tendu et nerveux

Le marché était nerveux et tendu lorsque 2021 a débuté. Et là on a eu simultanément une hausse considérable et imprévue de la demande mondiale de grains, accompagnée d’une baisse de l’offre, un scénario parfait pour mettre le feu aux poudres! La Chine, qui reconstituait son cheptel porcin décimé par la peste porcine africaine, s’est mise à importer des volumes records de grains : pas juste du soya, mais aussi du blé, du sorgho, et surtout du maïs. Habituellement un petit importateur de maïs, la Chine est subitement devenue le premier acheteur mondial avec 29,5 millions de tonnes importées en 2020-2021.

D’autre part, la sécheresse a frappé la production de maïs safrinha au Brésil au printemps 2021, puis les récoltes de canola et des céréales dans l’Ouest canadien ainsi que le blé de printemps dans les plaines du nord des États-Unis en été. Et la Russie, le premier exportateur mondial de blé, a eu une production décevante.

Les prix des grains se sont mis à grimper à partir de l’automne 2020, et la hausse s’est accélérée au cours de l’hiver et du printemps 2021. Les producteurs qui avaient vendu d’avance ou tôt leurs grains en 2020-2021 ont donc manqué la hausse subséquente des prix et ont été lésés; ceux qui ont attendu ont été les grands gagnants.

Résultat : les producteurs ont été beaucoup plus lents à commercialiser leurs grains cette année-ci, ce qui a mis encore plus de pression haussière sur le marché.

Nous sommes dans un contexte mondial où les prix de toutes les ressources naturelles grimpent en flèche avec une spéculation effrénée. L’Argentine et le sud du Brésil ont eu du temps sec de décembre à la mi-janvier : le marché a sauté à la conclusion en misant sur une dégringolade de la production sud-américaine de soya et de maïs, et la Bourse de Chicago est repartie à la hausse. De plus, depuis le début de l’année, la Russie menace d’envahir l’Ukraine, un important exportateur de maïs et de blé. On se retrouve donc avec un marché météo doublé d’un marché politique!

Des éléments baissiers en vue

Pourtant, des éléments baissiers pointent à l’horizon.

  1. On a maintenant les chiffres finaux des productions américaines de maïs et de soya, ainsi que les stocks. Les États-Unis ont eu des productions record de maïs et de soya. Les stocks vont demeurer assez serrés en 2022, mais ils sont en nette hausse par rapport à 2021.
  2. Après avoir acheté des millions de tonnes de maïs américain en mai passé pour livraison ena 2021-2022, la Chine s’est retirée du marché grâce à une bonne récolte. La demande locale de grains s’est stabilisée ­maintenant que le cheptel porcin a été reconstitué. Finalement, c’est clair que la Chine privilégie le Brésil aux dépens des Américains pour son ­approvisionnement de soya. Par conséquent, le rythme des ventes de grains américains à l’exportation accuse un retard important par rapport à l’an passé.
  3. L’Australie et l’Argentine ont eu des productions record de blé, ce qui va aider à rééquilibrer le marché affecté par la forte baisse de la production aux États-Unis, et surtout au Canada.
  4. La pluie a repris en Argentine : du 15 au 28 janvier, certaines régions ont reçu jusqu’à 200 mm d’eau. Le déficit hydrique n’a pas disparu partout, mais c’est évident que le climat a changé et qu’on ne peut plus parler de sécheresse. Maintenant, reste à savoir si la sécheresse initiale a eu ou non un impact irréversible. L’an passé, les achats records de grains par la Chine et les sécheresses simultanées dans plusieurs pays exportateurs ont propulsé le marché. Je n’ai pas une boule de cristal, mais la probabilité est faible qu’un tel scénario se reproduise en 2022. On pourrait donc voir un rebond de la production mondiale de grains, accompagné d’un plafonnement de la demande chinoise. Le marché va se baser sur les intentions d’ensemencement aux États-Unis à la fin mars. Si les semis ont lieu dans de bonnes conditions dans le Midwest et au Québec, on pourrait alors voir une pression baissière s’amorcer au printemps, aussi bien à la Bourse de Chicago que dans le marché local.   

Ramzy Yelda / analyste principal des marchés, Producteurs de grains du Québec