Économie 9 février 2023

Quoi semer cette année? Des experts se prononcent

À l’approche des semis et considérant tout ce qui s’est produit l’an dernier (hausse du coût des intrants, guerre en Ukraine, pénurie en tout), les producteurs de grains devraient-ils modifier leur plan de culture en 2023? Outre les soubresauts du marché, une foule de facteurs régionaux, économiques et pratiques entrent en ligne de compte.  

On garde le cap

L’agronome Carl Bérubé ne prévoit pas de modification majeure des plans de culture en Montérégie cette année. Photo : Gracieuseté de Carl Bérubé
L’agronome Carl Bérubé ne prévoit pas de modification majeure des plans de culture en Montérégie cette année. Photo : Gracieuseté de Carl Bérubé

Selon l’agronome Carl Bérubé, conseiller au groupe Agri-Action de la Montérégie, les plans de culture 2023 suivront sensiblement la même tangente qu’en 2022. « Habituellement, on respecte les rotations qui ont été prévues sur le long terme. Nos producteurs n’ont pas tendance à beaucoup déroger du plan de match. Si on était en soya et qu’on prévoyait retourner en maïs, même si l’engrais et le prix du grain sont chers, dans la majorité des cas, les aléas du marché n’auront pas d’impact sur la rotation », note M. Bérubé, qui soutient que selon la perspective obtenue dans son secteur, l’impact ne devrait pas excéder 20 %. Tenant compte des variations sectorielles, la recommandation consiste à maintenir le plan de culture et à s’ajuster sur cette base. « Par exemple, l’entreprise peut choisir d’alterner les cultures. La parcelle qui était en soya ira en maïs et vice-versa. Lorsque les intrants sont plus chers, la parcelle qui était en soya et devait aller en maïs peut aussi être bonifiée pour laisser plus de place au soya », illustre l’agronome de Saint-Cyprien-de-Napierville, qui gère environ 9 000 hectares en Montérégie.

Des pratiques qui rapportent

Pour l’agronome Stéphane Bégin, les pratiques de gestion ciblée permettent de réduire certains coûts et de rentabiliser la récolte.
Pour l’agronome Stéphane Bégin, les pratiques de gestion ciblée permettent de réduire certains coûts et de rentabiliser la récolte.

Dans le Bas-Saint-Laurent, la production bovine dicte les impératifs d’une culture principalement axée sur les prairies. « Chez les producteurs laitiers, on mise beaucoup sur des rotations prairies/céréales (orge et avoine) et le maïs d’ensilage. Les céréales d’automne sont aussi plus présentes dans les rotations et le seigle d’automne apporte de bons résultats », explique Stéphane Bégin, agronome et conseiller en production bovine et agroenvironnement chez JMP Consultants à Rimouski. « On constate un intérêt plus marqué pour les cultures de couverture, qui permettent d’amortir une partie du coût des intrants, surtout pour une culture exigeante comme le maïs », observe l’agronome, qui ne favorise pas la production de soya, faute de variétés adaptées à la région. Pour contrecarrer les humeurs du marché, M. Bégin préconise plutôt des méthodes de gestion adaptées. « Des stratégies d’épandage de fumier à différentes périodes de l’année, en respectant le taux de phosphore présent dans le sol, sont très profitables », souligne l’agronome, qui constate l’effet des pratiques de culture ciblée sur la rentabilité des récoltes. « Certains producteurs laitiers qui utilisaient 40 tonnes d’engrais minéraux il y a quelques années ont pu couper de plus de la moitié. Sur les céréales à paille, on peut souvent travailler presque exclusivement avec les fumiers », indique le conseiller, qui note par ailleurs que l’avoine génère en moyenne une tonne et demie à l’acre dans le secteur.

Au niveau économique, le maïs et le soya se démarquent par rapport au blé, mais il y a d’autres facteurs à considérer, soutient le conseiller en gestion agricole Vincent Boucher.
Au niveau économique, le maïs et le soya se démarquent par rapport au blé, mais il y a d’autres facteurs à considérer, soutient le conseiller en gestion agricole Vincent Boucher.

La tolérance au risque

Selon Vincent Boucher, agronome et conseiller en gestion agricole chez Groupe ProConseil à Saint-Hyacinthe, le maïs s’est avéré la culture la plus rentable dans le secteur l’an dernier malgré le coût des intrants. « Dans la région de Saint-Hyacinthe, on a pu obtenir d’excellents rendements et de bons prix. Dans le soya, les résultats sont plus variables même si on garde de bonnes moyennes. » Pour M. Boucher, l’équation prix-rendement implique différentes réalités pour chacun. « Le maïs a un potentiel de gain élevé. La variabilité du rendement peut permettre d’atteindre de très bonnes marges, mais aussi de perdre beaucoup d’argent si la saison de culture s’avère catastrophique. Tandis que dans le soya, le potentiel de rendement est un peu plus modeste, mais le risque de perte est généralement lui aussi moindre », note-t-il, ajoutant que les recommandations varieront d’un producteur à l’autre. « Au bout du compte, c’est une gestion de risque. Si la situation financière de l’entreprise est un plus serrée, le producteur pourrait préférer le soya. À l’inverse, si le fonds de roulement a été renfloué par une bonne année précédente, il pourrait être tenté de miser sur un coup de circuit dans le maïs », raisonne l’agronome, qui pousse ici la réflexion vers une perspective de rentabilité à plus long terme. « Au niveau économique, le maïs et le soya se démarquent par rapport au blé, mais il y a d’autres facteurs à considérer, comme la santé des sols. Pour le producteur qui élève des animaux, le blé peut aussi sécuriser les approvisionnements de paille. Même si on considère une valeur à cette paille-là dans nos calculs, le prix du marché, dépendamment de la disponibilité du produit, peut avoir un effet important », convient Vincent Boucher. « Faire un peu de blé, pour un producteur laitier, ça sécurise. » S’appuyant sur les projections préliminaires de prix pour 2023, il observe une légère tendance baissière par rapport aux prix de 2022, autant dans le maïs que dans le soya. « Mais au bout du compte, c’est la météo qui a le dernier mot », rappelle-t-il.

Selon l’agronome Denis Larouche,
les marchés de l’avoine et de l’orge seront
peut-être plus stables en 2023 pour le Saguenay–Lac-Saint-Jean.
Selon l’agronome Denis Larouche, les marchés de l’avoine et de l’orge seront peut-être plus stables en 2023 pour le Saguenay–Lac-Saint-Jean.

Miser sur la stabilité

Précisons qu’au moment d’écrire ces lignes, les experts joints par La Terre disposaient de peu de données pour se prononcer. « Pour le moment, je n’ai pas réalisé assez de rencontres clients pour obtenir une bonne idée des orientations 2023 », nous a d’ailleurs indiqué Denis Larouche, agronome chez GMA au Saguenay–Lac-Saint-Jean. « Mais le canola semble une culture à inclure dans la rotation en 2023. Le prix est excellent », avance-t-il, s’appuyant sur les performances sectorielles pour établir des paramètres de base. « Selon ce que j’observe auprès de ma clientèle, le rendement du soya a été plus faible en région l’an passé. Mais ça demeure une excellente culture, surtout lorsque la topographie du sol le favorise », soutient l’agronome, qui reste cependant prudent quant aux perspectives du blé. « J’ai une crainte que l’abondante récolte russe affecte le prix du blé à la baisse, malgré le conflit qui réduit certains pays à acheter du blé russe. Un bas prix aura toujours sa place dans la prise de décision pour un acheteur moins politisé. Donc, en région, les marchés de l’avoine et de l’orge sont peut-être plus stables pour 2023 », conclut M. Larouche.

Nathalie Laberge, collaboration spéciale


Ce texte a été publié dans le cadre du cahier spécial Commercialisation des grains, paru dans La Terre de chez nous du 8 février 2023