Économie 15 février 2023

Petite histoire d’une grande culture

Encore marginal au tournant des années 1970, le maïs-grain a connu un essor spectaculaire au Québec pour devenir la plus importante production de grains de la province. Aliment par excellence des monogastriques, son parcours témoigne des nombreuses mutations qu’a vécues notre agriculture au cours des 50 dernières années.

Alexandre Mailloux, ancien directeur
de la ferme de recherche en production
végétale de Sollio.
Alexandre Mailloux, ancien directeur de la ferme de recherche en production végétale de Sollio.

La première mention pour le Québec de cette culture dans la base de données de Statistique Canada remonte à 1966 avec une superficie ensemencée de 7 200 hectares. La vallée du Saint-Laurent est alors une vaste prairie, entrecoupée de champs de céréales et de maïs ensilage destinés à nourrir les bestiaux répartis dans des milliers de petites exploitations familiales. Mais déjà, ce modèle d’agriculture est appelé à se transformer.

« Nous étions dans le contexte de la révolution verte où il y avait urgence d’agir pour nourrir la planète, raconte Alexandre Mailloux, ancien directeur de la ferme de recherche en production végétale de Sollio, de 1991 à 2020. En production animale, le maïs-grain était la façon d’abaisser les coûts de production à la ferme. Cependant, on était en retard sur les Américains. On produisait peu de maïs et leurs hybrides progressaient de façon importante depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. » 

Une production qui décolle

L’acquisition des droits au portefeuille des semences Pride par l’entreprise ontarienne King Company en 1950 ouvre la porte dans les années qui suivent à un important programme d’essais afin de sélectionner des lignées mieux adaptées au climat canadien. Cette entreprise est d’ailleurs la première à introduire cette culture au Québec. 

Assez rapidement, les producteurs adoptent le maïs-grain. Dans un article de janvier 1972 du coopérateur, on fait état de 125 000 acres (50 500 ha) ensemencés en 1971 dans les régions de Saint-Hyacinthe, Châteauguay, l’Assomption et Nicolet. On rapporte également une production de 9,5 millions de boisseaux, bien peu comparativement aux 100 M de boisseaux de l’Ontario. Le rendement est alors de 75 boisseaux à l’acre (5 t/ha) et la tonne se vend 46 $. Si la production est surtout utilisée à la ferme, le quart de la récolte est absorbé par les distilleries. « Pour la première fois, les meuniers des régions non productrices se sont vraiment intéressés au blé d’Inde du Québec, de sorte que des expéditions ont été dirigées dans tout le Québec », relève l’auteur.

À l’époque, la densité des semis est environ de 20 000 à 22 000 plants à l’acre. Le plant possède un feuillage retombant et prend beaucoup d’espace, ce qui laisse de la place aux mauvaises herbes comme le chiendent, très présent dans les anciennes prairies, explique Alexandre Mailloux. « L’arrivée de l’atrazine va permettre aux producteurs de contrôler cette mauvaise herbe et d’obtenir un meilleur rendement. » Mais cette efficacité a un prix. L’herbicide ayant un effet résiduel, l’agriculteur est contraint de semer du maïs en continu pendant cinq ans.

Alimenter une industrie porcine en pleine expansion

Au cours des années 1970, la superficie occupée par le maïs-grain va tripler au Québec. Cette tendance suit la forte croissance de l’industrie porcine dont la production annuelle passe de 2 millions de têtes en 1976 à presque 5 millions en 1980. « La production de maïs-grain chez nous ne peut pas être dissociée de la production animale, qui a connu un tournant avec l’arrivée au pouvoir du Parti québécois en 1976. La volonté de faire croître notre agriculture, d’être le plus autosuffisant possible et de générer de la valeur économique par l’exportation a créé un contexte favorable à l’explosion de cette industrie », affirme Vincent Cloutier, vice-président associé et conseiller principal agriculture à la Banque Nationale. 

L’agroéconomiste souligne par ailleurs que la loi sur la protection du territoire agricole adoptée en 1978 contribue à préserver les terres les plus propices aux grandes cultures. « Si la loi n’avait pas été là, il n’y a aucun doute que plusieurs terres où pousse le maïs actuellement auraient été asphaltées. »

L’apparition dans les années 1980 d’un régime de compensation pour le maïs-grain dans le cadre du Programme d’assurance stabilisation des revenus agricoles (ASRA) vient confirmer, selon Vincent Cloutier, la volonté du gouvernement de soutenir les filières de production animale. « Si on regarde les compensations de sécurité du revenu, on voit que l’État a fortement aidé les producteurs pendant de nombreuses années même si le maïs-grain n’était pas rentable. Ça s’inscrit dans des choix de société de produire de la nourriture chez nous pour alimenter notre population et le reste du monde. Avec la COVID, on a vu la force de ces choix-là », fait-il valoir.

L’émergence de fermes spécialisées

Avec la hausse du prix des quotas laitiers dans les années 1980, plusieurs producteurs décident de vendre leur cheptel pour se consacrer uniquement aux grandes cultures. « On a vu l’apparition de premières fermes spécialisées, principalement en Montérégie. Les producteurs étaient plus attentifs aux détails comme l’espacement entre les rangs et le drainage. On a commencé à voir des gains de rendement comparables aux régions traditionnellement productrices de maïs », analyse Alexandre Mailloux. 

Diverses initiatives d’amélioration génétique voient le jour. Tandis que la King homologue en 1978 les premiers hybrides de maïs de son programme de sélection au pays, Sollio (alors la Coop fédérée) fait ses débuts quelques années plus tard dans la sélection du maïs-grain sur son site de Sainte-Martine. À cela s’ajoutent les efforts du ministère fédéral de l’Agriculture dans la stabilisation des lignées génétiques contre la fusariose. Durant cette période, la densité de population grimpe autour de 27 000 plants à l’acre.

Vincent Cloutier, vice-président associé
et conseiller principal agriculture à la Banque Nationale.
Vincent Cloutier, vice-président associé et conseiller principal agriculture à la Banque Nationale.

La révolution OGM

La seconde moitié des années 1990 est marquée par l’introduction de variétés de maïs génétiquement modifiées. Si la question des organismes génétiquement modifiés (OGM) suscite de nombreux débats, les producteurs ont bénéficié d’importants gains, estime Alexandre Mailloux. « Du point de vue de la performance, les agriculteurs ont eu accès à des variétés avec l’autoprotection aux insectes, des épis avec 350 grains et une meilleure tenue », détaille le chercheur à la retraite. En 2000, 24 % des parcelles de maïs-grain sont génétiquement modifiées. Cette proportion atteint 91 % en 2021.

Coup de barre environnemental

Le débat sur les OGM s’inscrit dans un contexte plus large où la société prenait conscience des impacts environnementaux de l’agriculture moderne. « À l’époque, la monoculture du maïs avait tellement appauvri certaines terres que la plante n’arrivait plus à pousser, rappelle Justine Lussier, professeure en production végétale à l’ITAQ de La Pocatière. En Montérégie, dans les endroits où les fumiers avaient été épandus sans limites, les sols sont encore bourrés de potasse et de phosphore. »

Pour améliorer la qualité des cours d’eau, Québec adopte en 1987 une politique qui exige l’instauration de bandes riveraines. Puis, sous la pression populaire, le gouvernement décrète en 2001 un premier moratoire sur le développement de l’industrie porcine. L’année suivante, les producteurs sont contraints d’ajuster progressivement la gestion des matières fertilisantes, qui mène à l’instauration d’un bilan phosphore en 2011. En parallèle à l’établissement de ces normes, l’apparition d’herbicides alternatifs à l’atrazine permet l’introduction de rotations pour limiter les effets pervers de la monoculture. 

La montée du soya

En 2007, la superficie ensemencée de maïs-grain s’étend à 450 000 ha – un sommet jamais égalé depuis, bien que le rendement ait continué de croître. Le Québec atteint alors l’autosuffisance en maïs-grain et commence à enregistrer des surplus. 

Durant cette période, l’apparition de variétés plus hâtives et « Roundup Ready » de soya contribue au développement de cette culture, qui devient une rotation de plus en plus courante pour les producteurs de grains. La superficie consacrée à cette culture a même dépassé celle du maïs à trois reprises au cours des 10 dernières années.  

Des techniques qui évoluent

La décennie des années 2010 consacre en quelque sorte la maîtrise du maïs-grain par les producteurs de grains. Les densités dépassent les 34 000 plants à l’acre. « Les agriculteurs ont intégré l’ensemble des outils à leur disposition : le choix des hybrides, les outils technologiques, la machinerie performante et une meilleure connaissance du travail de sol. À cela s’ajoute une plus grande finesse dans les choix des producteurs et des conseillers et une mise en marché plus structurée », constate Alexandre Mailloux.

Chose certaine, les pratiques culturales ont évolué et se sont diversifiées en 50 ans. « De nos jours, les agronomes ou les technologues vont souvent conseiller aux producteurs d’introduire au minimum trois rotations pour éviter l’appauvrissement du sol, mentionne Justine Lussier. Les producteurs sont aussi plus sensibilisés à la compaction. Ils évitent de labourer en profondeur pour ne pas trop perturber le sol. Ils sont aussi conscients de l’importance de la matière organique et sont de plus en plus nombreux à faire leurs engrais verts. En classe, on va miser sur le concept d’agriculture durable : moins de pesticides, retour du travail mécanique, plus de dépistage, etc. »

Un ciel favorable

Tous s’entendent pour dire que le maïs-grain au Québec a encore de beaux jours devant lui. « Je crois que les superficies vont se maintenir et que les rendements vont continuer d’augmenter, puisque les pratiques culturales et les cultivars s’améliorent, explique l’agroéconomiste Vincent Cloutier. Il y a aussi fort à parier que dans 30 ans, il y aura davantage de régions plus propices à cette culture. » 

Outre les prix qui sont intéressants, le besoin est là pour le maïs, que ce soit au Québec ou ailleurs dans le monde, ajoute Justine Lussier. « Le maïs est à la base de l’alimentation animale. Donc les producteurs sont assurés d’écouler leurs récoltes. »


Ce texte a été publié dans le cadre du cahier spécial Commercialisation des grains, paru dans La Terre de chez nous du 8 février 2023