Politique 25 septembre 2019

Louis Robert vide son sac

QUÉBEC — « Nous n’avons offert aucune opposition. Nous avons été faibles. Nous n’avons pas résisté aux lobbys; nous sommes devenus leurs complices. »

C’est en ces mots que Louis Robert, agronome au ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ), a décrit aux députés membres de la Commission de l’agriculture, des pêcheries, de l’énergie et des ressources naturelles (CAPERN) comment l’industrie des pesticides s’était immiscée ces dernières années dans le travail des agronomes et dans celui des centres de recherche publics du Québec, aidée par la diminution des ressources allouées à son ministère. Celui qui a contribué par ses révélations à ce que la CAPERN se penche sur la place des pesticides chez nous a livré son témoignage le 24 septembre en fin de soirée, au terme d’une journée qui aura vu défiler neuf personnes ou organisations au micro de la Commission.

Selon M. Robert, le Québec réaliserait « d’énormes progrès en termes de réduction d’usage des pesticides » si l’industrie n’occupait pas la place qu’elle est venue prendre ces dernières années. « La réduction des pesticides, c’est l’un des objectifs officiels du MAPAQ depuis 1992. Il y a eu beaucoup de recherche, de transfert technologique et de démonstrations à la ferme durant toutes ces années-là, sans jamais donner de résultats concrets, et ce, pour deux raisons : à cause de l’ingérence des intérêts corporatifs et du manque de ressources du MAPAQ en transfert technologique », a-t-il dit en point de presse avant son audition.

Défavorables aux subventions pour la transition bio

La Commission a vu défiler jusqu’ici plusieurs intervenants favorables à une transition vers la culture biologique. Les députés membres de la CAPERN semblent aussi évaluer cette possibilité, ayant à maintes reprises fait référence à la visite de deux fermes biologiques – Agri-Fusion, de Saint-Polycarpe, et Les Fermes Longprés, des Cèdres – qu’ils ont réalisée le 10 septembre.

De son côté, Louis Robert s’y oppose. « La majorité n’est pas prête, et ça imposerait un risque économique trop grand aux producteurs », a-t-il affirmé. Selon lui, des agriculteurs provenant de fermes conventionnelles ont déjà assaini leur bilan environnemental de manière « très intéressante » en adoptant des pratiques leur permettant d’utiliser moins de pesticides.

M. Robert n’est toutefois pas favorable à l’octroi de subventions pour aider les producteurs dans leur transition vers de telles solutions de rechange, se référant à son « expérience du terrain » pour appuyer sa thèse.

« Les plus beaux succès de transfert technologique dans des fermes se font généralement sans subvention, a-t-il dit. Les agriculteurs qui n’essaient une méthode que parce qu’ils voient une opportunité d’aller chercher quelques dollars sont les premiers à l’abandonner. »

« Quand il y a un 20 $ qui traîne à terre, tu le ramasses », a pour sa part lancé l’agronome Odette Ménard, qui accompagnait au micro ses collègues Louis Robert et Yves Dion.

Selon eux, en misant sur l’expertise des agronomes du MAPAQ et des clubs-conseils du Québec, il serait possible de réduire le recours aux pesticides en se tournant entre autres vers le dépistage, les suivis au champ, l’accompagnement, la rotation des cultures, le contrôle mécanique et les biopesticides. « Il y a présentement de nombreux résultats applicables à la réduction de pesticides que nous sommes capables de vulgariser pour les producteurs », a mentionné M. Robert.

Le CÉROM tente de rétablir sa réputation

La Commission a aussi entendu deux représentants du Centre de recherche sur les grains (CÉROM), soit Denis Pageau, président du conseil d’administration (CA), et Gabriela Martinez, directrice générale, tous deux en poste depuis moins d’un an.

Ceux-ci ont expliqué quels changements avaient été apportés à leur organisation, notamment le poids réduit à leur CA des représentants des Producteurs de grains du Québec et de La Coop fédérée, qui occupent respectivement 3 et 2 places sur les 11 attribuées. « Qu’on ait au CA des gens qui représentent l’industrie, je ne vois pas ça comme un problème majeur », a dit M. Pageau.

Le CÉROM tarde à embaucher un directeur scientifique, ayant procédé jusqu’ici à quatre affichages du poste, en vain. « Personne ne veut venir », a expliqué Mme Martinez, qui attribue la situation à la mauvaise presse dont le CÉROM a fait l’objet au cours de la dernière année.

De leur côté, les représentants de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) ont plaidé comme d’autres groupes l’ont déjà fait pour une accessibilité à des données fiables sur l’utilisation qui est faite des pesticides au Québec. « Les données en lien avec la vente des pesticides existent au ministère de l’Environnement, a expliqué le conseiller scientifique Onil Samuel, mais en raison d’ententes avec l’industrie, elles ne sont pas disponibles. »

Le spécialiste a aussi suggéré aux membres de la CAPERN de veiller à ce que les travailleurs agricoles utilisent l’équipement de protection de base lorsque vient le temps d’appliquer des pesticides, soulignant qu’ils pourraient être récalcitrants. « C’est souvent difficile de convaincre ces gens-là de se protéger », a-t-il ajouté.