Actualités 8 octobre 2019

Des cultures qui rapportent

Quoi? Quand? Comment? Voilà les questions à se poser avant de se lancer dans l’implantation d’engrais verts. L’UtiliTerre propose trois scénarios pour rentabiliser son investissement.

Pour avoir un bon couvert végétal sans jeter son argent par les fenêtres, il faut déployer autant d’efforts pour les semis d’engrais verts que pour la culture principale.

« Pour que la culture de couverture soit rentable, il ne faut pas simplement semer à la volée et espérer qu’il pleuvra par-dessus, lance d’emblée l’agronome et conseillère au Club agroenvironnemental du Bassin Laguerre, Sylvie Thibaudeau. Au prix qu’on paye les semences, il faut être certain que ça pousse! »

Selon la spécialiste, il est préférable d’incorporer légèrement les semences dans le sol après l’application pour en faciliter la germination.

Les semis à la volée sont plus fréquents dans les cultures intercalaires, comme lorsqu’un producteur sème du ray-grass entre ses rangs de maïs, mentionne pour sa part l’agronome et conseillère en grandes cultures biologiques au Centre d’expertise et de transfert en agriculture biologique et de proximité (CETAB), Martine Amyot.

Pour elle, la clé du succès repose surtout sur le moment des semis. « Pour avoir un bon rendement, il faut semer l’engrais vert le plus tôt possible. Deux semaines de retard et c’est la catastrophe », affirme-t-elle.

Les légumineuses font bonne figure

Selon une étude agroéconomique réalisée par l’Institut de recherche et de développement en agroenvironnement (IRDA), les légumineuses offrent un bon rendement de l’investissement. « Si on veut des résultats à court terme, ces plantes-là ressortent toujours gagnantes », soutient Luc Belzile, économiste à l’IRDA.

Le chercheur demeure toutefois prudent lorsqu’il est question de calculer la rentabilité des cultures de couverture. « Même si ça demande des sacrifices, les producteurs devraient toujours faire des essais à leur ferme pour constater si, avec telle ou telle espèce, ils en ont pour leur argent. »


Malgré le coût des semences, un mélange de pois et de radis demeure rentable. Sur la photo, de l’avoine a été ajoutée au mélange. Photo : Gracieuseté de Sylvie Thibaudeau
Malgré le coût des semences, un mélange de pois et de radis demeure rentable. Sur la photo, de l’avoine a été ajoutée au mélange. Photo : Gracieuseté de Sylvie Thibaudeau

Scénario A

Contexte : Après une céréale, un producteur sème une culture de couverture à la dérobée. L’année suivante, il prévoit faire du maïs.
Solution : Mélange de pois fourrager avec un peu de radis

Les essais au champ réalisés dans les dernières années ont démontré qu’un mélange de pois 4010 et de radis fourrager augmente le rendement du maïs et immobilise une importante quantité d’azote.

« On sait que le pois pur est très efficace, mais que la semence est plutôt chère, explique l’agronome Sylvie Thibaudeau. En ajoutant 3 kg/ha de radis, on peut réduire de moitié la quantité de pois. Ça diminue donc les coûts d’implantation. » La spécialiste assure que le radis ne réduit pas la performance du pois.

Dans cette étude, la chercheuse a observé que la valeur de l’azote fourni par cette culture de couverture (130 $/ha) est supérieure au coût des semences (77 $/ha).

« Ça devient vraiment rentable si le producteur n’ajoute pas trop d’azote au printemps suivant », mentionne-t-elle. Selon ses calculs, la dose d’azote optimale, pour rentabiliser ses investissements sans compromis sur le rendement, se situe à 50 kg/ha.

Une étude économique réalisée par l’IRDA montre que ce genre de mélange de légumineuses et de non-légumineuses procure une marge brute de production (les rendements de la culture principale moins les coûts de production) de 2 509 $/ha en moyenne dans le maïs-grain.

Savoir s’adapter

Au-delà des rendements de maïs, cet engrais vert a un effet positif sur la santé des sols, ajoute Mme Thibaudeau. « C’est un mélange qui est facile à réussir. »

Selon elle, il faut cependant être prudent si le sol est trop dégradé. « Le pois n’a pas un très beau système racinaire. Un producteur qui aurait fait du nivellement après sa céréale aurait avantage à opter pour une autre espèce, comme la féverole. »

Le mélange de pois 4010 et de radis peut être semé jusqu’à la fin d’août. Après cette date, Sylvie Thibaudeau conseille de choisir un pois autrichien, qui pousse très tard à l’automne et qui tolère mieux le froid. 


Résistantes au froid, les racines du seigle poursuivent leur croissance au printemps. Photo : Gracieuseté de Sylvie Thibaudeau
Résistantes au froid, les racines du seigle poursuivent leur croissance au printemps. Photo : Gracieuseté de Sylvie Thibaudeau

Scénario B

Contexte : Après du maïs ensilage, un producteur sème une culture de couverture à la dérobée. L’année suivante, il prévoit faire du soya.
Solution : Seigle d’automne

Le seigle d’automne, avec son système racinaire structurant, agit comme une véritable éponge qui retient l’eau dans le sol. « Ça devient intéressant pour un producteur qui a des sols sableux ou argileux », précise la conseillère Sylvie Thibaudeau.

Selon elle, le producteur pourrait semer un seigle d’automne après son maïs ensilage, puis faire du soya en semis direct l’année suivante. « On sème alors directement dans le seigle qui est encore vivant », souligne-t-elle.

Cette pratique gagne en popularité chez nos voisins du sud, qui rapportent des gains de rendement de 400 kg/ha dans le soya.

Du côté du Québec, l’économiste Luc Belzile a calculé qu’une culture de seigle comme engrais vert amène une marge brute de production de 878 $/ha dans le soya. « Il faut être prudent dans l’interprétation de ces résultats parce que, dans la pratique, les cultures de couverture se prêtent moins au soya », nuance-t-il.

Pour mettre toutes les chances de leur côté, les producteurs peuvent magasiner leurs semences de seigle, conseille Sylvie Thibaudeau. « Les compagnies vendent leur seigle autour de 900 $ la tonne, mais on peut en trouver à 200 $ la tonne chez un autre producteur, soutient-elle. D’autant plus qu’on n’a pas besoin d’un seigle très performant s’il est utilisé comme engrais vert. »

Couvrir, puis détruire

« Le seigle offre une belle couverture en fin de saison et limite l’érosion », indique Mme Thibaudeau. Elle souligne également que cette pratique facilite le semis direct du soya au printemps.

Cette espèce d’engrais vert peut être plantée jusqu’à la fin d’octobre. Au retour du beau temps, le seigle développe son système racinaire et aide le sol à sécher. Bien qu’il ne soit pas considéré comme « compétitif », le seigle doit être détruit au glyphosate, ce qui augmente les coûts liés à l’implantation de cette culture de couverture.

« Dans le cas d’un printemps très sec, les producteurs ont intérêt à détruire le seigle un peu plus tôt pour éviter qu’il vole l’eau au soya », conseille Sylvie Thibaudeau. 


Le ray-grass est compatible avec le maïs, puisqu’il n’aime pas les températures chaudes. Photo : Gracieuseté de Sylvie Thibaudeau
Le ray-grass est compatible avec le maïs, puisqu’il n’aime pas les températures chaudes. Photo : Gracieuseté de Sylvie Thibaudeau

Scénario C

Contexte : Un producteur sème un engrais vert en intercalaire dans le maïs-grain.
Solution : Mélange de ray-grass et de deux ou trois autres espèces

Bien qu’il possède un bon système racinaire, le ray-grass en intercalaire ne réussit pas toujours à remplir ses promesses côté rentabilité. « Quand on a du temps très sec, cet engrais vert n’est pas nécessairement un succès », prévient la chercheuse Sylvie Thibaudeau.

Les essais qu’elle a menés en 2016 et en 2017 montrent que les producteurs ont tout à gagner à mélanger le ray-grass avec d’autres espèces, comme le radis, le pois fourrager, la féverole ou le trèfle.

Pour une meilleure rentabilité, l’agronome propose par exemple un mélange de ray-grass annuel, de radis fourrager et de trèfle incarnat. « Les légumineuses favorisent l’activité biologique du sol, tandis que le radis facilite l’infiltration de l’eau, explique-t-elle. Ça apporte une rentabilité à long terme. »

Selon l’étude de l’IRDA,  un mélange de légumineuses et de non-légumineuses en intercalaire dans le maïs-grain amène une marge brute de production de 2 509 $/ha.

Semer en sillons

Les semences de certains engrais verts étant plus grosses que celles du ray-grass, il devient difficile de les planter à la volée. « Pour nos essais, on a pris un semoir à céréales traditionnel qu’on a modifié pour être en mesure de semer nos intercalaires dans des sillons », raconte Sylvie Thibaudeau.

Inspiré d’une machine conçue en Pennsylvanie, le semoir modifié permet de réduire le taux de semis et, par le fait même, les coûts d’implantation. 


Un projet sur la planche à dessin

L’économiste Luc Belzile aimerait étudier les bénéfices économiques à long terme des cultures de couverture. Inspiré par ce qui se fait aux États-Unis, le chercheur souhaite développer un outil dynamique qui permettrait aux producteurs de calculer la rentabilité de différents scénarios d’engrais verts en fonction de données spécifiques à leur ferme. « L’objectif, ce serait de leur présenter leurs meilleures options sur une échelle de 5 ou 10 ans », explique-t-il.