Économie 5 avril 2019

Services environnementaux rendus par l’agriculture

Les agriculteurs ont le potentiel de rendre deux importants services environnementaux : le stockage de carbone dans les sols agricoles et la rétention d’eau dans ces mêmes sols pour limiter les inondations. Ces services étant chiffrables, ils pourraient un jour devenir une occasion d’affaires.

Le stockage de carbone dans les sols agricoles

Connaissez-vous la matière organique? Sur vos analyses de sol, on indique la teneur en matière organique, qui représente en fait 1,724 fois la teneur en carbone. Si l’on considère que le sol pèse en moyenne 1,6 g/cm3, 1 % de matière organique sur 1 ha représente donc 18 560 kg de carbone. Si ce carbone était perdu (par exemple, par du travail de sol excessif et des rotations de grandes cultures uniquement), cela émettrait 68 tonnes de CO2 dans l’atmosphère. En contrepartie, augmenter le taux de matière organique des sols de 1 % équivaut à capter 68 tonnes de CO2 à l’hectare.

La taxe fédérale sur le CO2 émis est de 20 $/tonne, mais le gouvernement prévoit l’augmenter jusqu’à 50 $/tonne. Ainsi, 1 % de matière organique à l’hectare valait 1 360 $ de carbone en 2018.

Donc, un agriculteur qui cultive 100 ha et qui réussirait à augmenter sa matière organique de 1 % rendrait des services écologiques d’une valeur de 136 000 $. Étant donné que dans les meilleures pratiques, il faut cinq ans pour gagner 1 % de matière organique, ce service écologique vaudrait 27 200 $/an. Impressionnant, n’est-ce pas? Et ça, c’est à 20 $/tonne. Imaginez à 50 $/tonne!

En fait, ce service écologique potentiel est bien connu mondialement. On considère que pour atteindre nos objectifs mondiaux de réchauffement climatique en bas de 1,5 ou 2 °C, la réduction d’émissions seule n’est pas suffisante; il faut aussi capter le surplus dans l’atmosphère. Or, la gestion des sols agricoles est reconnue pour avoir le potentiel annuel d’assurer 6 milliards de tonnes de CO2 équivalent de cette captation. Pour l’instant, aucun mécanisme québécois ou canadien ne reconnaît ce service, même si l’énorme potentiel en est connu!

La rétention de l’eau dans les sols

Avec les changements climatiques notamment, nous verrons plus souvent des inondations faire les manchettes. Pour tenter de réduire les épisodes d’inondations, on a commencé à instaurer des règles assez strictes en matière de gestion des eaux pluviales. L’objectif est de réduire l’imperméabilisation des sols du Québec : tout nouveau projet doit comprendre une onéreuse étude des temps de passage de l’eau avant et après, et au besoin, des bassins de stockage de l’eau devront être construits pour réduire la vitesse de concentration des pluies vers les cours d’eau. Le but est de limiter les gros coups d’eau dans les rivières, en répartissant le débit des pluies sur une plus longue période de temps.

Le hasard faisant bien les choses, j’ai un frère ingénieur civil qui travaille sur l’île de Montréal : ces considérations sur la gestion des eaux pluviales font partie de sa routine. Selon lui, le coût de stockage de l’eau pluviale à Montréal est estimé à 400 $/m3 pour de petits projets (ex. : sous le stationnement d’un centre commercial). La Ville de Québec, elle, vient de terminer un mégaprojet de stockage d’eau de crue à 34 $/m3, en dehors du milieu urbain. 

Pendant ce temps, depuis trois ou quatre ans, avec le programme de drainage, je me suis beaucoup replongé dans l’hydrodynamique des sols.
Saviez-vous que la quantité d’eau totale que retient un sol dépend beaucoup de son état de santé? Combien cela représente-t-il? Si un sol compacté peut absorber environ 200 m3 d’eau par ha, un sol en santé pourrait contenir jusqu’à 1 200 m3. La différence s’élève à 1 000 m3/ha, et certains paient 400 $/m3 pour ça…

Combien cela coûte-t-il de remettre un sol en santé? Selon mes calculs, en milieu agricole, on peut stocker de l’eau en quantités bien plus grandes que beaucoup d’ouvrages de génie civil, et ce, pour des coûts variant de 1 à 5 $/m3. En plus, la rétention de l’eau, à Montréal et à Québec (sur le bord du fleuve), n’aura pas grand impact sur les rivières. C’est en l’appliquant en amont, dans les bassins versants, qu’on aura de l’impact sur les inondations.

En conclusion

J’entends parler de certaines subventions européennes et anglaises à l’agriculture. Selon ce que j’en comprends, la première est liée, en Belgique, à un maximum de 1/6 des superficies à nu pour l’hiver, et l’autre est basée sur les « services environnementaux rendus » (Environnemental Stewardship).
Une belle façon de payer les agriculteurs pour des services environnementaux sans contrevenir aux règles du commerce international : ce ne sont pas des subventions à l’agriculture, c’est une compensation pour services environnementaux rendus. Au Québec, est-il possible de penser que les services environnementaux rendus par les agriculteurs soient reconnus et deviennent alors une occasion d’affaires?

François Durand, ing., agr. / Groupe multiconseil agricole Saguenay-Lac-St-Jean