Actualités 14 novembre 2018

Un marché des grains incertain

En cette période automnale, divers constats sur le marché des grains peuvent être établis : de façon générale, les récoltes aux États-Unis seront excellentes une fois de plus, et la Chine stabilisera ses importations de soya. À la Bourse de Chicago, le prix du maïs est au point mort et celui du soya a touché un creux depuis 2008. Cela dit, certains facteurs pourraient potentiellement bouleverser les marchés d’ici la fin de l’année. 

La sphère politique

Lors des derniers mois, les marchés ont principalement réagi à la guerre commerciale opposant les États-Unis à la Chine : la Chine avait répliqué aux taxes américaines en attaquant le soya des États-Unis et le résident de la Maison-Blanche a offert une subvention à ses producteurs en plus de surenchérir en taxant davantage de produits chinois. De son côté, la Chine a affirmé qu’elle refuserait de négocier sous la menace des Américains. Bref, le climat actuel ne laisse pas entrevoir de solution imminente à ce conflit.

En Chine, plusieurs représentants de compagnies affirment qu’ils pourront se passer en partie, voire complètement, du soya américain en substituant le tourteau de soya et en changeant la formule des rations de l’élevage porcin. Toutefois, aucun commentateur économique ne semble croire ces déclarations et tous surveillent impatiemment le retour des Chinois sur le marché américain. À cet égard, plusieurs avenues sont envisageables : les Chinois pourraient acheter du soya américain sous le prétexte d’un signe d’ouverture à la renégociation ou ils pourraient retarder au maximum leurs achats de soya jusqu’à la fin des élections de mi-mandat aux États-Unis afin d’influencer le vote. Une chose est claire : l’évolution de ce conflit commercial perturbera les marchés et rendra donc les prévisions de prix très incertaines.

Les exportations américaines

En date du 13 septembre, les ventes américaines à l’exportation sont en avance de 50 % pour le maïs et en retard de seulement 7 % pour le soya, comparativement à celles de l’an passé à pareille date. Le retard des ventes de soya semble minime étant donné que les États-Unis ont perdu le plus important acheteur mondial de soya qu’est la Chine. Si le rythme des exportations américaines se maintient, le département de l’Agriculture des États-Unis (USDA) n’aura pas le choix d’incorporer ces résultats dans ces offres et demandes, ce qui engendrerait une diminution des stocks et, par conséquent, viendrait stimuler les prix à la Bourse de Chicago.

L’Amérique du Sud

Les semis en Amérique du Sud ont commencé, et comme à l’habitude, les cours boursiers fluctuent au rythme de ces semis ainsi que des précipitations dans cette région. Cette année sera singulière, car la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine a fait croître la demande de soya autre qu’américain, dont celle du Brésil, et conséquemment, sa valeur. L’écart de prix entre la fève américaine et brésilienne est de près de 85 $ US/t. Les producteurs sud-américains sont donc motivés à semer davantage de soya. À preuve, l’USDA estime que les superficies récoltées seront de 37,5 millions d’hectares (Mha) de soya au Brésil et de 19 Mha en Argentine, soit une hausse respective de 7 % et 17 % par rapport à l’année dernière.

Les producteurs sud-américains ont également été avantagés par la forte dévaluation de leur devise respective. Le réal brésilien a subi une chute à cause des élections présidentielles. Au cours de l’été, la monnaie brésilienne a perdu près de 23 % depuis le début de l’année, et ce, en raison des démêlés juridiques de l’ancien président. Quant au peso argentin, il a perdu environ 102 % de sa valeur depuis janvier 2018, principalement à cause de la situation économique du pays. Si les récoltes se déroulent bien, les Sud-Américains risquent donc d’être plus compétitifs sur la scène internationale au détriment des États-Unis, ce qui mettrait une pression à la baisse sur les prix à Chicago.

Les bases locales

Le Québec n’a pas d’influence sur les prix des grains à l’international, mais il en a sur les prix locaux grâce aux bases locales. Lors du dernier rapport de Statistique Canada sur les rendements des cultures, les marchés ont pu constater que la production québécoise de maïs sera relativement au même niveau que l’an passé. Or, si les exportations se maintiennent et que la demande locale est aussi forte, on pourrait s’attendre à une diminution des stocks et un raffermissement des bases par rapport à 2017. 

Pour ce qui est du soya, le rendement et la production devraient être à un record historique, ce qui est corroboré par les estimations présentées lors de la Tournée des Grandes Cultures 2018. Malgré une production record au Québec, la base du soya s’est appréciée. En effet, celui-ci est principalement exporté et la demande pour le soya non américain est en croissance, ce qui profite au Québec, sans toutefois compenser les pertes importantes des marchés à terme. 

Étienne Lafrance, agent d’information sur les marchés, Producteurs de grains du Québec 

Cet article est paru dans l’édition d’octobre 2018 du magazine GRAINS.