Environnement 20 juin 2018

Le moratoire sur les terres en culture et ses aberrations

2004. Un moratoire sur les nouvelles superficies en culture sur la quasi-totalité du territoire agricole entre en vigueur au Québec. Quatorze ans plus tard, Québec entrouvre la porte à un dégel, mais l’Union des producteurs agricoles demande d’aller plus loin. Des agriculteurs témoignent au sujet des aberrations résultant du Règlement sur les exploitations agricoles (REA).

« Je ne peux pas croire qu’on accepte ça! »

Lorsque la Ferme Normand Jodoin a voulu recevoir le fumier d’une autre entreprise, le ministère de l’Environnement a scruté à la loupe toute la propriété. Le résultat? Un rapport de huit pages de non-conformités, dont la culture de vieux fossés, comme on peut le constater sur les photos ci-dessous.

François Jodoin estime qu’il est complètement exagéré que le ministère de l’Environnement lui interdise de semer les petits fossés qu’il a remblayés. Crédit photo : Archives/TCN
François Jodoin estime qu’il est complètement exagéré que le ministère de l’Environnement lui interdise de semer les petits fossés qu’il a remblayés. Crédit photo : Archives/TCN

« Je ne peux pas croire qu’on accepte ça! Je deviens un criminel parce que j’ai remblayé des fossés qui sont secs pratiquement tout l’été. Je suis aussi dans l’illégalité parce que je cultive la partie où se situait un vieux bâtiment en décrépitude que j’ai démoli et nettoyé », s’indigne le copropriétaire François Jodoin.

Le ministère le somme maintenant de corriger la situation. « Ça me coûte 2 000 $ en agronome pour défendre mon droit de produire. C’est en plus de toutes les heures que je passe à évaluer quelles superficies je pourrais donner en compensation », déplore le producteur de Varennes, en Montérégie.

Sur l’une des terres achetées récemment par François Jodoin, une bande boisée avait été enlevée sans autorisation par l’ancien propriétaire après l’entrée en vigueur du REA. Parmi les options qui s’offrent à lui, l’agriculteur peut procéder à un échange de parcelles qu’il promettra de ne plus cultiver. « Au prix où sont les terres ici, disons que je grafigne un peu à l’idée d’en laisser pousser en friche pour faire plaisir au ministère! L’autre choix qu’on m’a donné, c’est de lever le planteur vis-à-vis les anciens fossés que j’ai enterrés. Ça n’a pas d’allure », s’exclame-t-il.

Pris avec son vieux mur de roches

En 2016, Marcel Brais a commencé à excaver de vieux amoncellements de roches qui séparent sa terre en deux à Dunham, en Montérégie. Un inspecteur du Centre de contrôle environnemental du Québec a interrompu ses travaux, lui signifiant que cultiver cet emplacement de 0,17 hectare serait considéré comme une augmentation de superficie en culture.

« Si je cultive ces parties-là, je m’expose à une amende. À moins que je procède à un échange de parcelles! Mais enlever ces roches, ça ne cause aucun tort à l’environnement. Ça me permettrait juste de gagner du temps en cultivant un seul morceau au lieu de deux petits morceaux séparés par un mur de roches de 300 pieds », fait-il valoir, avant d’ajouter : « On nous demande d’être plus efficaces, mais on nous interdit d’améliorer nos terres. C’est un règlement un peu farfelu. »

Sa conjointe souligne l’incohérence de la loi. « On aurait le droit de raser la forêt et d’agrandir les superficies si c’était pour y cultiver des petits fruits, comme des fraises, qui demandent beaucoup d’amendements », fait-elle remarquer sur un ton sarcastique.

Sur une partie de la terre de 40 hectares de Marcel Brais, des cèdres ont commencé à pousser. Le REA interdit de remettre cette portion en culture. Pourtant, son propre père la cultivait, mais c’était avant le règlement de 2004. Malheureusement, aucune photo ne le prouve. Crédit photo : Martin Ménard / TCN
Sur une partie de la terre de 40 hectares de Marcel Brais, des cèdres ont commencé à pousser. Le REA interdit de remettre cette portion en culture. Pourtant, son propre père la cultivait, mais c’était avant le règlement de 2004. Malheureusement, aucune photo ne le prouve. Crédit photo : Martin Ménard / TCN

Obligé de laisser des terres en friche

« Nos grands-parents étaient subventionnés pour défricher de nouvelles terres. Aujourd’hui, on est considérés comme des criminels », lance Rémi Vaillancourt, producteur de grains de Val-Joli en Estrie, qui pense à « mettre sa terre dans ses REER », comme l’évoque la chanson de Mes Aïeux. Il éviterait ainsi les nombreuses restrictions environnementales…

Il raconte avoir été obligé d’acheter des terres qu’il laisse en friche dans le village voisin pour compenser le fait qu’il avait déroché et déboisé une partie de ses terres pour agrandir ses parcelles et les cultiver. Sans cet échange, des amendes salées l’attendaient. « Je trouve que ça n’a pas de bon sens », commente Rémi Vaillancourt, qui souligne que la terre en friche fait perdre des taxes et du potentiel de développement à la municipalité, en plus d’être une dépense pour lui. « On n’a pas été en mesure de changer un champ de fraises en blé », ajoute l’agriculteur, exaspéré par les règles qui l’empêchent de mettre en valeur sa propriété.

Le producteur de l’Estrie souhaiterait une application du règlement qui tienne compte des incontournables de l’agriculture. « Il y a tellement de roches en Estrie… on n’a pas le choix de laisser le sol à nu au départ si on veut les ramasser », illustre Rémi Vaillancourt.

La mise en culture de cette terre déboisée et dérochée a obligé Rémi Vaillancourt à acheter et laisser en friche un autre lopin, « en échange ». Crédit photo : Gracieuseté de Rémi Vaillancourt
La mise en culture de cette terre déboisée et dérochée a obligé Rémi Vaillancourt à acheter et laisser en friche un autre lopin, « en échange ». Crédit photo : Gracieuseté de Rémi Vaillancourt

Sur le même sujet
L’UPA propose une façon de lever le moratoire