Actualités 13 avril 2018

Comment optimiser son sol argileux

Les sols riches en argile sont nombreux au Québec, notamment le long du Saint-Laurent, des rivières Richelieu et Saguenay, et de la baie des Chaleurs. Leur nature argileuse les rend fertiles, mais parfois difficiles à travailler et à drainer. Peut-on optimiser un sol argileux? Un spécialiste a creusé la question.

L’argile, aussi appelée terre glaise, l’agronome Éric Thibault la connaît bien. Conseiller au club Techno-Champ 2000, M. Thibault a cofondé le Groupe Pleine Terre. Cette firme dont le siège social est à Napierville, au sud de Montréal, effectue des contrats d’ingénierie ou de cartographie, de protection et d’analyse de sols pour une clientèle privée et des clubs agroenvironnementaux. 

Éric Thibault et Julie Couture examinent un premier profil de sol  à Napierville, au sud de Montréal.
Éric Thibault et Julie Couture examinent un premier profil de sol à Napierville, au sud de Montréal.

M. Thibault a creusé et décrit pour L’UtiliTerre deux profils de sols avec l’aide de l’agronome Julie Couture. Elle supervise le secteur grandes cultures au Groupe PleineTerre en plus d’être conseillère au club Bio-Action. 

Les deux spécialistes ont sondé la terre dans une zone où se côtoient les argiles Sainte-Rosalie, Saint-Laurent, Saint-Urbain et Providence.

Premier profil : une argile bien traitée

Le premier profil de sol est creusé à une profondeur dépassant 1,2 m dans un champ de blé de Napierville récolté peu auparavant. En se fiant aux teintes et aux textures observées, M. Thibault localise les trois grands horizons du sol (de haut en bas : A, B et C). Il y situe également l’horizon G, gris et parcouru de marbrures couleur rouille, interposé ici dans les horizons B et C. « Les marbrures témoignent de la longue période d’humidité subie par le sol. Ici, elles sont petites et uniformément réparties, ce qui est préférable », explique-t-il. L’argile se concentre dans la première couche de l’horizon B (entre 25 et 66 cm) et plus bas dans l’horizon C, entre 98 et 120 cm.
« Le sable loameux fin de la couche inférieure de l’horizon B aide au drainage de ce sol », souligne M. Thibault. Mais les façons culturales des propriétaires favorisent aussi la santé du sol et la qualité des récoltes. Ils font un travail réduit du sol (en laissant plus de 30 % de résidus en surface), et cela, sur une terre suffisamment égouttée. « Dans ce sol argileux, l’horizon A – la couche occupée par les cultures – possède une bonne structure grumeleuse et poreuse, où les racines se développent bien. »

Des coquillages en témoignent

On effectue le second profil non loin de là, à Saint-Philippe-de-La Prairie, sur la terre de la famille Lamoureux, productrice de grandes cultures. La carte des sols révèle des argiles Providence et Sainte-Rosalie. « On observe aussi des enclaves de terres noires, restes d’anciennes tourbières posées sur la glaise imperméable », indique du doigt
M. Thibault.

Cette argile se rapproche davantage de la série Sainte-Rosalie, résultant d’un dépôt marin ou lacustre. Deux indices ne trompent pas. Trois petits coquillages se dispersent à environ 60 cm de profondeur, et quelques gouttes d’acide chlorhydrique (HCl) font pétiller l’argile à l’oreille de M. Thibault : elle contient du calcium. 

On examine la carte du sol de la région,  qui indique entre autres un mélange d’argiles Sainte-Rosalie et Providence.
On examine la carte du sol de la région, qui indique entre autres un mélange d’argiles Sainte-Rosalie et Providence.

« Il y a 20 ans, ce sol était beaucoup plus compact, se rappelle M. Thibault. Mais les façons culturales des Lamoureux [drainage efficace, semis direct] ont beaucoup amélioré la situation. La structure de la couche de surface se bonifie nettement, en formant des granulats qui finiront par devenir grumeleux. On observe des pores creusés par les vers de terre et les racines, ce qui favorise la circulation de l’eau, de l’air et des éléments nutritifs. »

La Ferme L. et H. Lamoureux a lancé sur le marché, il y a quelques années, son « tasse-résidus ». Cet appareil dégage le rang sur une largeur d’environ 25 cm et facilite à la fois la pénétration de l’ouvre-sillon lors du semis et le réchauffement de la surface au printemps. « Nous avons ajouté à l’arrière de notre chasse-débris des disques qui brisent la croûte, très utiles sur certains sols sableux », précise Elena Lamoureux, petite-fille des fondateurs de l’entreprise. « Aujourd’hui, avec le semis direct sur un sol argileux, on peut obtenir une levée aussi hâtive qu’en conventionnel », confirme M. Thibault. 

Comment améliorer la productivité des argiles?

« Tout d’abord, il faut à tout prix éviter de travailler dans un sol mouillé, insiste le conseiller. Ensuite, si l’on observe des flaques d’eau, on fait un drainage de surface, avec des planches en faîte ou arrondies s’égouttant dans des rigoles ou des fossés efficaces. 

Si l’on a éliminé un fossé, on laissera au moins une rigole, car même un drain ne le remplacera pas complètement. »

Dans une argile très problématique, M. Thibault recommande aussi ­d’ajouter des drains souterrains pour réduire l’écartement entre les drains existants. « Mais attention de ne pas enfouir les tuyaux trop profondément, sinon on n’égoutte pas assez près de la zone cultivée. » 

« Les pratiques bénéfiques à tous les types de sols s’imposent d’autant plus en terrain argileux. Il faut une bonne rotation, idéalement avec des plantes fourragères, ou au moins avec une céréale à paille, car ses racines chevelues émiettent bien la couche arable. » 

Et les engrais verts, les cultures de couverture et intercalaires? « Excellents, oui, mais pour favoriser leur implantation, on ameublit d’abord le sol, prévient-il. Plus une terre reste abritée de végétaux, plus elle se protège contre l’érosion et la compaction [par exemple, les racines des plantes sécrètent des exsudats qui cimentent et stabilisent le pourtour des grumeaux]. Et cela encourage les petits animaux et les microorganismes du sol, qui procurent tous des bénéfices incroyables. » 

« Mais quand on remue la couche arable tous les ans, on détruit tout ce que les plantes et les organismes du sol ont apporté pendant la saison de croissance », ajoute M. Thibault. Le spécialiste reconnaît néanmoins l’utilité d’un travail superficiel du sol et même d’un labour, de temps en temps.

Trois argiles importantes sous la loupe

Éric Thibault a contribué à une étude menée de 2013 à 2015 sur trois des argiles communes en Montérégie : Sainte-Rosalie, Saint-Urbain et Providence. Cette recherche était dirigée par Yvan Faucher et Stéphanie Mathieu, du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ), en collaboration avec Joëlle Desjardins, conseillère au club Agri-Conseils Maska. « Nous avons appris que l’argile Providence, souvent plus problématique, pouvait donner des rendements aussi bons que les deux autres argiles, note M. Thibault. Et cela, entre autres grâce à une meilleure gestion du sol. »
D’autre part, l’observation visuelle de la structure et de la porosité de ces trois argiles limoneuses a donné une image plus exacte de leur santé et de leur fertilité que les analyses en laboratoire. 

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D’où viennent les argiles?

L’argile, le limon, le sable et les cailloux proviennent de la désagrégation des roches primitives sous l’effet du climat, de l’érosion ou de gigantesques bulldozers : les glaciers.

Il y aurait quelque 13 000 ans, la fonte des glaciers a créé la mer de Champlain au sud du Québec. Les argiles dites marines se sont d’abord accumulées au fond de cette étendue d’eau. Puis cette mer s’est retirée, formant la plaine du Saint-Laurent. D’autres argiles se sont alors déposées au fond des lacs alimentés par les glaciers (argiles glaciolacustres) et enfin dans le lit des cours d’eau (argiles fluviatiles). « Les argiles marines, comme la Saint-Urbain, la Kamouraska ou la Sainte-Rosalie, sont souvent plus faciles à cultiver que les argiles fluviatiles comme la Providence ou les argiles glaciolacustres comme la Chambly », dépeint Éric Thibault.