Actualités 27 avril 2018

L’intégration du captage de spores dans les cultures de pommes de terre

La capture de spores permet la détection d’agents phytopathogènes dans l’air et fournit ainsi une base concrète pour la prise de décisions en ce qui a trait à l’utilisation de pesticides. 

Cette méthode s’inscrit dans la mouvance de l’agriculture raisonnée qui vise à optimiser le résultat économique tout en limitant la quantité d’intrants. Cet outil est très prometteur dans la poursuite de la réduction de l’emploi de produits chimiques amorcée à la suite des pressions du public et des gouvernements.

L’Unité mixte de recherche (UMR) de l’Institut national de la recherche agronomique AgroParisTech estime que l’on pourrait présentement réduire jusqu’à 30 % l’utilisation de pesticides sans impact économique ou baisse de productivité pour l’agriculteur. Une étude de 2013 ciblant des producteurs de blé a même démontré que 33 % d’entre eux employaient de grandes quantités d’intrants pour une productivité moyenne, alors que 38 % en utilisaient une quantité moyenne pour une forte productivité. Cela semble indiquer qu’une diminution des intrants peut, dans une certaine proportion, se traduire en augmentation de rendement. Cependant, la réduction d’utilisation de produits chimiques, tout en limitant le risque d’infection, passe par la mise en place à grande échelle de méthodes de suivi précises.

Trappes à spores, modèles météo et délai d’exécution

Les capteurs de spores peuvent être utilisés en conjonction avec des modèles météo qui évaluent le risque d’infection ou de propagation des maladies. Ces modèles sont généralement de deux types : soit ils cherchent à estimer le moment de relâche des premiers sporanges ou spores, soit ils évaluent le risque d’infection ou de propagation en assumant la présence de l’agent infectieux. La conjonction de ces deux sources de données (spores et météo) donne une image complète de la situation en évaluant dans un premier temps la présence de l’agent infectieux, mais aussi la probabilité que cette présence provoque une infection.

Cependant, afin que les résultats soient utilisables, la transmission de ces derniers doit tenir compte du délai de réponse limité, lorsque l’on est confronté à certaines maladies telles que le mildiou de la pomme de terre (Phytophtora infestans). En effet, le cycle de reproduction de P. infestans peut être aussi court que 4 à 6 jours quand les conditions sont très favorables (typiquement 7 à 14 jours). L’échantillonnage, le transport, l’analyse, la production de rapports et l’envoi des résultats aux personnes concernées doivent donc se faire en moins de deux à trois jours afin de permettre la mise en place d’actions correctives en cas de besoin.

Surutilisation et sous-utilisation de pesticides

L’emploi d’outils de prévention de phytopathologies présente un risque théorique à la fois de surutilisation et de sous-utilisation de pesticides. D’un côté, des agents phytopathogènes tels qu’Alternaria solani chez la pomme de terre, en étant détectés plus précocement et tout au long de la saison qui s’ensuit, pourraient encourager certains producteurs à surtraiter les cultures. D’un autre côté, l’extrapolation de résultats obtenus pour une parcelle en particulier à toute la culture environnante d’un producteur donné pourrait entraîner une prise de risque non calculée. 

En effet, l’emploi de ces outils d’aide à une gestion raisonnée des pesticides doit respecter les limitations géographiques et physiques du captage et faire partie intégrante d’un système de prise de décisions prenant en compte le stade de développement des plants, les variétés utilisées et leur résistance et sensibilité intrinsèques, la météo, l’irrigation artificielle, etc. Toutefois, en respectant quelques principes de base, il demeure que l’interprétation des résultats est simple et permet de cibler efficacement le type de fongicides à appliquer ainsi que le moment propice à leur utilisation.

Le contrôle des variables

Les conditions environnantes peuvent changer radicalement d’un endroit à un autre et au cours de la journée. La méthode de capture de spores et l’interprétation des résultats obtenus doivent donc tenir compte de ces variables. La direction du vent, par exemple, est un élément capital à considérer lors de l’échantillonnage. Le positionnement du capteur en fonction de la direction des vents au moment de chaque capture est crucial afin de récupérer les spores ayant voyagé au-dessus de la parcelle d’intérêt.

Bien que les capteurs fixes et automatisés facilitent la gestion du captage et donnent la possibilité d’étaler les périodes de capture sur toute une journée, l’utilisation de capteurs portables faisant intervenir une personne à chaque journée d’échantillonnage permet de contrôler plus efficacement les variables environnantes et de cibler les périodes de capture les plus adéquates. 

L’utilisation de la capture de spores est aujourd’hui en nette progression au Québec ainsi que dans le reste du pays et risque de devenir un outil incontournable dans le futur, principalement pour les cultures sensibles telles que les vignes et les pommes de terre. Le Québec amorce déjà depuis quelques années un virage vers un meilleur contrôle des pesticides par le biais de la réglementation et par une révision des politiques et des programmes agricoles visant à favoriser le développement durable. La stratégie phytosanitaire du Québec vise une réduction de 25 % des risques associés à l’utilisation de pesticides en milieu agricole d’ici 2021. L’atteinte de ces cibles passe par une intégration progressive et efficace des nouveaux outils de suivi mis à la disposition des agronomes et des producteurs. 

Christian Lebeau-Jacob, Microbiologiste agréé, Directeur de laboratoire, LAB’EAU-AIR-SOL