Grandes cultures 25 février 2023

Guerre en Ukraine : une incidence limitée sur les producteurs de grains du Québec

L’invasion russe de l’Ukraine continue d’alimenter les craintes sur le marché mondial de grains et de céréales. Même si le prix du blé s’est stabilisé depuis quelques mois, la situation demeure fragile.

La Terre s’est entretenue avec deux analystes afin de voir si les malheurs ukrainiens pourraient profiter aux producteurs d’ici. « Pas vraiment », croit Simon Brière, stratège de marché principal chez R.J. O’Brien & Associés. « Le prix du blé est historiquement bon, mais quand on le compare au maïs et au soya, par exemple, il ne se démarque plus comme dans la première moitié de 2022 », dit-il. « Quand je regarde le revenu net à l’acre aujourd’hui, le blé ne se démarque plus comme par les mois passés », estime l’analyste.

La panique qui a suivi l’invasion russe s’est en effet rapidement calmée, explique pour sa part Ramzy Yelda, analyste principal des marchés aux Producteurs de grains du Québec. « Quand la guerre a éclaté, une pénurie mondiale de grains a été évoquée, il a été question de rationnement… On était dans une panique totale », rappelle l’analyste. « On a définitivement vu plusieurs gouvernements procéder à des achats pour répondre à leurs besoins, mais aussi à des fins de stockage », ajoute-t-il. C’est à ce moment que le prix du blé s’est enflammé. « Le marché s’est calmé assez rapidement », précise Ramzy Yelda. « Les contrats de blé, avant la guerre, avoisinaient 7,50 $ le boisseau. Ils ont presque atteint 14 $ au pic de la panique, mais dès le mois d’avril suivant, le prix est retombé à 11 $. Là, il tourne autour de 7 $ », poursuit l’analyste des Producteurs de grains du Québec. 

Passer au blé?

Le recul des prix du blé rend la conversion des champs à cette culture moins intéressante pour les producteurs d’ici. « Les prix des principaux grains, comme le maïs et le soya, sont actuellement très bons, explique Ramzy Yelda. Avec les signaux de prix dont on dispose, à peu près tout est rentable », ajoute-t-il. 

À un prix d’environ 350 $ à 355 $ la tonne, les producteurs de maïs se trouveraient d’ailleurs dans une situation avantageuse en ce moment, estime l’analyste, qui rappelle que le chiffre magique sur lequel les producteurs d’ici tablent depuis deux ans est de 300 $ la tonne. Quant au soya, le prix actuel d’environ 690 à 700 $ la tonne correspond aux attentes des producteurs. « Quelqu’un qui aurait pris sa décision d’entrer en production de blé il y a trois mois aurait profité d’un prix intéressant grâce aux contrats à terme, souligne Simon Brière, mais quelqu’un qui prend sa décision aujourd’hui de se lancer dans le blé, non, ce n’est plus aussi clair que ce sera avantageux. »

Au-delà du prix

Le prix représente un puissant incitatif pour convaincre un producteur de se lancer dans une culture plutôt qu’une autre. Les données publiées le 12 janvier par le département de l’Agriculture des États-Unis (USDA) indiquent une croissance importante des semis de blé d’hiver aux États-Unis pour 2023 (+11 % en superficie pour le canola et le blé, par rapport à 2022). Ce type de passage d’une culture à l’autre serait cependant plus difficile à atteindre au Québec, estime Simon Brière. « D’un point de vue théorique, on pourrait envisager des conversions de culture pour profiter des meilleurs prix, mais dans les faits, d’un point de vue agronomique, le changement de culture n’est pas toujours aussi simple. » L’analyste souligne que les producteurs de grains adhèrent à des plans de culture qui peuvent s’étendre sur trois, quatre et même dix ans, parfois. 

Le climat fait aussi partie des contraintes auxquelles font face les producteurs d’ici. Même avec des prix intéressants, la conversion des terres québécoises à la culture du blé présenterait des difficultés. « Notre climat est beaucoup plus propice pour les cultures de printemps, comme le soya et le maïs, soutient Simon Brière. Ce qui complique les choses, dit-il, c’est que le blé est souvent semé à l’automne. »

Malgré ces contraintes, les superficies réservées à la culture du blé ont progressé au Québec ces dernières années. Selon les données du gouvernement du Québec, l’espace réservé à la production de cette céréale a augmenté de 65 % entre les périodes 2009-2013 et 2014-2018. Les superficies consacrées au blé se sont toutefois stabilisées depuis la fin des années 2010, indiquent les Producteurs de grains du Québec. Un total de 95 200 hectares de terre sont réservés au blé cette année, ce qui représente un peu moins de l’ensemble des superficies de toutes les cultures. Mis à part la situation particulière observée en 2020 en raison de la pandémie [118 300 hectares], ces superficies correspondent à la tendance des cinq dernières années au Québec.

Claude Fortin, collaboration spéciale


Ce texte a été publié dans le cadre du cahier spécial Commercialisation des grains, paru dans La Terre de chez nous du 8 février 2023