Fertilisation 4 décembre 2022

Des fertilisants à partir de déchets au Québec

Produire localement des fertilisants peu coûteux sans utiliser d’eau ni émettre de gaz à effet de serre. Mission impossible? Pas pour la jeune entreprise H2SX, qui désire implanter une usine d’engrais carboneutres à Saint-Hyacinthe.

Chaque année, les agriculteurs du Québec doivent importer environ 350 000 tonnes d’urée pour combler leurs besoins en fertilisants azotés. Celle-ci est créée avec de l’hydrogène industriel, qui est produit dans 90 % des cas à partir d’eau et d’énergies fossiles comme le gaz naturel. Ce procédé de fabrication, très énergivore, émet de grandes quantités de CO2 dans l’atmosphère. 

Le président-directeur général de H2SX, Sabin Boily, estime qu’il est possible de produire de l’hydrogène à faible coût à partir du méthane, et ce, de façon écologique, grâce à une technologie développée par un partenaire coréen. « En coupant les liens des différents atomes du méthane, on obtient de l’hydrogène gazeux et du carbone. Le procédé est vert, car il n’émet pas de CO2 et ne consomme pas d’eau. Est-ce une technologie nouvelle? Non, sauf qu’on est désormais capable de le faire à échelle industrielle », explique cet ancien chercheur à l’Institut de recherche d’Hydro-Québec. 

L’entreprise souhaiterait s’établir à Saint-Hyacinthe en raison de la présence de l’usine de biométhanisation, qui traite chaque année 200 000 tonnes de résidus organiques provenant de l’industrie agroalimentaire pour la transformer en biogaz. D’une capacité de 13 millions de mètres cubes de biogaz par année, l’usine de Saint-Hyacinthe est l’une des plus grandes du genre au monde. 

La « vitrine technologique » que le promoteur entend faire venir de Corée du Sud pourrait traiter quant à elle 11 millions de mètres cubes de biogaz. « Notre projet aurait une capacité de production de 2 000 tonnes d’hydrogène par année, ce qui nous permettrait de fabriquer 20 000 tonnes d’urée, détaille Sabin Boily, également directeur adjoint recherche et innovation au Cégep de Saint-Hyacinthe. L’idée est de démontrer la viabilité de cette technologie et à partir du carnet de commandes, prendre de l’expansion et augmenter notre capacité avec d’autres sources de biogaz. »

Pour fabriquer son hydrogène, le promoteur s'approvisionnerait à l'usine de biométhanisation de Saint-Hyacinthe (photo), qui transforme chaque année 200 000 tonnes de résidus de l'industrie agroalimentaire en biogaz.
Pour fabriquer son hydrogène, le promoteur s’approvisionnerait à l’usine de biométhanisation de Saint-Hyacinthe (photo), qui transforme chaque année 200 000 tonnes de résidus de l’industrie agroalimentaire en biogaz.

Plus viable que l’hydrogène vert

L’entrepreneur précise par ailleurs que la technologie qu’il souhaite amener au Québec est différente du procédé duquel on obtient l’hydrogène vert, dont il a été question durant la dernière campagne électorale. « L’hydrogène vert est réalisé à partir de l’électrolyse de l’eau. Dans mon livre à moi, ce n’est pas viable d’un point de vue environnemental, car chaque fois que je veux faire un kilo d’hydrogène vert, j’ai besoin de neuf litres d’une eau qui a subi plusieurs traitements de purification. Dans plusieurs parties du monde, c’est carrément impensable. »  

La fabrication de l’hydrogène vert est aussi très énergivore, fait-il valoir. « Dans l’hydrogène vert, 80 % du prix est relié au coût d’énergie. Avec le procédé que je veux utiliser, c’est moins de 10 %. En fait, l’énergie requise pour couper les liens du méthane est de 14 fois inférieure à l’électrolyse de l’eau. Une fois qu’on obtient de l’hydrogène à un coût raisonnable, on peut produire de l’urée à un prix intéressant pour l’agriculteur. On peut aussi faire des plastiques ou de l’acier vert », explique-t-il avec enthousiasme. Le carbone obtenu lors du procédé pourrait quant à lui entrer dans la fabrication de batteries. 

Un vaste projet

La production d’urée grâce au biogaz de l’usine de biométhanisation serait l’une des activités du projet de H2SX, qui voit grand pour la région de Saint-Hyacinthe. Ainsi, l’entreprise souhaiterait aussi revaloriser les plastiques agricoles en biodiesel grâce à une technologie allemande. « Arrêtons d’exploiter les énergies fossiles et utilisons les ressources déjà en circulation, insiste Sabin Boily. Avec cette technologie, chaque tonne de plastique peut donner 500 litres de biodiesel pour nos camions et nos tracteurs et 500 litres de résidus qui peuvent entrer dans la composition d’engrais. »

Le projet mettrait également à contribution l’expertise d’un des partenaires de l’entreprise, St-Georges Eco-Mining, pour revaloriser les résidus miniers en engrais. « Avec ces trois éléments, nous pourrions produire localement une formulation NPK », résume-t-il. 

Volonté politique?

Le projet, évalué entre 50 et 60 M$, bénéficie déjà de l’appui de la Ville de Saint-Hyacinthe et de Saint-Hyacinthe Technopole. Selon le promoteur, différents investisseurs privés sont prêts à entrer dans la danse, mais attendent que le gouvernement du Québec fasse le premier pas. « Il faut que le gouvernement annonce ses couleurs et dise s’il est prêt à soutenir le projet. » L’entrepreneur préférerait réaliser l’usine au Québec, mais glisse du même souffle qu’il est en discussions avec d’autres investisseurs au Canada et aux États-Unis. « Ce n’est plus un problème de technologie, c’est une question de volonté politique, tranche Sabin Boily. Mon projet répond à plusieurs enjeux importants pour les agriculteurs et pour l’environnement. Considérant que notre agriculture dépend des engrais étrangers, considérant que nous devons être sobres dans notre consommation d’énergie et d’eau, considérant la crise climatique, notre gouvernement doit se poser la question si notre société peut se permettre de ne pas essayer cette avenue. »


Ce texte a été publié dans l’édition de novembre de L’UtiliTerre, le cahier technique de La Terre de chez nous.