Économie 17 septembre 2022

Perspective incertaine des prix

Les prix des grains ont grandement chuté depuis mai alors que la guerre entre la Russie et l’Ukraine persiste, celle-là qui a contribué au second souffle des marchés pour l’année-récolte 2021-2022, et que le risque d’une famine dans plusieurs pays du monde est toujours d’actualité. Il est essentiel de connaître la raison de cette dépréciation et d’en tirer des enseignements d’ici la fin des récoltes.

Guerre en Ukraine

Le prix s’était enflammé depuis l’invasion, car les marchés s’attendaient à ce que ces deux pays qui représentaient 27 % des exportations mondiales de blé en 2020-2021 ne soient plus en mesure d’en exporter ou à tout le moins très peu. Or, ce ne fut pas le cas. Premièrement, une bonne partie du programme d’exportation du blé était déjà réalisé à l’automne passé. Deuxièmement, bien que les exportations ukrainiennes se soient déroulées au compte-gouttes, les exportations russes ont maintenu une bonne cadence malgré les sanctions économiques de l’Occident. En fait, les pays dont l’approvisionnement en blé reposait sur les pays de la mer Noire ont pu contourner les sanctions économiques en achetant le grain russe en roubles. Troisièmement, la récolte de blé russe pour 2022 s’annonce excellente à 88 Mt, selon les plus récentes données du département de l’Agriculture des États-Unis (USDA). Finalement, l’Ukraine, la Russie, la Turquie et les Nations Unies ont conclu une entente pour le transport de grains et d’engrais par la mer Noire d’une durée maximale de 120 jours le 22 juillet dernier. Cette situation devrait permettre aux nombreux bateaux pris au piège en mer Noire depuis l’invasion d’exporter du grain, et les exportations pourraient s’élever entre 4 et 6 Mt par mois, contrairement à environ 1,5 Mt ou 2 Mt par mois sans cet accord.

Récolte au Brésil

La récolte record de soya anticipée à 144 Mt à la fin décembre s’est inclinée à 126 Mt à cause de la sécheresse. Or, le temps sec s’est poursuivi durant tout l’hiver, mais ne semble pas avoir endommagé la récolte de maïs de la même manière que la fève, alors que les trois quarts du maïs brésilien sont semés à la suite du soya. La récolte et les exportations de maïs seront à des niveaux records à 116 Mt et à 44,5 Mt, respectivement. Par conséquent, le Brésil prendra des parts de marchés aux États-Unis.

Demande chinoise

La production porcine chinoise s’est accrue tandis que la demande s’est inclinée en raison des mesures de confinement contre la COVID-19 imposées dans certaines grandes villes dans le cadre de la politique « zéro COVID ». Par conséquent, un débalancement entre l’offre et la demande a provoqué une diminution du prix. Les éleveurs ont alors envoyé plus de truies à l’abattoir, ce qui a fait augmenter la production à court terme et l’a réduite pour la deuxième moitié de 2022, entraînant un fléchissement de la demande chinoise en grains.

Cependant, les exportations de grains américains vers la Chine ont ralenti. De septembre 2021 à juin 2022, elles ont chuté de 20 % pour le soya et de 33 % pour le maïs, par rapport à l’an passé. Cela ne doit pas être étranger à l’escalade des tensions entre Pékin et Washington. Le 2 août, Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants des États-Unis, a voyagé à Taiwan et a affirmé tout son soutien à la démocratie de l’État insulaire, déclenchant la colère du gouvernement chinois. Celui-ci a alors répliqué par des exercices militaires aux frontières de Taiwan et a mis fin aux pourparlers avec les États-Unis sur de multiples sujets. Toutefois, à la surprise générale, la Chine a fait l’acquisition d’importants volumes de grains américains alors qu’elle est reconnue pour utiliser ses achats de grains comme une arme politique. La raison doit être une différence de prix avantageuse par rapport au Brésil. Pour le long terme, il faudra s’attendre à ce que la Chine achète de plus faibles quantités de grains américains et seulement lorsque leur prix sera plus avantageux que celui du Brésil.

Base locale

Il n’y a pas que le contrat à terme qui ait chuté depuis mai; la base locale du maïs a fléchi et est particulièrement volatile. Pour une livraison immédiate, la base du maïs est passée de 0,69 $ US/bu en mai à 0,25 $ US/bu en août. Des rumeurs ont circulé selon lesquelles la réduction des prix locaux serait due aux sérieuses difficultés de la production porcine québécoise ou à de fortes importations de maïs. En l’absence de données transparentes pour corroborer ces faits, l’hypothèse la plus plausible serait que la bonne condition du maïs au Québec – bien que variable par endroits – aurait incité les acheteurs à retarder leurs achats de maïs, contribuant ainsi à la diminution du prix de sorte qu’il se rapproche de la valeur de la nouvelle récolte. 

Étienne Lafrance, agent d’information sur les marchés, Producteurs de grains du Québec


Cet article a été publié dans la revue GRAINS de septembre 2022.