Économie 27 mai 2022

Négocier une location de terre en 2022… ayoye!

Les entreprises agricoles du Québec qui souhaitent croître, intégrer une relève ou optimiser leurs actifs ont de plus en plus recours à la location de terres agricoles. Lors de la dernière étude sur les coûts de production, près de la moitié des superficies cultivées par les entreprises de grains spécialisées étaient louées (environ 200 ha). Une option intéressante, diront certains! Cependant, la question demeure souvent : à quel prix?

En 2021, le prix moyen de location des terres était de 400 $/ha pour la région de la Montérégie1. Mais attention, ce résultat cumule des prix provenant d’ententes signées sur plusieurs années.

Dans le contexte de 2022, où le prix des terres a atteint des niveaux que nous n’aurions jamais cru possibles il y a 10 ans et où le prix des grains a fait de même, comment est-ce possible de mettre un peu de rationnel dans les discussions entre un locateur et un locataire?

Les balises usuelles sont les suivantes :

  • Prix observés pour d’autres terres déjà louées;
  • Pourcentage du prix de la terre ou de terres comparables;
  • Marge sur coût variable pour ceux qui ont des actifs sous-optimisés;
  • Marge sur coûts totaux pour les autres;
  • Et bien d’autres…

Ces approches économiques conventionnelles fonctionnent toujours, mais elles doivent être nuancées.

Comparables

Contrairement aux prix des terres, il est souvent difficile d’obtenir des comparables. Les contrats convenus entre les locateurs et les locataires ne sont pas publics. Ils comportent également des durées différentes, des conditions variables, des particularités dans le paiement de certaines charges et bien d’autres. Malgré cela, il demeure important de tenter d’avoir des exemples concrets et récents.

Pourcentage

L’utilisation d’un pourcentage du prix de la terre peut-être intéressant dans certaines circonstances. Dans une publication récente, Financement agricole Canada proposait pour l’année 2021 un ratio location/prix à valeur marchande de 1,6 % pour le Québec, assorti d’une fourchette allant de 0,80 % à 2,50 %. Par exemple, une terre valant 35 000 $/ha pourrait se louer 560 $/ha. Cette approche a l’avantage d’être un indicateur simple à obtenir.

Toutefois, deux aspects complexifient quelque peu l’exercice. D’abord, le fait de se référer à une valeur marchande lorsque l’on sait qu’il y a un écart avec la valeur économique pourrait être hasardeux à moyen terme. Le second aspect concerne directement la valeur de la terre à utiliser. Considérant que les écarts de valeurs dans un même secteur sont parfois incompréhensibles, certains pourraient être tentés de retenir la plus haute valeur transigée, même si elle est teintée de motifs exceptionnels.

Marge sur coûts

L’utilisation de la marge sur coûts (variables ou totaux) a également sa part d’avantages et de désavantages. La transparence étant la base de la confiance, une telle approche permet de mettre sur la table les réalités économiques de la production de grains. Le défi en 2022, c’est de ne pas utiliser les chiffres de 2022 à titre de référence. Le prix de vente des grains et le prix de certains intrants, notamment des fertilisants, sont deux éléments déterminants qui sont anormalement élevés dans l’année en cours. Considérant que nous ne sommes pas devins, il est souvent plus prudent ou plus judicieux de prendre une moyenne olympique des sept ou cinq dernières années pour les intrants et d’y appliquer un taux de progression moyen d’environ 5 %. Vous cherchez des chiffres pour vous guider? Consultez les dernières études de coût de production dans le maïs-grain, le soya, les céréales et les cultures émergentes disponibles sur les sites Internet des Producteurs de grains du Québec (pgq.ca) et du Centre d’études sur les coûts de production en agriculture (cecpa.qc.ca). Une approche similaire basée sur une moyenne pourrait être utilisée pour établir un prix de vente.

Pour le rendement, soyez réalistes! Saviez-vous que la Financière agricole publie pour plusieurs zones des rendements de référence? Ceux-ci ont été calculés à partir des rendements observés pour plusieurs entreprises et sur plusieurs années. Une source d’information crédible qui met tout le monde en confiance.

N’oubliez pas que vous négociez souvent un contrat de location valable pour plusieurs années : 3, 5, voire même 10 ans. Il est important de considérer que ces facteurs pourraient varier énormément pendant cette période, alors que le coût de location demeure fixe.

Pour ce qui est de la détermination d’une marge, les approches sur les coûts variables ou sur les coûts totaux sont toutes les deux valables. Ensemble, elles permettent d’apprécier un intervalle dans votre processus de négociation.

L’accès à une terre agricole, qu’il soit par la propriété ou la location, n’est pas chose simple en 2022. Un principe de l’économie y contribue depuis plusieurs années : la demande surpasse l’offre!
L’accès à une terre agricole, qu’il soit par la propriété ou la location, n’est pas chose simple en 2022. Un principe de l’économie y contribue depuis plusieurs années : la demande surpasse l’offre!

Le point de vue du locateur

Finalement, il est important de se placer du point de vue du locateur. De façon générale, la valeur de la terre augmente de sorte à couvrir les frais annuels de possession de la terre encourus au fil du temps. Il demeure toutefois que le propriétaire qui possède cette terre souhaite générer annuellement un certain revenu de ce placement. Mais comment le quantifier de manière raisonnable?

Paul Lecomte, directeur du Fonds d’investissement pour la relève agricole (FIRA), nous fait part de ses observations sur le sujet : « Qu’ils soient retraités, héritiers de la terre ou investisseurs, les locateurs ont leurs valeurs personnelles. À titre de propriétaires, l’ordre de celles-ci conditionne leurs attentes vis-à-vis des locataires. Ces valeurs peuvent être de préserver un patrimoine familial en état de production, de conserver leur lien à la terre (pour la cultiver un jour ou par nostalgie), de l’investissement avec une perspective de rendement à court ou à long terme, et bien d’autres. Ainsi, pour les locateurs dont les valeurs sont autres que strictement financières, on observe une variabilité des conditions de location. Ces conditions sont en phase avec leurs valeurs et leur connaissance du marché. Toutefois, il en va autrement pour d’autres propriétaires, pour lesquels le loyer sert à générer une rente annuelle, en plus d’un rendement à terme. Dans cette dernière perspective, on observe davantage de conditions de location où le taux de loyer s’apparente à un taux d’intérêt sur un emprunt à faible risque, en fonction de la valeur marchande estimée de la terre. Cette logique est d’autant plus évidente dans les secteurs où il y a une compétition entre des locataires. »

Il faut ainsi retenir que l’accès à une terre agricole, qu’il soit par la propriété ou la location, n’est pas chose simple en 2022. Un principe de l’économie y contribue depuis plusieurs années : la demande surpasse l’offre! De plus, pour un producteur de grains, la concurrence vient parfois d’autres productions dont la rentabilité à l’hectare est plus élevée.

En ce sens, ceux qui réussiront le mieux sont ceux qui seront en mesure de proposer des approches créatives et parfois originales qui tiennent compte à la fois de leurs propres intérêts et des intérêts du locateur. Une approche gagnant-gagnant! En étant bien préparé, transparent et réaliste, et à condition que le locateur soit ouvert, vous maximisez assurément les chances de conclure un accord favorable.

Francis Goulet, directeur du CECPA


1. Combien louer une terre agricole? (2021); publication CRAAQ-CECPA.


Cet article a été publié dans l’édition de mai 2022 du magazine GRAINS