Actualités 22 mai 2022

Des semis et des hommes : espérer l’eau et accueillir ses fils

Après des mois de dormance, tout est maintenant en place pour lancer la nouvelle saison de culture. La machinerie est prête à prendre les champs et le blé, semé sur 40 hectares l’automne dernier, atteint déjà une quinzaine de centimètres, soutient Robert Bourdeau, l’unique propriétaire de la Ferme L.M. Bourdeau.

« C’est sûr que si on manque de neige un hiver, on risque de perdre toute notre récolte de blé. Si on a de la neige en masse, comme cette année et l’année passée, alors là, on double notre récolte. C’est avantageux », raconte le producteur qui sème son blé à l’automne depuis une quinzaine d’années. « Sur dix ans, je peux perdre deux ou trois années. Si ça arrive, je sème au printemps, tout simplement. Je ne perds pas grand-chose, juste un peu de temps pour semer », ajoute l’homme de 45 ans qui a repris la terre de son père en 2000.

Robert Bourdeau, entouré de ses deux fils :  Jérémie, à gauche, et Vincent, à droite.  Les deux se joindront à l’entreprise bientôt. Photo : Gracieuseté de la Ferme L.M. Bourdeau
Robert Bourdeau, entouré de ses deux fils : Jérémie, à gauche, et Vincent, à droite. Les deux se joindront à l’entreprise bientôt. Photo : Gracieuseté de la Ferme L.M. Bourdeau

Dire adieu aux vaches

La Ferme L.M. Bourdeau produisait du lait et cultivait 125 hectares de superficie à l’époque. Depuis combien de générations la famille possède-t-elle la terre? Robert Bourdeau ne le sait pas. Ce qu’il sait, c’est qu’il y est né et que, d’aussi loin qu’il se souvient, ses parents ont toujours possédé ce petit morceau du patrimoine agricole québécois, jusqu’à ce qu’il en fasse l’acquisition, il y a 22 ans, et change complètement la mission de l’entreprise.

C’est en 2004 que le producteur se débarrasse des vaches pour se consacrer aux grandes cultures. « J’ai connu les vaches, mais ça ne m’intéressait pas », admet le producteur de grains. « Dans le temps, on négligeait les vaches pour faire les semences, puis quand le temps des récoltes arrivait, on négligeait les cultures pour les vaches. C’était difficile de réussir les deux avec la main-d’œuvre et les équipements qu’on avait. Alors j’ai opté pour le plus facile, les grandes cultures. J’ai choisi d’investir là-dedans pour réussir plutôt que de négliger une partie de mon travail », raconte-t-il. C’est d’ailleurs ce que Robert Bourdeau a fait, investir. Dans la machinerie, puis dans la terre. La superficie cultivable de la ferme est passée de 125 à 400 hectares au fil du temps et si des champs devaient se libérer, il ferait partie des soupirants, c’est certain. « C’est sûr que j’aimerais avoir plus grand. Si on m’en offre une, je suis acheteur. Au prix que la machinerie coûte, il faut des superficies pour la rentabiliser », explique Robert Bourdeau, qui ne se fait toutefois pas trop d’illusions. « Ce qui est compliqué, c’est de mettre la main dessus. Quand il y en a une à vendre, on est dix producteurs à vouloir l’avoir. »

Les terres sont rares et recherchées en Montérégie. « Lorsqu’il y en a une de disponible, on est dix producteurs à vouloir l’avoir », dit Robert Bourdeau. Photo : Gracieuseté de la Ferme L.M. Bourdeau
Les terres sont rares et recherchées en Montérégie. « Lorsqu’il y en a une de disponible, on est dix producteurs à vouloir l’avoir », dit Robert Bourdeau. Photo : Gracieuseté de la Ferme L.M. Bourdeau

Espérer la pluie…comme chez Pagnol

Si la récolte de blé augure bien, la quantité d’eau qui arrosera ses terres cet été préoccupe davantage Robert Bourdeau. Pas assez pour remettre sa vocation d’agriculteur en question, bien entendu, mais tout de même suffisamment pour lui faire espérer le « juste assez de pluie » qui lui garantirait une bonne récolte. « Ça fait trois ans qu’on a de grosses sécheresses », rappelle le producteur dont le maïs et le soya occupent 180 hectares de champ chacun. « À ce temps-ci de l’année, on n’y pense pas. On a de l’eau en masse. Les champs sont pleins. Une fois rendu en juillet, c’est une autre affaire », indique-t-il. « L’an passé, on a trouvé l’été très long. On a été quatre mois où l’eau n’a pas coulé dans les deux rivières qui traversent mes champs. On a quand même eu une récolte acceptable, dit-il, mais c’est long, attendre après l’eau. C’est quelque chose qu’on ne peut pas négocier. » Robert Bourdeau se fait tout de même philosophe malgré les difficultés du climat. Le marché, avec son offre et sa demande, a ceci de génial que l’augmentation des prix dédommage les producteurs pour les années de mauvais rendements.

La Ferme L.M. cultive du blé sur 40 hectares.  Le taux de survie de ses semences d’automne  atteint 99 % cette année.
La Ferme L.M. cultive du blé sur 40 hectares. Le taux de survie de ses semences d’automne atteint 99 % cette année.

Deux fils

Si l’eau préoccupe Robert Bourdeau, ce n’est pas le cas pour la relève à la ferme. Ses fils Vincent et Jérémie, 18 et 20 ans, reprendront l’entreprise à leur tour, comme l’a fait leur père, il y a 22 ans. « Ils ont toujours voulu travailler en agriculture », souligne le père de famille, qui peut compter sur son plus vieux à temps plein depuis la fin de ses études en agriculture à Saint-Hyacinthe, l’an dernier. « Je commençais à avoir hâte parce que lorsque mon père est parti, j’ai dû embaucher un engagé. J’ai trouvé ça difficile, de fonctionner avec un engagé. Pour eux autres, c’est souvent du lundi au vendredi. L’agriculture, c’est un boom de 10-20 jours. Qu’il fasse beau, que ce soit un vendredi, un samedi ou un dimanche, il faut que l’ouvrage se fasse. » Une autre paire de jeunes bras s’ajoutera également cet été. Le benjamin rejoindra son frère et son père à son tour, une fois ses études terminées. Lui aussi a étudié l’agriculture à Saint-Hyacinthe. « Là, on va tomber à trois. J’ai de l’ouvrage pour trois, mais du salaire juste pour deux », explique Robert Bourdeau, l’air amusé malgré la situation. « Y en a un qui est sur une grosse ferme à côté. Il travaille là pendant les rush, puis les deux vont aider d’autres agriculteurs, des maraîchers, lorsque c’est plus relaxe. » Quant à l’intégration des deux garçons dans la compagnie, ce n’est qu’une question de temps, indique Robert Bourdeau. « J’attendais qu’ils finissent l’école, parce qu’il y a des subventions qui viennent avec ça. J’attends justement un appel de la Financière agricole pour en savoir plus sur les subventions », conclut le producteur, manifestement serein.

Claude Fortin, collaboration spéciale


Cet article a été publié dans l’édition de mai 2022 du magazine GRAINS