Économie 18 février 2022

L’investissement dans un contexte haussier

En ces temps économiques incertains où la pandémie se conjugue avec la pénurie de main-d’œuvre, une hausse des coûts des matériaux et un accès difficile à de la machinerie et à des pièces de rechange, il devient capital de bien réfléchir avant d’investir son argent. Qu’en pensent les experts? La Terre a recueilli leurs propos pour comprendre ce qui cache dans leur boule de cristal pour 2022, et déterminer comment les producteurs pourraient y naviguer de la meilleure façon.

Le variant Omicron est venu bousculer les économies comme un chien dans un jeu de quilles à la fin de l’année 2021, et il ne nous épargne toujours pas en ce début de 2022. N’empêche, les économies canadiennes et américaines se portent bien, et les économistes entrevoient les prochains mois d’un bon œil.

C’est entre autres l’avis de Hendrix Vachon, économiste principal chez Desjardins. Après une année 2021 où la croissance du PIB a atteint environ 6 %, 2022 réserve aussi un bilan positif, selon lui. « La vague Omicron vient un peu teinter en rouge nos prévisions, mais si on reste relativement optimiste, on pourrait avoir une croissance de 2 à 3 %, ce qui serait quand même bon. »

La variable qu’il guette particulièrement, c’est toutefois celle de l’inflation. Aux États-Unis, l’inflation a gonflé de 7 % en 2021. Le constat est le même de ce côté de la frontière. En 2021, elle a atteint 4,8 %, loin au-dessus de la cible habituelle des banques centrales à 2 %. Et elle ne montre pas de signes d’essoufflement.

Selon Patrick Lemelin, vice-président agriculture à la Banque Nationale, les facteurs qui ont contribué à cette inflation sont toujours en place et créent un effet multiplicateur. Le manque de main-d’œuvre dans certains secteurs force les entreprises à réduire leur offre de services et de produits, ce qui entraîne une augmentation des coûts.

Dans pareil contexte, la hausse des taux d’intérêt devient incontournable. Les banques centrales, tant la FED américaine que la Banque du Canada, l’ont déjà annoncée. Selon M. Lemelin, c’est d’ailleurs là peut-être la seule certitude qu’on ait vraiment avec 2022. « La seule question qu’on se pose, c’est à quelle vitesse les taux augmenteront. »

Pour l’instant, les économistes tablent sur au moins deux hausses d’un quart de point pour l’année 2022, portant le taux directeur qui est présentement de 0,25 % à 0,50, puis 0,75 %. « Mais ça pourrait fort probablement être plus », informe M. Lemelin, qui voit jusqu’à cinq hausses dans les prochains mois, selon le comportement des économies canadiennes et américaines.

Rentabiliser son investissement

Comment manœuvrer dans pareil environnement? Selon Patrick Lemelin, mieux vaut ne pas s’attarder aux décisions des banques centrales pour justifier ou non une décision d’investissement dans son entreprise. « Ça ne sert à rien de spéculer, dit-il. L’important, c’est avant tout de rentabiliser son investissement. »

Sylvain Morel, vice-président marchés agricole et agroalimentaire chez Desjardins.
Sylvain Morel, vice-président marchés agricole et agroalimentaire chez Desjardins.

Sylvain Morel, vice-président marchés agricole et agroalimentaire chez Desjardins, partage son avis. Selon lui, on se dirige possiblement en 2023 vers des taux d’intérêt qui seront au même niveau qu’ils étaient avant la pandémie, soit aux environs de 2 %. « Les projets se réalisaient bien à l’époque, souligne-t-il. Si on revient dans une économie normale, la hausse des taux ne devrait pas constituer un frein. »

Selon lui, plusieurs facteurs sont d’ailleurs à considérer lorsque vient le temps de prendre une décision d’investissement, et pas que les taux d’emprunt. Avec les prix élevés des matériaux, et les entrepreneurs généraux qui ne manquent pas d’ouvrage, précipiter un investissement pour profiter des bas taux actuels pourrait ne pas nécessairement s’avérer être une bonne affaire.

Dans ce contexte, mieux vaut revenir aux bases de l’investissement et déterminer quels sont les projets à prioriser, et lesquels on peut repousser à un peu plus tard, confie André Picard, vice-président au financement à La Financière agricole du Québec (FADQ).

« L’idée, c’est d’être plus sélectif tout en gardant en tête ses objectifs à long terme, indique-t-il. On révise son plan, on identifie la destination, puis on lève un peu le pied de sur la pédale sans arrêter pour autant d’avancer pour ne pas prendre du retard. »

André Picard, vice-président au financement à La Financière agricole du Québec (FADQ).
André Picard, vice-président au financement à La Financière agricole du Québec (FADQ).

Les producteurs devraient aussi s’assurer de bien répartir les termes de leurs emprunts au cas où les taux devaient monter en flèche au cours des prochaines années. « Si je travaille toujours avec des taux variables, je vais subir un choc, dit-il. Si, au contraire, j’ai préparé une stratégie d’emprunt et que je répartis plutôt mes termes dans le temps, les variations seront moins importantes. »

« Le financement, c’est un levier, rappelle-t-il. Si j’utilise le levier de façon efficiente, je vais traduire mon action en performance financière. »

Qui plus est, l’environnement d’investissement des producteurs agricoles demeure avantageux et avec un risque faible par rapport à celui d’entreprises œuvrant dans d’autres secteurs de l’économie, souligne pour sa part Sylvain Morel.

« Dans le secteur agricole, la demande varie, mais ne fléchit pas entièrement », dit-il. Selon lui, cette stabilité permet aux producteurs agricoles de préparer des plans d’investissement qui tiennent la route en se basant sur des prévisions fiables à moyen et long terme.

« Les dépenses et les coûts de production peuvent varier au fil du temps, mais on n’est pas dans un marché où on pourrait se faire remplacer du jour au lendemain, souligne-t-il. Les gens vont toujours continuer à manger trois fois par jour. »