Actualités 12 novembre 2021

Prendre les grands moyens pour protéger le sol

Confrontée à la menace constante de l’érosion, la ferme Maraîchers J.P.L. Guérin et fils à Saint-Patrice-de-Sherrington multiplie les efforts pour protéger ses champs de terre noire. Dans ce but, les producteurs sont allés jusqu’à construire des digues et à implanter des kilomètres de haies brise-vent, en plus de pratiquer des cultures de couverture depuis des décennies.

Il y a quelques années, la crue printanière avait été si importante qu’un des champs de la ferme avait perdu 6 po (15 cm) de terre sur une distance de 800 pi (243 m) en bordure de la rivière, se souvient Jean-Claude Guérin. « Quand tu aperçois des canaux dans ton champ, c’est facile de calculer le nombre de camions de terre que tu viens de perdre. Ce n’est pas motivant. Moi, ce que je veux, c’est la garder. »

Sous les conseils de différents spécialistes, le maraîcher a décidé de prendre les grands moyens en construisant trois digues qu’il a payées de sa poche. Deux sont disposées le long du ruisseau Norton et une autre près de la rivière Acadie. De l’autre côté des digues, on retrouve un fossé où s’écoulent les eaux de surface provenant des champs. La terre est retenue dans le bassin, qui agit comme un filtre, tandis que l’eau est renvoyée au ruisseau par un drain.

« Ce type d’ouvrage permet de faire avancer l’eau à un débit plus régulier en période de crue, plutôt que de la faire monter et d’avoir un débit très rapide à la surface qui viendrait augmenter l’effet d’érosion », commente Jean-Claude Guérin. 

La ferme utilise principalement l’avoine comme culture de couverture à l’automne.
La ferme utilise principalement l’avoine comme culture de couverture à l’automne.

Course contre la montre

Pour la Ferme Maraîchers J.P.L. Guérin et fils, ces ouvrages font partie d’une stratégie plus large pour protéger son actif le plus précieux. À l’instar de plusieurs producteurs maraîchers en Montérégie, cette ferme spécialisée dans les laitues, les carottes, les oignons et les choux-fleurs est engagée dans une course contre la montre pour conserver ses sols organiques. Bien que très fertiles, ceux-ci sont très sensibles à l’érosion par le vent et par l’eau et se décomposent rapidement lorsqu’ils sont cultivés.

Selon la Chaire de recherche industrielle du CRSNG en conservation et en restauration des sols organiques cultivés, les principaux bassins de production en sols organiques au pays sont menacés de disparition d’ici 50 ans si rien n’est fait. La ferme est d’ailleurs partenaire de la chaire dirigée par le professeur Jean Caron afin d’assurer la pérennité de cette ressource.

« En raison de l’érosion et de la décomposition naturelle, on peut perdre en moyenne deux centimètres par an. C’est assez inquiétant quand on sait que les bonnes terres noires possèdent encore un mètre d’épaisseur », mentionne Jonathan Guérin devant un champ de moutarde, semée après une rotation de laitue en tant que culture de couverture.

La moutarde a été choisie dans ce cas-ci pour son effet nématicide. Lors de l’entrevue avec La Terre, les ­producteurs étaient à quelques jours de découper cette culture, de l’enterrer, puis de passer un rouleau pour sceller la terre afin que les gaz liés à la décomposition de la moutarde tuent les nématodes, un ravageur de la carotte.

Les cultures de couverture sont pratiquées depuis des décennies à la ferme. En mourant, la culture couvrira le sol durant l’hiver et le système racinaire contribuera à réduire l’effet d’érosion hydrique au printemps. « On mettait principalement de l’orge avant. Mais depuis cinq ans, on utilise surtout de l’avoine, entre autres parce qu’il laisse peu de résidus l’année suivante. C’est plus pratique pour faire les semis l’année suivante avec notre semoir de précision, explique Jonathan Guérin. Même si on a fait quelques tests ces dernières années, on garde ce qui fonctionne déjà. »

Cette digue végétalisée agit à la fois comme barrière naturelle à la crue printanière et comme bassin filtrant des eaux de surface.
Cette digue végétalisée agit à la fois comme barrière naturelle à la crue printanière et comme bassin filtrant des eaux de surface.

La fenêtre de semis pose défi

Dans un monde idéal, la ferme souhaiterait couvrir la totalité de ses 150 hectares, mais tout dépend des récoltes. Les producteurs doivent d’abord préparer le terrain avec une herse à disques qui ôtera les résidus de légumes, puis le laisser sécher avant de semer les cultures de couverture. « Dans tous les champs qu’on va récolter après le 1er octobre, c’est très difficile d’implanter des cultures de couverture, car la fenêtre est très courte avant les premiers gels », explique Jean-Claude Guérin.

En tenant compte des rotations et des échanges de terre avec ses voisins, la ferme parvient à recouvrir bon an mal an environ la moitié de ses terres. « C’est difficile de mesurer l’effet des cultures de couverture parce qu’il y a beaucoup de paramètres qui changent d’une année à l’autre, mais si on se compare aux autres producteurs dans le secteur qui ne le font pas, mon champ est plus haut, constate Jean-Claude. En tout cas, c’est très rare qu’on va voir à l’œil nu les effets de l’érosion hydrique aux endroits où on a semé des cultures de couverture. »

Dans quelques années, cette haie brise-vent offrira un obstacle aux grands vents.
Dans quelques années, cette haie brise-vent offrira un obstacle aux grands vents.

Réintroduire les arbres dans le paysage

L’implantation de haies brise-vent, amorcée sous l’initiative de Jean-Paul, le père de Jean-Claude, répond à cette même préoccupation. Presque toutes les terres de la ferme sont protégées par des arbres, pour une longueur totale de 4 km. S’il est vrai que leur présence entraîne une perte d’espace, les producteurs espèrent que les arbres, une fois parvenus à maturité, vont protéger une section importante du sol du vent et des intempéries. « Mon calcul, c’est que oui, je perds du rendement sur deux planches, mais je vais le regagner dans la partie protégée », estime Jean-Claude Guérin.

La ferme adopte d’ailleurs la même approche lors de l’acquisition d’une nouvelle terre. « Ça prend un certain temps pour analyser les vents dominants, indique Jean-Claude Guérin. Mais ensuite, je sais où la haie brise-vent doit être implantée. Je veux pouvoir continuer à cultiver là dans 10 ans et que mes enfants puissent le faire à leur tour. »