Forêts 22 octobre 2021

Chauler pour préserver : le cas des érablières

Le chaulage d’une érablière est strictement efficace si elle en a besoin. C’est le cas de la plupart de celles du Québec, qui grandissent sur des sols acides. Or, le chaulage permet des gains significatifs en matière de concentration de sucre dans le sirop, de coulée de sève et d’absence de dépérissement. Un bon chaulage doit toutefois être précédé d’une analyse du sol afin d’identifier ses besoins en minéraux. Il doit aussi s’accompagner d’une sylviculture qui prévoit le maintien d’essences compagnes dans les érablières.

Notre climat tempéré-froid, les précipitations abondantes qui drainent les éléments nutritifs des terres, en plus de l’héritage laissé par les pluies acides des années 1980, font que la plupart des érablières du Québec poussent sur des sols acides. Dès que nous nous éloignons des basses terres du Saint-Laurent qui bordent le fleuve, de la frontière avec les États-Unis à la région de Québec, au nord, et à proximité de Rivière-du-Loup, au sud, nous nous retrouvons en sols acides. « Les terres qui sont calcaires au Québec, ce sont surtout les basses terres du Saint-Laurent. La plupart de ces terres ont été défrichées pour l’agriculture. On retrouve donc les érablières, de façon générale, soit sur les sables des basses terres du Saint-Laurent, ou dans les Appalaches ou les ­Laurentides, sur des terres de roches. Et en général, ces sols-là ne sont pas calcaires », explique Rock Ouimet, ­chercheur au ministère des Forêts, de la faune et des parcs.

Rock Ouimet
Rock Ouimet

Dans la plupart des érablières installées sur des terres podzoliques (acides), l’épandage de chaux se révèle nécessaire, soutient le chercheur qui étudie l’érable à sucre depuis 40 ans. Négliger de le faire, dit-il, risque de nuire à la santé de la forêt. « L’impact, c’est que sur les sols les moins fertiles, les érablières ont des difficultés. La croissance n’est pas bonne, il y a peu de régénération, c’est envahi par le hêtre [et les fougères], qui, lui, vit bien avec les sols acides, et qui finit par remplacer l’érable à sucre », observe le scientifique.

Chauler pour chauler ne sert cependant à rien, soutient ­Martin Pelletier, ingénieur forestier et chef d’équipe en transfert technologique au Centre Acer, de Victoriaville. « Le chaulage, s’il n’est pas requis, ne donnera pas grand-chose. Il va juste coûter cher », explique M. Pelletier pour qui le chaulage représente un élément seulement des pratiques à mettre en place pour assurer la santé des érablières.

La première étape, dit-il, consiste à déterminer les besoins nutritifs du sol à partir d’une analyse conduite par un professionnel. « C’est vraiment en offrant des ratios adéquats des différents éléments chimiques [calcium, potassium, magnésium] présents dans le sol, qui sont appropriés à l’érable, que là, on va avoir un effet positif du chaulage. C’est un peu la même affaire que dans l’alimentation humaine. Ce qu’on veut, c’est une alimentation variée et équilibrée », illustre l’ingénieur forestier qui insiste sur l’importance de conserver des essences compagnes dans les érablières.

« Dans le fond, si on a des érables qui prélèvent tous les mêmes éléments nutritifs du sol avec leurs racines, puis qui rejettent tous les mêmes éléments nutritifs sur le sol lors de la perte des feuilles, bien on crée un déséquilibre contrairement à si on avait eu des essences compagnes qui avaient prélevé et rejeté d’autres nutriments », poursuit Martin Pelletier.

Les vertus du chaulage et le bon dosage

Le chaulage des érablières gagne en popularité au Québec, depuis une dizaine d’années. Ce serait particulièrement le cas en Beauce et en Estrie, avance Rock Ouimet. Guillaume Vachon Gagnon fait partie de ceux qui ont eu recours au chaulage et il envisage d’appliquer un nouveau ­traitement à l’érablière qu’il possède avec son père, à Chesterville, à une quinzaine de kilomètres au sud de Victoriaville, dans le Centre-du-Québec. « Le tour a été fait il y a quelques années. On va être dus pour reprendre des échantillons [de sol] pour voir si on serait dus pour en remettre », se demande l’acériculteur qui remarque le dynamisme de son érablière. « Ce n’est rien de scientifique, mais on n’a jamais vu autant de repousses d’arbres que cette année. On a plein de tapis de petits érables d’un pouce ou deux », raconte M. Vachon Gagnon. La science semble donner raison à l’intuition de l’acériculteur de ­Chesterville.

Les repousses se multiplient dans l’érablière que Guillaume Vachon Gagnon possède avec son père, à Chesterville, à une quinzaine de kilomètres au sud de Victoriaville, dans le Centre-du-Québec.
Les repousses se multiplient dans l’érablière que Guillaume Vachon Gagnon possède avec son père, à Chesterville, à une quinzaine de kilomètres au sud de Victoriaville, dans le Centre-du-Québec.

Les expériences menées par Rock ­Ouimet dans l’érablière expérimentale de Duchesnay, au nord-ouest de ­Québec, montrent qu’un chaulage adéquat évite le dépérissement des érablières et stimule la croissance de l’érable à sucre. « On a trouvé que ça améliorait la concentration de sucre dans le sirop. Ça a augmenté de 20 % dans notre ­expérience et ça, 18 ans après qu’on ait chaulé. On a aussi trouvé que, non seulement le taux de sucre avait augmenté de 20 % dans les arbres chaulés, mais aussi que ça avait augmenté la coulée entre 3 et 24 % selon le traitement de chaulage qu’on avait fait », affirme le scientifique. Les vertus du chaulage connues, il faut déterminer le dosage adéquat. Encore une fois, les travaux de Rock Ouimet ­ permettent d’orienter les acériculteurs. « De petites doses de 500 kilos à l’hectare, ça a fonctionné sur 10 à 15 ans, mais après ça, on voit qu’il faudrait recommencer. Avec des doses de 3 à 5 tonnes à l’hectare, après 25 ans, on voit que ça fonctionne encore très bien et je calcule qu’avec des doses comme celles-là, dans des sols vraiment très acides comme ceux de la forêt de Duchesnay, c’est bon pour au moins 50 ans », soutient M. Ouimet.

La bonne technique de chaulage à utiliser?

Trois méthodes existent pour l’épandage de chaux, en érablière. La première, et la plus évidente, consiste à distribuer la chaux avec une pelle. Il suffit de distribuer les particules un peu partout sur le sol de l’érablière. Cette approche peut rapidement se révéler laborieuse à partir du moment où la superficie à couvrir devient importante. La méthode mécanique devient alors intéressante. Un véhicule léger auquel est attaché le diffuseur de chaux effectue le travail dans un temps assez court. Cette méthode suppose toutefois que l’érablière soit accessible et que de petits chemins la quadrillent. Dans le cas des grandes superficies, difficiles d’accès, l’épandage par hélicoptère, plus coûteux, peut s’imposer.

Malgré ce qui précède, un chaulage adéquat peut toutefois exiger un mélange des trois techniques évoquées. Tout dépend des sols, explique Martin Pelletier, ingénieur forestier et chef d’équipe en transfert technologique au Centre Acer, de ­Victoriaville. « On doit choisir la méthode adaptée au terrain », dit M. Pelletier qui rappelle qu’une érablière ne possède pas un sol homogène. « L’épandage mécanique, c’est comme pour les opérations forestières. Ça vient avec des plus et des moins. C’est une machine qui circule, qui propulse de la matière fine un peu partout, alors il peut y avoir des blessures qui découlent de ça », indique l’ingénieur forestier. « Si on choisit cette méthode d’épandage, ajoute Martin Pelletier, il faut s’assurer d’avoir une capacité portante du sol qui permet à la machine de circuler. Si vous défoncez dans une érablière, ça peut causer de vrais dommages. » Mais, au final, dit M. Pelletier, « il vaut mieux chauler une érablière qui en a besoin que ne pas le faire, même si ça crée quelques blessures. » 

Claude Fortin, collaboration spéciale

Cet article a été publié dans notre cahier spécial acéricole, publié le 6 octobre 2021